UN TAXI DE SABLE

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Depuis longtemps déjà, le soleil périclite. Ils ignorent combien d'heures ils ont marché. Après avoir avancé un certain temps au hasard, ils ont retrouvé par inadvertance les empreintes de pas découvertes quelques jours auparavant, et ont décidé de les suivre. Peut-être les mèneront-elles à un refuge quelconque. Il ne leur reste rien d'autre à quoi se raccrocher. Plus question de se séparer, cette fois. Ils suivent la piste dans le même sens, terrassés par la chaleur et la soif.

« J'espère que ce brave bougre ne nous mène pas en bateau, souffle Ivor en dardant sur les traces un œil suspicieux.

— Moi de même, murmure Phil qui ne lui a pas avoué qu'il connaît mieux que personne la forme de ces empreintes.

— Vaudrait mieux. On ne tiendra pas jusqu'à demain.

— Regardez ! »

Au détour d'une dune, loin devant eux, une ombre familière se découpe sur l'horizon rubescent... Le taxi ? Est-ce possible ? N'ayant plus la force de courir, ils marchent aussi vite qu'ils le peuvent encore vers cette oasis mécanique inattendue. Derrière eux, leurs ombres s'allongent, peinent à garder le rythme. Leurs empreintes se mêlent à celles qu'ils suivent, brouillent la piste. Le silence autour d'eux vibre d'une sourde anticipation.

Quand la silhouette automobile commence à prendre des couleurs, à leur approche, quelque chose d'immense s'effondre en eux. Ce n'est pas le jaune clair et pimpant de leur taxi. C'est le même jaune ocre que celui qui s'étend et s'assombrit partout alentour.

« Du sable ! rugit Phil en tombant à genoux. Ce taxi est en foutu sable ! », ajoute-t-il dans une de ces rarissimes occasions où on l'aura entendu jurer. Et, dans une de ces occasions tout aussi rares où on l'aura vu perdre toute retenue, il se précipite sur la voiture de sable les poings en l'air, prêt à la réduire en charpie.

« Arrêtez ! tonne Ivor en le retenant des deux mains. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit sur les statues de sable, dans la vallée. Elles n'apparaissent que lorsque leur modèle a disparu. Et si on les détruit...

— ... soit le modèle réapparaît, soit il disparaît pour de bon. Oui, mais vu le temps qu'il nous reste, ne faut-il pas courir le risque ? Nous pourrions faire réapparaître la voiture !

— Ou la perdre définitivement. Si elle est encore là, quelque part, loin ou près de nous, et qu'il nous reste une petite chance de la retrouver...

— Au stade où nous en sommes, est-ce que ça fait vraiment une différence ?

— À quel point désirez-vous revoir le Sixtin ? Ou retrouver l'Autoroute Invisible ? »

À ces mots, Phil desserre les poings. Il cherche des yeux les empreintes, mais elles se confondent maintenant avec les leurs, et ne vont pas au-delà de la voiture. Épuisé, il se laisse tomber au sol. Ivor vient s'asseoir près de lui.

Phil met un moment à s'apercevoir que son compagnon fixe ses mains.

« On aura fait une belle course », soupire Ivor en pliant et dépliant plusieurs fois les doigts avec application. Chaque fois qu'il les ouvre, Phil croit voir tomber de minuscules granulés. À son tour, il fléchit les doigts, et constate le même phénomène. Ce n'est pas du sable qui se détache de leurs mains, non... ce sont leurs mains qui s'effritent, leurs mains qui se changent en sable...

« Ça devait arriver tôt ou tard, dit doucement Ivor. C'est comme ça que finissent les choses quand on reste trop longtemps dans le désert. »

UN TAXI DANS LE DÉSERTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant