Chapitre 2

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Le cirque commençait.
Ce jour-là, sa mère la traînait avec elle au goûter hebdomadaire de la comtesse de Bonneaud , comme une vieille dame de compagnie.
Il n'y avait que des femmes à ces rendez-vous. Alors pourquoi l'y emmener ?
Peut-être sa mère craignait-elle qu'elle se renferme si elle ne voyait personne.
Sur le chemin, Nicole lui avait fait part de sa réflexion.

-Ma chérie, il est important qu'on te voit. Que tu fasses toujours partie des demoiselles qui ravissent les autres mères.

Voilà, c'était exactement ce qu'elle pensait. Sophie Dambreville avait peur. Peur de se retrouver avec une fille trop vieille, immariable.
Ainsi, il fallait prouver au reste de la bonne société qu'il ne poussaient pas de verrues et un nez crochu à ladite fille.
Nicole se retrouvait donc au milieu de ce goûter au allure d'exécution publique.
D'autres jeunes filles étaient présentes. Toutes se jaugeaient silencieusement tandis que leurs mères se livraient une guerre déguisée d'hypocrisie et de manières. Toutes les remarques se lançaient, enrobées de flatteries. Les compliments étaient calculés et sournois.
Cela fatiguait prodigieusement Nicole mais il fallait sourire. Les Dames ne se laissaient aucun répit. 

-Je ne veux pas trop m'avancer mais ma chère Albertine sera bientôt fiancée elle aussi. Et à un très beau parti. Ça n'aura pas mis longtemps, s'enorgueillit la comtesse de Ducan, en se tortillant d'aise.

Marier sa fille rapidement était la preuve de la bonne qualité de sa progéniture et par extension, de l'éducation parfaite prodiguée par ses parents ainsi que le lègue de leurs excellents gènes.

-Il faut dire que votre fille est si aimable !

"Vous avez de la chance car votre fille est laide. En tout cas moins belle que la mienne." Voilà ce que voulait dire ce compliment.
Même les sourires étaient faux.
Nicole tentait de rester concentrée sur le chocolat qu'on lui avait servi et de résister à l'envie de déguster l'un des gâteaux recouvert de sucre, posé en face d'elle.
Tout d'abord, on risquait de juger sévèrement sa gourmandise et puis elle savait pertinemment qu'avec tout ce sucre volatile, elle ne s'en sortirait pas dignement. Il n'y avait qu'à voir les lèvres blanches de celles qui s'y étaient essayées. Non, vraiment, il n'y avait aucun moyen de manger ce berlingot proprement.
Nicole avait un mal fou à allier délicatesse et fausse décontraction. Elle savait que tous ses gestes ainsi que ceux des autres jeunes filles étaient scrutés et analysés. Leurs maladresses serviraient à alimenter les discussions d'autres goûters, d'autres commérages.
C'est en pensant à cela que Nicole voulut boire une gorgée mais ses mouvements et son bras étaient si raide que sa main heurta sa tasse, tout son contenu se déversant alors sur la table.
Les dames assises près d'elle firent un bond sur leurs chaises, surprises par le petit fracas de porcelaine et tous les regards convergèrent vers elle.
Voilà qui animerait les prochaines discussions, songea Nicole en observant le chocolat s'étendre et tacher la jolie nappe brodée. Le fichu sucre de ce fichu gâteau semblait maintenant beaucoup moins effrayant. À cet instant, elle aurait préféré en être recouverte.
Une domestique nettoyait lorsque la comtesse de Montlieu se tourna vers elle.

-Nicole Dambreville. C'est votre deuxième saison, fit-t-elle en la détaillant, un sourire au lèvres. Et toujours aucun fiancé à l'horizon. Est-ce parce que vous renversez vos verres sur ces messieurs ?

Elle et sa voisine ricanèrent et Nicole fit mine de rire elle aussi. C'était son tour. Pourvu que cela ne dure pas trop longtemps.

-Cela ne m'est jamais arrivé, répondit-t-elle.

-Mais alors, comment expliquez-vous votre célibat ? Poursuivit-t-elle, toujours son sourire insupportable aux lèvres.

-Je ne l'explique pas, dit la jeune femme, la bouche sèche.

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