Chapitre 2

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Erika avait capitulé devant ses amis pour qu'ils la laissent tranquille, mais sa résolution était toujours aussi forte. Elle s'accroissait tandis que la nuit s'installait sur Ailmore. Bientôt, il faisait trop noir pour y voir dans les rues à peine éclairées par des lampes à huile. Ou en tout cas, pour des yeux asgardiens. Les elfes étaient nyctalopes, et Erika avançait à pas de loup à travers les rues. Elle évitait les gardes qui surveillaient l'activité nocturne, les ivrognes qui revenaient de la taverne et les prostituées qui attiraient tous pigeons dans leurs filets.

La plupart des elfes étaient au lit après leur journée de travail éreintante, mais elle ne pouvait tout de même pas prendre le risque d'être vue. Pour cela, elle avait dissimulé son visage et ses oreilles pointues avec une écharpe mauve. Elle l'avait volé à la blanchisserie quelques années plus tôt juste pour emmerder les asgardiens, et elle l'avait gardé précieusement comme un trophée depuis.

La demeure de l'intendant se trouvait au-dessus du poste de garde. La journée, c'était probablement l'endroit le mieux gardé de la ville, mais la nuit, ils rentraient tous chez eux, laissant l'endroit particulièrement vulnérable. Bien sûr, l'intendant étant l'homme le plus détesté de la ville, il ne se contentait pas de rester sans défense, et Erika s'attendait à ce que la bâtisse soit tout de même surveillée.

Elle grimpa sur le toit d'une maison proche, restant dans l'ombre des arbres, et observa une bonne heure les allées et venues. De nombreux groupes de trois gardes suivaient des chemins prédéfinis pour assurer une présence quasiment constante aux différents points névralgiques de la ville. Il s'écoulait au minimum sept minutes entre deux trios, ce qui était court, mais pas infaisable.

Cependant, Erika n'avait pas d'arme. Elle avait eu beau réfléchir, elle n'avait rien trouvé qui soit suffisamment pratique et mortel. Elle comptait sur l'intendant pour posséder de nombreuses armes chez lui. Elle n'aurait que l'embarras du choix.

Elle attendit une minute après le passage des gardes pour sauter au sol et se faufila d'ombre en ombre jusqu'à atteindre le poste de garde. Elle en fit le tour pour trouver le meilleur moyen d'entrer, évitant d'être repérée par la femme qui gardait l'entrée, comptant les secondes dans sa tête, avant de retourner à sa place initiale comme elle était arrivée et de réfléchir à la marche à suivre.

Elle réitéra son ascension, contournant la bâtisse jusqu'à atteindre la face est. Elle s'assura qu'il n'y avait personne et s'engouffra dans la rue pour prendre de l'élan. Elle s'élança sur le mur, se projetant vers le haut pour atteindre le rebord de la fenêtre. Elle dut s'y reprendre plusieurs fois avant de réussir à se stabiliser suffisamment pour pouvoir regarder à travers. Le bureau de l'intendant. Un sourire étira les lèvres de l'elfe. Elle se remit à couvert tandis qu'un nouveau groupe de gardes passait. Elle vérifia qu'elle avait bien son kit de crochetage, qu'elle plaça entre ses dents, avant de retourner à la fenêtre. Les asgardiens aimaient les grandes fenêtres, et le rebord était tout juste assez large pour qu'Erika tienne en équilibre dessus le temps de crocheter la serrure. Elle pénétra dans le bâtiment et ferma la fenêtre derrière elle, pour cacher toute trace de sa venue. Elle fouilla un instant la pièce, mais sa vue ne lui permettait pas de voir dans le détail. En tout cas, elle n'y trouva pas d'autre arme qu'un ouvre-lettre. Déplorable.

Elle se dirigea vers l'unique porte de la pièce, qu'elle ouvrit avec toute la délicatesse dont elle était capable. Elle fit une pause, attentive à tous les bruits qui lui parvenaient. De longs ronflements faisaient résonner la pièce ouverte sur sa droite, lui indiquant que quelqu'un y dormait. Elle entreprit de visiter les autres pièces avant, cherchant une arme digne de ce nom. Elle tomba rapidement sur l'armoire qu'il utilisait pour stocker ses armes, et son regard fut irrémédiablement attiré par un poignard et son fourreau. Tout de cuir et de métal, les gravures lui rappelaient la forme des nuages.

Erika saisit l'arme, convaincue, et la dégaina. Double tranche, légère, moins de trente centimètres. Elle était parfaite. Son regard se porta sur la porte entrouverte d'où les ronflements ne cessaient de bruire. Elle s'approcha aussi discrètement qu'elle en était capable. Il n'y avait pas d'autre pièce, si ce n'est les escaliers qui menaient au poste de garde, alors c'était forcément lui.

En entrant dans la pièce, elle fut surprise de constater qu'il n'y avait pas une, mais deux personnes à l'intérieur. Sa colère manqua exploser en voyant une paire d'oreilles pointues dépasser de la couverture. Aucun elfe n'accepterait sciemment de passer la nuit avec ce monstre. Alors qu'elle s'approchait du lit, elle remarqua que l'elfe n'était pas endormi, il tremblait, recroquevillé sur lui-même. Il sursauta lorsqu'elle posa sa main sur son épaule, et il leva des yeux paniqués vers elle. Elle lui fit signe de garder le silence, et signala que son arme n'avait pas l'elfe pour ennemis, mais l'asgardien.

L'elfe sortit du lit précipitamment, se campant dans un coin de la pièce en silence. Erika grimpa sur le lit, se plaça au-dessus de l'intendant et posa sa main sur sa bouche, tandis que la lame du poignard trouva sa place près de sa gorge. L'asgardien se réveilla en sursaut et s'immobilisa.

— Lumière, ordonna-t-elle à l'elfe, qui s'exécuta.

L'intendant était désormais capable de la voir, le visage toujours dissimulé par son écharpe. Il paniqua, mais une légère pression de la lame sur sa peau suffit à le garder immobile.

— Qu'est-ce que vous voulez ?

Un sourire sadique étira les lèvres d'Erika. Il pouvait le deviner sous le tissu, et il frissonna.

— Votre mort.

À ses mots, elle trancha sa gorge. L'elfe lâcha un cri terrifié tandis qu'il se vidait de son sang sur les draps.

— Va prévenir les gardes si tu ne veux pas avoir de représailles.

Il hocha la tête et attendit qu'Erika ait rejoint la rue pour se mettre à crier au meurtre. La jeune femme rejoint rapidement la rivière pour s'y laver entièrement. Elle jeta ses vêtements dans l'eau, qu'elle avait volontairement pris trop grand pour brouiller les pistes si jamais ils devaient être retrouvés, et enfila ceux qu'elle avait dissimulés plus tôt. Elle nettoya le poignard, l'enroula dans l'écharpe immaculée et l'enterra à l'abri des regards.

À peine une dizaine de minutes plus tard, elle était de retour dans sa chambre. Il n'y avait aucune preuve la reliant au meurtre, si tenté que l'elfe qu'elle avait vu allait la couvrir. Il ne pouvait ignorer que c'était une femme, mais de toute façon, il n'avait pas vu son visage. Et elle avait trop peu parlé pour qu'il puisse reconnaitre sa voix. Non, vraiment. Il n'y avait aucun moyen qu'ils prouvent sa culpabilité.

***

La nuit avait été courte. Les gardes avaient cherché toute la nuit la moindre trace du meurtrier de l'intendant, et face à leur incompétence, le capitaine de la garde avait exigé que tous les elfes soient réveillés et interrogés.

Erika et les elfes avec qui elle partageait l'étage furent interrogés. Plusieurs témoins confirmèrent qu'Erika avait été se coucher aux premières lueurs de la nuit, et qu'ils n'avaient rien entendu de particulier.

Elle fut relâchée, et en retournant dans la cour intérieure du quartier des esclaves, elle aperçut du coin de l'œil Twaïn qui supportait Aeris. Elle se précipita vers eux pour l'aider. Un silence pesant s'abattit sur les amis tandis qu'ils rejoignaient la chambre du blessé. Erika évita soigneusement leurs regards qu'elle devina inquisiteurs, parfaitement consciente qu'ils savaient ce qu'elle avait fait. Si elle n'avait pas une confiance absolue en eux, peut-être qu'elle se serait inquiétée, mais ce n'était pas le cas.

— Tout va bien, anticipa-t-elle à la seconde où Twaïn fermait la porte derrière eux.

Un silence accueillit son affirmation, mais elle voyait bien qu'Aeris contenait difficilement sa colère. Toujours allongé face contre le matelas, elle devinait aisément à quel point il regrettait de ne pas pouvoir la secouer et lui hurler dessus. Quant à Twaïn, il s'était assis sur le rebord du lit, la tête entre les mains. Le cœur d'Erika se serra, et elle quitta la pièce sans un mot.

Captive {Loki}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant