au compte goutte, un-e par un-e chaque artiste revient sur scène, telle une apparition furtive. iels bravent tous les dangers, terrassent la colère et les blessures pour arriver, ainsi déterminé-es, les pas vifs. iels marchent au rythme d'une musique que la foule n'entend plus ; encore une preuve de leur différence. c'est l'air glacial, ailleurs, vidé-es et pourtant si tenaces et fugages qu'iels marchent, affrontant les risques de la piste.
et puis un pantalon rouge apparaît, glisse parmi les ombres, le noir, le sombre. l'artiste qui le porte est læ danseureuse, cellui qui faisait vriller les étoiles filantes. les yeux læ dévisagent et accélèrent les rides sur son visage, le malaise dans ses prunelles. elles brillent les étoiles, elles s'achèvent seules les toiles et l'artiste vit l'exclusion comme la pire des trahisons.
et le regard de pierre, fixé dans le vide abyssal, les mouvements se font secs, presque cassants. en réalité, ils se cassent les uns contre les autres, coupant court à la naissance des échanges humains. le crissement des pieds, des semelles qui raclent le sol se mélange aux respirations profondes et tirant vers la plainte.
il y a un déclic qui se fait, un regard libéré entre l'artiste de la farine et cellui au pantalon rouge. un rouge sang, un rouge timidement bruyant qui contraste avec la morosité des autres. les corps se rapprochent alors soudain, redéfinissant l'espace et ses notions. et de nouveau une musique entêtante vient noyer les bruits de la vie ; les respirations deviennent silencieuses, les peaux qui raflent le sol se taisent elles aussi. la musique prédomine, elle a le pouvoir d'être écoutée.
et avec elle, s'échouent les corps. ils font voler la farine qui s'était écroulée sur le sol sacré ; elle se voit soudain dotée d'une seconde vie, telle une deuxième chance. les corps se mouvoient avec agilité, dans l'élégance réservée des esprits fragiles. et le tout va crescendo, les secondes s'étirent de plus en plus pour laisser place aux sursauts frénétiques. læ danseureuse et l'être de la farine sont différent-es, iels ont dans leurs prunelles, sur leurs peaux, dans leurs souffles une sincérité qui n'émane pas des autres. iels se remarquent ; ce sont des étoiles encore plus brillantes. ou peut-être qu'au contraire, ce sont des étoiles éteintes. qui sait ?
les corps sont proches, ils se repoussent et se renvoient. nos deux différent-es sont comme des balles, des comètes valsant dans l'espace divisé de la piste. divisé par le blanc et le noir, par la lumière et l'obscurité. iels sont projeté-es, étravé-es par les autres. chacun de leurs gestes est sous surveillance et soumis à des refus. læ danseureuse est soulevé-e et retrouve ses étoiles filantes dans les cieux. mais iel ne le veut pas ; iel se débat avec fougue, luttant contre les mains féroces qui l'aggripent.
les corps et les regards sont inquisiteurs, pesants sur les consciences. même la foule les trouve de trop, lourds et mauvais. pourtant les bras ne cessent de se dresser pour barrer le passage, les mains ne cessent de retenir, d'arracher les peaux, les figures ne cessent de s'enchaîner, faisant voler la farine. des traces sont laissées sur le sol, au fur et à mesure que les corps y passent. c'est joli à observer, à contempler et la foule ne peut oublier les corps qui dessinent ses œuvres d'art.
il y a une telle haine dans les mouvements, ils sont maintenant glacials, froids, cosmiques, agressifs. il y a une folie qui naît, une larme qui n'était pas là auparavant, une telle arme. c'est une force nouvelle, une forme de rage qui brûle tout et contemple ensuite ses ravages avec fierté. chacun-e court, les membres s'entrechoquent et les os craquent. les corps à corps sont nombreux et fragilisent les esprits remplis d'hérésies.
mais pourtant læ danseureuse reste rejeté-e de partout et rejette tout le monde en retour. saon partenaire læ rejette aussi ; pourquoi ? parce qu'iel læ rejette aussi. les relations sont à double tranchant et les trahisons s'enchaînent sans plus finir. alors les les artistes courent, se retiennent et s'entraînent. iels courent vite, les un-es derrière les autres, sur les bords de la piste. iels courent et sur le point culminant de la musique leurs respirations se font même entendre. iels courent un petit moment et puis la lassitude vient percer les poumons à son tour.
c'est alors une hécatombe et les corps tombent à n'en plus finir. et les boum résonnent dans le chapiteau avec une brusque sonorité. chacun-e s'écroule au sol et l'embrassent avec une reconnaissance démesurée, presque folle. les poitrines se soulèvent à une vitesse astromonique, impressionnante, inquiétante même. néanmoins les souffles finissent par se tarir en accord avec la musique, comme en symbiose. les yeux se ferment et chaque artiste repensent aux horreurs qu'iels vient de commettre, comme un vieux film en noir en blanc. iels se rendent enfin comptent de leurs erreurs.
mais peut-être est-ce trop tard ?
- erwan court toujours, seul-e, autour de la piste -
oh erwan, qu'as-tu fait à la folie ? et elle, qu'est-ce qu'elle t'a fait ?