V - Confusion

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Ses pensées étaient embrumées.

Hannah tentait de se recoucher vainement ce matin-là. Il était cinq heures et toute la maisonnée était encore assoupie. Une épaisse brume ensevelissait Birmingham, duveteuse comme un nuage de coton. 

Depuis sa curieuse rencontre à la fontaine avec Thomas Shelby, Hannah ne parvenait pas à garder l'esprit clair. Les différentes scènes repassaient et repassaient encore dans sa tête ; et ne cessaient de la tourmenter. 

La chemise entrouverte de Monsieur Shelby, son torse pâle qu'elle devinait recouvert de cicatrices de guerre.

Les yeux bleus de Monsieur Shelby, capables de lire en vous en une fraction de seconde.

La voix caverneuse, profonde de Monsieur Shelby, souveraine de tous les ordres, de toutes les colères, et pourtant si maîtrisée.

Et surtout, ce regard. Ce regard froid, qu'on pouvait croire indifférent, qui avait pourtant l'air de contenir une souffrance aussi étouffée qu'immense. 

Hannah n'avait jamais été troublée par quiconque. Elle était donc intensément déstabilisée, et ne pouvait partager ces questionnements avec personne. Les autres domestiques n'avaient l'air de voir en leur patron qu'un employeur, un puissant - une menace par instants, mais certainement pas un homme qui faisait battre leur cœur. 

Hannah prit la décision de se lever une bonne fois pour toutes. Il ne servait à rien de rester prostrée dans son lit ainsi, envahie qui plus est par ces pensées inconvenantes... Après avoir fait quelques sommaires ablutions à l'aide de son bac d'eau claire récoltée la veille, elle enfila son jupon, une robe noire à manches longues ainsi que son tablier blanc. Elle tressa rapidement ses cheveux et descendit aux cuisines.

Ces dernières étaient silencieuses. Elle entreprit de sortir les produits dont elle aurait besoin lorsque Carmen la rejoindrait, aux alentours de six heures, préparer le petit-déjeuner du maître de maison. Lait, pain frais, beurre et confitures, café, fruits divers et variés...  Hannah se fit la réflexion que, de toute façon, Thomas de mangeait jamais rien avant midi, et que seul le café noir et brûlant trouverait grâce à ses yeux. 

Mais pourquoi pensait-elle à lui à cet instant ?

* * *

Vlan !

Le bruit de la porte d'entrée retentit pendant de longues secondes. 

Hannah savait qu'une importante réunion se tiendrait aujourd'hui - même si elle n'avait pas la moindre idée de la teneur de celle-ci. Arthur, John et Finn seraient bien évidemment de la partie. Peut-être était-ce l'un d'eux qui interprétait une entrée théâtrale ?

Elle sortit du salon où elle et les autres domestiques étaient en train de faire briller l'argenterie. 

Là, sur l'une des banquettes de velours de l'entrée, haletant et soulevé de douleurs, Thomas s'était écroulé. 

Hannah s'avança prudemment vers lui, tentant tant bien que mal de contrôler son épouvante. 

- Monsieur Shelby ? Vous allez bien ? dit-elle d'une voix douce, consciente des éclats de colère intempestifs et souvent incompréhensibles de son patron. 

Thomas ne répondait pas. Les yeux fixes, écarquillés, il respirait mal et son souffle était rauque. Hannah s'approcha, ses petits talons résonnant sur le parquet. 

- Mais vous êtes blessé ! Vous saignez ! 

Les paroles affolées de la jeune servante semblèrent ricocher contre les murs de la pièce. 

- Monsieur, il faut appeler un médecin ! cria Hannah, qui essayait de distinguer la blessure au flanc de Thomas, colorée d'un sang pourpre et épais. 

- Non. 

Cette voix grave et éraillée, c'était celle d'Arthur Shelby. Il venait de pénétrer dans la pièce et avait également l'air mal en point. Hannah resta un moment interdite, puis reprit : 

- Mais, voyons, vous voyez bien qu'il est blessé... il faut qu'il soit soigné... 

- Les Shelbys ne vont pas à l'hôpital, trancha-t-il avec mépris en s'affaissant sur le sol et en dégainant une cigarette de la poche de son veston. 

Sentant une colère sourde prendre le dessus sur sa docilité d'usage, elle lança alors :

- Je vois. Je ne vais pas chercher à me mêler de ce qui ne me regarde pas. (Arthur la regarda d'un œil surpris, visiblement étonné de la voir répondre) Par contre, si vous voulez que j'évite de m'obstiner, vous allez m'aider à le porter jusqu'à sa chambre. 

Arthur émit un grognement qu'elle ne su définir. Il avait l'air irrité, mais finit par se redresser, non sans écraser sa cigarette dans le cache-pot du Philodendron qu'elle avait arrosé une heure plus tôt. Avec l'aide de Curtis, qu'il avait fait appeler d'un sifflet, ils parvinrent à déposer le blessé dans sa chambre. 

- Bon, je reviendrai vers 16 heures, pour la réunion. Il sera remis, et moi aussi. Mais il me faut un petit verre, d'abord... 

Sur ces mots, l'irascible Arthur s'en fut, laissant Hannah déboussolée dans la chambre sombre. Il y faisait terriblement obscur et surtout, très chaud. Un feu de cheminée devait en effet toujours crépiter dans cette pièce, Monsieur Shelby ne supportant plus le froid depuis les mois passés dans les tranchées, lors de la guerre. Hannah se fit la réflexion qu'il avait vécu tant de choses, lorsqu'elle en connaissait si peu. 

Elle s'agenouilla près de lui. Son visage, d'ordinaire impénétrable, avait presque une expression apaisée. Il semblait dans une forme d'inconscience évanescente, dérangée par des pics de douleur violents. Intimidée, Hannah prit l'initiative audacieuse de le dénuder pour laver et panser sa blessure. 

Après tout, c'était aussi son devoir, de prendre soin de lui. N'est-ce pas ?... 


Black Stallion || PEAKY BLINDERSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant