2.

2.2K 75 0
                                    

Les pilotes de Formule 1 sont connus pour leur sang froid, leur capacité à prendre des décisions à la seconde. La réactivité et les réflexes sont primordiaux pour survivre à chaque virage, pour tenir l'adrénaline qui les envahis.
Ce soir, Célia semble avoir oublié tout ça et se tient debout devant le bar, incapable de faire un pas à l'intérieur.
Elle décide sans réfléchir d'allumer une cigarette. La nicotine accélère son rythme cardiaque au lieu de l'apaiser, chaque bouffée plus angoissante les unes que les autres et pourtant elle ne peut pas arrêter, tant que la cigarette est allumée, elle est autorisée à ne pas entrer.
La jeune femme tente de formuler les phrases dans sa tête, elle retourne les mots pour trouver la version parfaite : celle qui apaisera sa culpabilité, celle qui sauvera leur amitié. Rien. Cette cigarette est terrible, plus que quelques bouffées.
Il est là, dans ce bar. Il l'attend, depuis longtemps maintenant. Certains clients semblent le reconnaître et lui lance quelques regards curieux mais il fait mine de ne rien voir, son regard posé calmement sur l'écran de son téléphone.
La cigarette se termine et Célia pose une main hésitante sur la porte puis se dirige doucement vers la table.
Pendant une course, en cas d'impact on apprend qu'il faut se détendre entièrement pour limiter les blessures et autres fractures.
Les clients autour la remarquent bien avant lui et chuchotent. Elle leur souri poliment, Pierre lève la tête.
Son sourire. Ses yeux. Il se lève et la prend dans ses bras. Son odeur.

" Tu pues la clope" lui dit-il. Elle rit. "Ouais je sais, y avait pleins de gens qui fumaient autour de moi dans la rue c'était trop relou"
Son regard est tendre "T'es con"

Célia prend place en face de lui, les yeux de Pierre sont rieurs, son sourire remonte légèrement sur le côté gauche. Le manque de symétrie de son sourire est un détail qui a toujours intrigué Célia : il ne sourit jamais du même côté, comme s'il avait besoin de renouveler son charme, de surprendre son interlocuteur.
"Je suis content qu'on ai réussi à se voir avant que je rentre" dit Pierre.
" Je t'en aurai voulu de partir sans dire bonjour".
Il rit.
"On se voit dans deux semaines, t'aurai survécu je pense"

En temps normal sûrement, mais elle aurait eu du mal à vivre avec ce que qu'elle s'apprête à lui dire.
La serveuse, dans un très bon timing, prend sa commande.
La conversation est fluide comme à leur habitude et elle oublie presque la bombe qu'elle s'apprête à lancer.
Un silence apaisant s'installe mais sa tête ne semble pas apprécier et lui crie de le faire tout de suite.
Elle à l'impression d'être au bord du plongeoir mais ses jambes refusent de sauter.
Pierre commence à raconter ses dernières vacances avec sa copine et elle n'arrive pas à faire semblant. Sans comprendre comment, elle prend son élan.
Il se met à rire de sa propre anecdote et Célia remarque que son sourire penche cette fois-ci à droite. Elle cours.
Il prends son téléphone pour lui montrer quelque chose. Elle saute.

"Pierre ... je suis désolée"

Il s'arrête, son téléphone est figé face à Célia. Elle peut apercevoir l'heure du coin de l'œil : 21h42. Il la regarde, perplexe et son sourire redescend, l'océan dans ses yeux s'agite.
"hein ?"
Célia ne réfléchis plus. "J'ai... c'est pas encore fait ... mais je pense que ... j'en ai parlé avec Marin et ... "
Sa voiture prend un mauvais angle dans le virage. Elle glisse.
Pierre ramène doucement son téléphone vers lui, ses yeux sont durs maintenant, ils la scrutent. Pendant un instant elle pense y voir de l'inquiétude, son cœur chute.
"Cel, dis moi"
Elle a envie d'hurler. Il la connaît,
elle ne peux plus faire demi tour. Ses pieds retrouvent l'accélérateur, elle retrouve la piste.
"J'.. Je vais signer chez Redbull."

Le choc est imminent.

Pierre la regarde, perdu. Il ouvre la bouche et la referme aussitôt.
Il cherche de l'humour, une porte de sortie dans les yeux de la fille qu'il connaît depuis si longtemps.
L'adrénaline qui vibre en elle lui fait tourner la tête. Le silence est insupportable, elle continue :
"J'ai rendez vous dans deux jours. Je vais signer Pierre"

Il ne dit toujours rien, son scripte arrive à la fin et elle commence à s'agacer.
"Tu sais que je ne peux pas refuser. J'ai trop galeré pour
m'arrêter là, ma décision n'a rien à voir avec toi —" "Ok".
Célia s'arrête aussitôt, surprise de recevoir enfin une réaction. Elle se perd dans son discours et tous les mots prévus pendant la nuit et sous la douche disparaissent.
"Je suis désolée"
"Non t'inquiètes, tant mieux pour toi. Tu le mérites."
Ses mots ne correspondent pas du tout aux traits déformés de son visage, au plis de déception sur son front.
Célia ne peux plus soutenir son regard, elle capitule et fixe son verre espérant y trouver refuge. Le regard de Pierre ne l'a pas quitté.
"Excuse moi" elle murmure.
Le silence est encore plus terrible cette fois-ci. Elle aimerait repartir en arrière et recommencer.
Pierre prend soudainement la parole : "Ils vont te bouffer Cel, ils vont t'utiliser pour aider Max à gagner, encore et encore. Tu t'es pas battu pour être leur pions."
Ses mots résonnent directement en elle mais Célia ne montre rien.
"Je sais"
"Bah alors ?! Pourquoi tu fais ça ?" Il monte le ton, plus capable de garder ses émotions. Sa colère la tend. Ses pensées vont vite elle n'arrive plus à savoir si c'est de la véritable inquiétude ou de la jalousie. Elle lève les yeux et tient son regard.
"Parce que c'est ça ou rester derrière en attendant que quelqu'un me remplace. Il faut que j'agisse"
"C'est faux ! Il faut que tu te démarques et eux ne vont faire que t'éteindre. Ils ne te laisseront jamais briller crois moi "
Célia en a assez. "Laisse moi décider de ça par moi même"
"T'es là que depuis deux ans, tu te fous en l'air toute seule"
C'était la phrase de trop. "Dis le mec qui n'a jamais été capable de regarder ailleurs. Ouvre les yeux Pierre, arrête de leur courir après"
Le silence s'installe à nouveau, la colère lui brûle les yeux et son cœur en pleine tempête refuse d'entendre le regret qui gronde de plus en plus fort. Tout retombe autour d'eux, quelqu'un rit plus loin dans le restaurant. La vie a continué en dehors de leur champ de bataille. Pierre fixe droit devant lui, il passe nerveusement une main dans ses cheveux et se racle la gorge. "Si ta décision est prise alors fais le, félicitation".
Son ton est froid comme le reste de son visage. Une partie de Célia aimerait le réconforter, le prendre dans ses bras et l'autre partie lui crie de rester droite.
Il met son téléphone dans sa poche et commence doucement à remettre sa veste. La réalité la rattrape, ils ne peuvent pas terminer la dessus. Elle pose sa main sur son bras.
"Pierre non part pas, s'il te plaît, je suis désolée, parle moi"
Les yeux de Pierre trouvent les siens, l'océan est de retour mais il est profond et sombre. Il soupire.
"J'... j'ai besoin de dormir dessus et de comprendre, enfin de capter tout ce qu'il se passe. Excuse moi d'avoir monté le ton"
Célia ne trouve rien à dire et le regarde se lever.
"C'est un peu dramatique comme sortie non ?" elle tente pour essayer de faire pencher son sourire une dernière fois. Son visage se détend légèrement.
" On se voit sur la piste Cel"
Pierre lui sert l'épaule en passant à côté d'elle.
Célia prend un instant pour se calmer et comprendre. Les pensées se croisent, il y a du soulagement, de l'inquiétude, de la colère. Une pensée dépasse les autres : "tant pis pour lui, prouve lui le contraire". Comme si elle n'avais pas passé sa vie à devoir toujours prouver le contraire. Un jour elle aimerai qu'on lui donne raison, juste une fois. Surtout lui. Une nouvelle émotions s'installe.
Elle sors son téléphone, 21h55. C'était un tour rapide.

Les Grands ViragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant