Les Grands Virages

10.

Célia se retourne légèrement pour se regarder dans le miroir de l'ascenseur. Elle prend le temps d'observer la femme en face d'elle. Elle a l'air sûre, confiante. Ses cheveux soigneusement bouclés tombent délicatement sur ses épaules dénudées. Le trait noir sur ses yeux accentue son regard et sa robe scintille avec la lumière artificielle. C'est un des rares moments où elle se sent belle, féminine même. On pourrait avoir du mal à croire que cette fille de l'autre côté du miroir affronte régulièrement la mort à 300km/h.
L'ascenseur s'arrête, un léger bruit retenti et les portes s'ouvrent révélant le rooftop de l'hôtel déjà rempli de monde. La musique résonne, atténuée par le brouhaha des invités.
Célia s'avance, soudainement intimidée par la foule. Elle sert son petit sac contre elle comme pour se protéger des regards.
Les personnes présentent lui sert la main et d'autre la félicitent pour son dernier podium. Elle se force à sourire et répond poliment à tout les compliments.
Celia n'a jamais été à l'aise dans les soirées organisées par la FIA. Tout est trop propre, chaque personne essayant de montrer qui a le plus d'argent, le plus de pouvoir. Les pilotes font parti de l'animation pour donner l'impression aux invités qu'ils font aussi parti de ce monde.
Célia aperçoit Carole qui arrive dans sa direction, le soulagement la traverse et elle est reconnaissante de ne plus être seule face à tout ces faux semblants.
Son attaché de presse la complimente et l'amène vers le mur de photographes impatients.

Les flashs l'éblouissent dès qu'elle pose un pied devant le mur décoré avec les insignes de la FIA. Elle a du mal à savoir où regarder, chaque homme en face d'elle tente de crier son prénom le plus fort pour attirer son attention. Célia essaye de sourire et pose une main hésitante sur sa hanche ne sachant plus quoi faire de ses bras.
Au bout de quelques minutes, elle décide de se retirer mais une main la rattrape doucement. Fernando la rapproche de lui et se retourne vers les photographes qui se mettent à crier son nom. Célia sourit également, gênée. Elle n'a pas vu Fernando depuis son avertissement après la course.

"Alors quel est ton prochain pari ?" lui dit il, le sourire imperturbable et les yeux toujours posé sur le mur d'appareils photo.
Célia est surprise un instant puis elle se ressaisit.
"Je n'ai pas encore décidé"
"Tu devrais faire attention"
Célia meurt d'envie de lever les yeux au ciel mais continue à fixer les objectifs devant elle.
"Je tire mes propres ficelles comme t'as dit"
"Il y a d'autres moyens"
"Pas pour moi, je n'ai plus choix"
"Célia si tu es en danger je veux que—"
"Je ne suis pas une chose fragile, je sais ce que je fais, arrêtez de vouloir me protéger" Elle le coupe et sent l'étreinte de Fernando se détendre légèrement, surpris. Celia en profite pour se détacher de son coéquipier et s'éloigne du photocall pour retrouver l'air frais de la soirée. Le fantôme des flashs teinte sa vision et il lui faut quelques seconde pour apercevoir ce qu'il se passe autour d'elle.
Elle se retourne pour lancer un dernier regard à Fernando, toujours souriant. Une partie d'elle aurait aimé accepter son aide, être rassurée mais sa fierté la pousse à rester droite, elle peut y arriver seule, c'est ce qu'elle a toujours fait.

Célia s'avance vers le bar, elle sent les regards posés sur elle et décide de les ignorer. Elle s'accoude au comptoir et un serveur prend sa commande. Son téléphone vibre dans son sac. Elle le sort doucement et le message qu'elle redoutait s'affiche sur son écran.

"Je pense que c'est le moment de parier une dernière fois :)"

Elle déteste ces smileys qui lui donnent des frissons à chaque fois. Elle prend une grande inspiration et répond directement.

"Je croyais que c'était à moi de choisir ?"

Son téléphone vibre à nouveau.

"Non c'est mon tour"

Le serveur dépose un verre de vin devant Célia. Elle aurait du demander quelque chose de plus fort. Elle prend une gorgée pour le courage.

"Je vous écoute"