VIII - L'amour, c'est un truc de pauvres.

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Chez les Shelby, tout le monde était sur les dents. La terrible attaque qui avait blessé les deux ainés de la famille en était la cause principale. Michael disait qu'il s'agissait probablement des Russes, et Hannah entendait des insultes dont elle ignorait jusque-là  l'existence fuser de toutes parts dans la propriété. La tante Polly était dans un état de rage monumental, et les employés de la maison subissaient ses colères avec un mélange de peur et d'habitude. 

Depuis la nuit passionnée qu'ils avaient échangée, Thomas avait pris ses distances, et Hannah se languissait de lui. Malgré ce climat peu propice aux rapprochements, Hannah ne comprenait pas. Qu'avait-elle fait pour mériter une telle froideur ? Thomas ne passait plus près d'elle à moins de dix mètres, comme si un périmètre de sécurité invisible avait été érigé entre eux. C'était parfaitement ridicule... Hannah savait qu'ils ne pouvaient décemment pas vivre leur histoire au grand jour, et qu'ils devraient probablement se cacher des regards indiscrets. Mais en avaient-ils vraiment une, d'histoire ?

La jeune femme ne cessait de se torturer l'esprit. Après tout, elle n'était qu'une paysanne, une servante venue d'un village lointain que personne ne connaissait. Oui, elle n'était personne. Thomas était un chef d'entreprise, le chef d'une mafia indestructible, à la tête d'une famille reconnue. Il était riche, influent, puissant. Tout ce qu'elle n'était pas. Avait-elle imaginé leur alchimie ? Cette nuit passée ensemble n'était-elle qu'une parenthèse sulfureuse de plus pour Thomas ?

Alors qu'elle commençait sérieusement à déprimer, elle entendit un cri extasié : 

"Hannaaaaah ! C'est vous, mad'moizelle !!"

Elle était partie en ville pour faire quelques courses et s'éclaircir les idées, et voilà que Curtis, le jeune groom des Shelby, venait de se matérialiser dans les allées du marché. En le voyant si espiègle, le sourire aux lèvres et la casquette vissée sur son crâne échevelé, elle se surprit à vouloir se confier à cet adolescent. Lui faisait partie du même monde qu'elle. Ca ne pouvait pas être si dangereux que cela...

"Vous z'avez l'air bien préoccupé, jolie Hannah !" dit-il en souriant de toutes ses dents émaillées en l'aidant à charger ses légumes dans son panier.

Surprise par sa perspicacité, Hannah rétorqua brusquement : 

"Non, pas du tout ! Enfin, oui, c'est-à-dire que, je me demandais si Monsieur Shelby allait venir accompagné au gala de vendredi soir."

Elle avait dit cela sans réfléchir, et regretta instantanément ses paroles. Il y avait effectivement un gala de charité prévu vendredi prochain, en l'honneur d'un parieur fortuné qui était dans les petits papiers des Shelby depuis une victoire lors d'une course de grande envergure. 

"Hum, ça serait bizarre. Le patron est assez discret sur ses fréquentations, vous savez. Et puis, j'crois que les histoires d'amour, ça l'intéresse pas du tout ! C'est un homme de business, dit-il en appuyant sur ce mot comme s'il y comprenait quelque chose. Rien à voir avec les p'tites gens comm' nous. Et puis l'amour, c'est un truc de pauvres. 

- Que veux-tu dire ? 

- Ben, les riches n'ont pas le temps pour s'aimer. Ils doivent gérer leur blé, leurs relations, se faire respecter, tout le temps... surtout les Shelby."

Ne sachant que dire face à ces mots d'une sagesse inattendue pour un gamin de 14 ans, les deux domestiques rentrèrent ensemble au manoir sous le flot de paroles enjouées du groom. 

*

Alors qu'elle montait les escaliers menant à sa chambre sous les toits, Hannah ne cessait de méditer sur les paroles de Curtis. Elles résonnaient en elle et avec peine, elle ne pouvait qu'acquiescer à son raisonnement. Elle se sentit tout d'un coup très seule, et constata à quel point Thomas avait chamboulé sa vie en quelques semaines seulement. Oui, il avait sûrement d'autres chats à fouetter. Il l'avait certainement déjà oubliée. Avait-il seulement retenu son nom ?

Elle ouvrit la porte et alluma la lumière, terrassée par la fatigue mais surtout par la tristesse qui l'envahissait. Elle se laissa tomber sur son lit, mais un bruissement la fit sursauter. Se relevant précipitamment, elle constata qu'elle s'était écroulée sur une sublime robe d'un bleu nuit éclatant. C'était probablement la plus belle robe qu'elle n'avait jamais vue. Cousue dans de la soie d'une douceur extrême, elle était ajustée sur les hanches, et semblait arriver jusqu'aux chevilles. Des manches souples ornaient les épaules dans un tomber élégant. 

"Elle te plaît ?"

Cette voix.

Oui, c'était bien la voix de Tommy. Nonchalamment appuyé contre l'embrasure de la porte, elle ne l'avait même pas entendu rentrer dans la pièce.

"Thomas, mais... qu'est-ce que c'est que ça ? 

- A première vue, c'est une robe, répondit-il avec sa répartie habituelle.

- Merci, je vois bien que c'est une robe ! rétorqua Hannah, tranchante. Ce que je veux savoir, c'est ce qu'elle fait dans ma chambre."

Thomas s'approcha et s'agenouilla devant elle. Ses yeux bleus la transpercèrent, il semblait si confiant, si assuré. Ses mains calleuses vinrent soulever les pans de ses jupons, ses doigts caressèrent la peau de ses cuisses. Ce simple geste provoqua un violent frisson le long de sa nuque. A quoi jouait-il, bon sang ?!

"Thomas, que..."

Il écrasa alors ses lèvres sur les siennes. Sa langue ne tarda pas à venir caresser celle d'Hannah, lui arrachant un gémissement. Un désir palpable grandissait entre eux à mesure que leur baiser s'approfondissait. Soudain, Thomas mit fin à ce dernier, la laissant pantelante de désir.

"Eh bien, je me disais que tu pourrais porter cette robe pour le gala, en ma compagnie."

Black Stallion || PEAKY BLINDERSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant