Chapitre 3: Lina Stanield

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Hôpital de Darins

Sous-sol

Après avoir appris la nouvelle, le docteur ne rentra pas chez lui, il prétexta à sa femme qu'il devait faire face à une urgence à l'hôpital. Madame Heirs lui envoya le dîner dans un Tupperware. Le docteur n'y toucha pas. Le plat sentait délicieusement bon cependant il n'avait pas la tête à manger. Pour tout dire, il ne pouvait rien faire d'autres que de rester assis, face à l'ordinateur, prêt à sauter sur le moindre article.

Sa secrétaire le quitta aux environs de minuit. Il était seul au niveau -2 et ne ferma pas l'œil de la nuit.

Au petit matin, la secrétaire revint, elle apportait le café et des muffins. Le docteur avala son café d'une traite et engloutit la pâtisserie comme s'il avait peur que quelqu'un lui vole.

Après son petit-déjeuner, il indiqua à sa secrétaire d'annuler tous ses rendez-vous de la journée, il allait être occupé. Il prit son téléphone et composa un numéro sur les touches manuelles. La secrétaire ne savait plus où se mettre, si elle devait partir ou au contraire, rester.

-Ici le docteur Heirs, pédopsychiatre de l'hôpital de Darins. Pourrais-je parler à votre supérieur ?

L'interlocuteur refusa, mais le docteur ne laissait pas tomber.

-Dites-lui que c'est au sujet d'Hypnose.

Le policier derrière le conduit paraissait embêter de devoir interpeller une nouvelle fois son supérieur. Ce dernier ronchonna, depuis la découverte du corps de la laborantine, il n'était jamais seul, une seule seconde. Quand le policer, Louis, précisa qui appelait, il n'y avait plus la moindre de trace d'agacement sur le visage du député adjoint, monsieur Morne. Il reprit la ligne téléphonique.

-Quoi qu'il arrive, tenez-vous-en aux explications rationnelles. Drogues, meurtre à l'arme blanche, ce que vous vous voulez. Ne vous aventurez pas dans des chemins dangereux. Vous avez compris ?

Le docteur ordonna d'une voix dure.

-Oui docteur Heirs, bien sûr. La voix de monsieur Morne était tremblante.

Louis, le jeune policier ne pouvait se rappeler avoir déjà vu son patron dans un tel état. Monsieur Morne lui indiqua de partir d'un geste de la main.

-Est-ce que vous savez de qui il s'agit, docteur Heirs?

-Vous n'avez pas besoin d'en savoir plus, tenez-vous aux faits établis et stables, tel est votre seul job.

Le docteur Heirs ne lui laissa aucune chance de répondre, il raccrocha sans attendre. Le docteur Heirs, se leva. Sa secrétaire le regardait, confuse. Elle voulait parler ou agir, mais le docteur Heirs était bien trop rapide. Il traversa le couloir au pas de course. Le couloir du sous-sol était unique. Il était funèbre et sinistre, parsemé, ici et là, de chambres aux portes grises étiquetées. Des gardes étaient postées à quelques endroits, ils ne bougeaient pas, on aurait pu les confondre avec des statues en argile.

La marche effrénée du docteur Heirs s'arrêta brutalement devant la dernière porte, côté droit. C'était la seule qui avait reçu un autocollant fantaisiste au-dessus de l'étiquette, on y lisait "Lina stanield". Le docteur Heirs tourna la poignée et pénétra dans la chambre sans prévenir. La pièce était spacieuse, trop grande pour le peu de meubles éparpillés. Un lit en fer était positionné au centre et n'était entouré que d'une armoire et d'un bureau, sur lequel reposé un vieux manuel de mathématiques.

Une petite fille était assise sur le drap blanc. Elle était calme, silencieuse et peignait sa longue chevelure rousse emprisonnée par un ruban rouge. Elle fredonnait, le regard dans le vide, ne prêtant aucune attention à l'intrus. Elle était accoutumée à ce que le docteur Heirs fasse irruption dans sa chambre sans prévenir. Elle avait essayé de comprendre l'emploi du temps qu'il suivait. Mais le docteur Heirs arrivait toujours à des heures différentes, et n'avait pas de fréquence fixe.

Lina Stanield venait de souffler ses six bougies. Célébrant, par la même occasion, sa deuxième année à l'hôpital. Sa présence ici était devenue sa normalité. Elle ne quittait que très rarement le sous-sol. Ses parents ne la visitaient jamais, ils s'en étaient débarrassés, oubliant son existence. Pourquoi était-elle internée ? C'est une excellente question, malheureusement complexe et subjective. Les étages du dessus ne connaissaient pas son existence. Lina ne vivait que pour ses quatre murs.

Le docteur Heirs força une expression plus douce à prendre place sur son visage. La petite fille se sentit plus à l'aise, et par conséquent, elle décrispa les épaules, qu'elle tenait en dessous des oreilles quand la situation l'intimidait.

Le docteur Heirs déplia la chaise en métal qui était rangée derrière l'armoire. Il prit place face à Lina. Il s'éclaircit la gorge.

-Lina, tu m'entends?

Il reçut pour seule réponse un hochement de tête de la petite fille qui ne se détournait pas de son activité.

-Comment vas-tu aujourd'hui ?

Lina accéléra son mouvement, les tiges du peigne n'avaient plus aucun mal à séparer les mèches de cheveux. C'était ainsi qu'elle signalait qu'elle allait bien.

-Rien d'anormal alors. Qu'as- tu fais aujourd'hui ?

Lina s'arrêta quelques instants, le temps de pointer le dessous du lit. Le docteur Heirs fut surpris, en temps normal, elle lui indiquait le bureau ou sa table de chevet.

Il s'accroupit et souleva le drap. Là, entre les moutons de poussière, il vit une boite en carton, qu'il tira vers lui. La boite était légère. Son déplacement fit résonner l'entrechoc d'objets en métal.

Il ouvrit, s'attendant au pire. La boite contenait des ustensiles, qu'il crut reconnaître comme étant ceux de l'aile chirurgicale. Il fut à la fois intrigué et confus.

-Que fais-tu avec ces choses Lina?

Il lui demanda d'une voix basse. S'il élevait trop la voix, Lina pourrait croire qu'il l'engueulait et alors couper toute communication.

-Elle me les a donnés.

-Qui ça ?

-Celle qui prend ma place de temps en temps

L'activité de Lina toucha à sa fin, elle descendit de son lit, et prit l'un des instruments, coupant.

-Elle m'a dit que j'en aurais besoin pour une chouette activité.

Le docteur Heirs déglutit. A sa droite, la lampe de chevet se mit à clignoter. Avec minutie, Lina sortit les instruments un par un, le sourire aux lèvres. Ainsi, le docteur Heirs découvrit, ce que le métal avait si bien caché. Une souris, morte, ouverte, au milieu de cafards, eux aussi, morts.

Le docteur Hiers se releva, la boite lui glissa des mains. La secrétaire entra dès qu'elle entendit l'agitation dans la chambre. Elle et le docteur étaient partagés entre l'horreur et le choc, et les deux sentiments finirent par se mélanger et induire leur visage d'une pâleur de mort.

Lina, elle, affichait un immense sourire. Elle ressemblait à n'importe quelle petite fille, le matin de Noël, découvrant une maison de poupées. Sauf que ses poupées avaient bien été vivantes et qu'elles ne donnaient nullement l'envie de jouer avec.

Hypnose (the wattys 2021)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant