8.

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"Coupez !"

L'équipe technique s'agite brusquement autour d'elle, on lui enlève le micro accroché à son col et Célia se tire de son siège. Elle fait quelques sourire aux personnes présentes et tente d'essuyer discrètement ses mains moites sur son jean.
Lorsqu'elle s'éloigne enfin de la chaleur des projecteurs, une dame l'approche. "Je suis désolée est ce que c'est possible de faire une photo ? Ma fille vous admire énormément" Célia sourit et acquiesce en essayant de ne pas toucher l'épaule de la dame avec ses mains. Le téléphone est tourné dans sa direction. "Je vous jure, quand on vous voit on a l'impression que tout est possible".
Célia sent son cœur se serrer dans sa poitrine et son sourire vacille légèrement.
Elle aurait aimé être ce modèle, être réellement cette personne qu'on admire et pourtant elle n'est que la coquille vide de la fille qu'elle aimerait être. Tout sonne creux, surtout maintenant.

Lorsqu'elle sort du studio, elle aperçoit Fernando sur une des chaises de maquillage, le regard posé sur son téléphone. Une forte envie de fumer une cigarette se forme dans sa poitrine et elle prend une grande inspiration. Ses pieds l'amènent vers son coéquipier qui lève les yeux de son téléphone en l'entendant arriver.
"Alors ? tu les as fait pleurer ?". Célia a toujours aimé son accent quand il parle anglais et les plis vers ses yeux quand il sourit, comme s'il préparait toujours quelque chose.
"Oui, ils sont tous en larmes, bon courage pour prendre la suite".
Il rit doucement. Sa sagesse et son calme l'ont toujours apaisé, elle se demande si il a deja eu les mains moites face aux caméras.
Sa posture ne laisse jamais rien passer comme si le doute ne pouvait pas le toucher, comme s'il avait toujours été fait pour affronter la mort sur la piste et autres problèmes propre au reste des mortels.
Célia se sent toute petite, il y a quelque semaine encore elle aurait pu affirmer en être capable elle aussi. Ses sentiments et ses pensées incessantes la dévorent de l'intérieur, grignotant doucement le peu de confiance en elle qui lui reste. Tout ça à cause d'un putain de contrat, d'un putain de papier et de ses putains de grands rêves.
"Le décalage horaire n'a pas l'air de t'avoir épargné non plus" Célia est tiré de ses pensées, Fernando la fixe.
Ses idées de la veille lui reviennent, le sommeil a heureusement eu pitié d'elle quelques heures après.
"J'ai l'air si mal que ça ?"
Il secoue la tête et sourit. "On a pas besoin de sommeil à ton âge de toute façon".
Une maquilleuse arrive et se place devant Fernando pour retoucher les quelques brillances sur son visage. Il rit. "Apparement moi si".
Célia sourit à son tour.
Les gens passent rapidement autour d'eux, le soleil entre timidement par les grandes fenêtres et les rayons s'étirent jusqu'à ses pieds.
Une voix résonne dans le talkie-walkie de la maquilleuse, elle répond brièvement et se retourne vers Fernando. "C'est à vous dans 2 minutes".
Il lève son pouce pour lui montrer son accord et les deux pilotes la regardent s'éloigner en silence.

"Est-ce que t'as déjà eu des doutes en changeant d'écurie ?" Célia dit soudainement avant même de s'en rendre compte, ses pensées beaucoup trop bruyantes pour rester dans sa tête.
Fernando se tourne légèrement dans sa direction, surpris.
"Des doutes ? oui bien sûr, aucun être humain n'est certain en sautant dans l'inconnu"
Célia est impressionné par la formulation de sa réponse mais aussi déçue de ne pas avoir réussi à formuler la bonne question.
"Non mais ce que je veux dire c'est qu.. est ce que ... genre quand ..." Aucune phrase ne se construit dans son esprit. Le regard de Fernando est toujours posé sur elle, perçant à présent.
"Est-ce que des événements extérieurs t'ont fait douter avant ton changement ?" Ce n'est pas non plus ce que sa tête cherche à dire. Elle s'attend à un rire. Célia a l'impression d'avoir cinq ans et qu'elle apprend quels mots vont ensemble ou non.
Pendant un court instant, une émotion traverse les yeux du quarantenaire en face d'elle et Célia n'a pas le temps de la reconnaître.
Il se redresse et se racle la gorge, son regard ne l'a pas quitté. Célia se sent encore plus petite et son pieds tape le sol nerveusement.
Fernando se lève doucement de sa chaise et passe sa main sur son polo pour en enlever les plis. Célia se sent ridicule d'avoir ouvert la bouche et baisse les yeux mais à sa grande surprise, il prend la parole :
"La Formule 1 est beaucoup plus que des voitures et des contrats Célia. Tout le monde tire ses propres ficelles et il faut savoir faire les bons choix au bon moment"
Un homme également muni d'un talkie-walkie fait un signe à Fernando qui lui répond par un signe de tête. Il repose son regard sur la jeune pilote perdue en face de lui.
"Beaucoup de personnes ne voudront pas ton bien, le secret c'est de créer tes propres ficelles pour avoir toi aussi quelque chose à tirer"
"Hein ? mais comment ? C'est pas du tout clair"
Il rit à nouveau.
"C'est normal pour le moment, t'as quoi toi, genre 12 ans ?"
Célia lève les yeux au ciel.
"25"
"Exactement". Elle le pousse légèrement et le jeune homme au talkie revient dans la pièce, nerveux. Fernando tape dans ses mains.
"Allez, showtime" Il lui sert affectueusement l'épaule et s'éloigne vers le studio.
"Merci maître Senseï" lui dit Célia et elle l'entend rire avant de disparaître à travers la porte.
Célia sourit et se dirige vers son sac pour prendre son paquet de cigarettes, retournant les mots de Fernando pour y trouver un sens.

—————————————————

Le soleil du Texas est beaucoup plus réconfortant que celui d'Europe dans cette période de l'année.
Célia s'assoit sur un des rochers devant le bâtiment et allume sa cigarette. La fumée viens se loger dans sa poitrine et détend légèrement ses muscles. Elle penche la tête et recrache doucement le nuage blanc de nicotine. Fernando a raison, il faut qu'elle trouve sa ficelle à tirer, son épingle qui pourra lui donner le pouvoir de faire changer les choses. Célia sent une ombre sur son visage.
"Tu sais qu'on a des entraîneurs russes à Redbull, ils ne vont sûrement pas apprécier".
Célia pourrait reconnaître cet accent de partout, elle sourit et ouvre légèrement les yeux. Max se tient devant elle, rieur.
"La légende est donc vrai".
Il rit et s'assoit sur le rocher d'à côté. Il soupire.
"Je déteste vraiment les interviews. Faudrait plus de conduite et moins de blabla"
"Ah bon ? Moi c'est mes moments préférés"
Il la regarde un instant, surpris. C'est un des traits que Célia a toujours aimé chez lui, malgré son image de pilote dur et violent, Max est un garçon maladroit et attachant qui a souvent eu du mal avec le second degré. Elle rit doucement.

Le grondement de l'autoroute au loin se mélange au léger bruit du vent dans les feuilles.
Célia prend le temps d'observer son futur coéquipier : ses yeux bleus sont posés calmement vers l'horizon et ses larges épaules semblent serrés dans son polo Redbull. Il se tient droit, solide.
Ses pensées de la veille lui reviennent et elle ne peut s'empêcher de se demander si Max a été menacé aussi. Si quelqu'un en veut à l'écurie, en étant leur premier pilote, Max n'a pas du être épargné.
"Max, qu'est ce qui est arrivé à Alex ?"
Il se tourne face à elle, surpris par la question puis hausse les épaules, le regard inexpressif comme à son habitude.
"Hein ? bah tu le sais, son contrat n'a pas été renouvelé."
"Non mais pour de vrai"
Un éclair de doute vient perturber le visage du néerlandais. Ses yeux cherchent ceux de Célia comme s'il s'agissait d'une blague qu'il n'avait pas compris.
"Comment ça pour de vrai ? T'étais là toi aussi, tu l'as vu"
Célia ne le lâche pas des yeux, Max la fixe en retour.
"Max, tout tes coéquipiers partent un par un depuis Daniel. Pas juste de Redbull mais aussi de la Formule 1 et - " "Non Pierre est encore là" il la coupe.
"Son contrat n'a pas encore été renouvelé et toi comme moi savons que c'est tard pour un pilote".

Un silence s'installe. Elle tire sur le filtre de la cigarette.

"Qui te menace Célia ?"
C'est à son tour d'être surprise. Son cœur et ses pensées accélèrent. Max la regarde et on aperçoit presque de l'inquiétude dans ses yeux.
"Personne, j-" "C'est ce que tu voulais savoir non ?" Il la coupe à nouveau.
Célia soupire et acquiesce.
"Quelqu'un essaye de m'atteindre en touchant Pierre par la même occasion".
Max acquiesce doucement, intégrant ces nouvelles informations. 
"Tu en a parlé à quelqu'un ?"
"Non pas encore, j'ai peur que ça prenne plus d'ampleur"
Max replace son regard sur les arbres devant lui.
"C'est pour ça qu'il faut que je soit champion du monde, pour qu'on devienne intouchable"
"Max je vois pas en quoi-"
"Pourquoi tu penses que je suis encore là ? Parce que je gagne Cel." Il la coupe une nouvelle fois ce qui agace presque Célia.
"Il y a certains circuits qui valent plus que d'autres, les gens parient comme si nous étions des chevaux de courses. Il faut que tu rentres dans le jeu et que tu paris aussi"

Tout se mélange dans sa tête, elle n'y voit plus clair.
"Hein ? Parier sur quoi ?"
"Sur ta propre victoire".

Elle a soudainement envie de rire de l'absurdité de la situation. Le vent souffle plus fort dans les feuilles la ramenant à la réalité. Peut être que c'est ça sa ficelle à elle. Peut être qu'en pariant elle pourra réussi à sortir de là.
Max se lève et pose son regard sévère sur la jeune fille.
"Ne les laisse pas gagner Cel, on va finir par y arriver".
Elle hoche doucement la tête, laissant ces nouvelles informations prendre leur place dans son esprit déjà embrumé. Elle lève la tête.
"Tu me fait de l'ombre Max"
"Déjà ?"
Elle le pousse gentiment et il rit en s'éloignant vers le bâtiment.
Elle reste un instant à fixer devant elle, le mégot toujours dans la main.

Elle sort son téléphone de sa poche et ouvre le message du numéro inconnu. Ses doigts commence à taper.

"J'ai un deal à vous proposer"

Son téléphone vibre aussitôt

"Je t'écoute :)"

Les Grands ViragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant