3.

1.9K 70 0
                                    

La pluie ne s'est pas arrêtée depuis le début de la réunion. Le bruit des gouttes de pluie contre le carreau est agréable, c'est le milieu de l'après midi et pourtant le bureau est déjà sombre.
Célia ne regarde plus les images de la course sur l'écran devant elle qui lui remontre ses erreurs encore et encore. Les mots de Pierre résonnent dans sa tête, demain tout peut changer.
À force d'avoir retourner le problème dans tous les sens ce n'est plus qu'un grand noeud sans réel fin.
Son regard est attiré par la lumière de son téléphone. Son cœur fait un bond. Fausse alerte ce n'est qu'un message de sa mère.
Elle commence à le prendre pour le lire mais le repose doucement. Pas maintenant.

Marin, son coach de performance, la scrute. Elle se redresse et se racle la gorge.
Ses yeux la questionnent, elle lui sourit.
Marin a 40 ans, c'est un père de famille, fan de sport automobile. Il peut être dur mais sait montrer un petit bout de tendresse lorsque Célia en sent le besoin.

Marin retourne son attention sur les écrans et le regard de Célia se pose sur son visage. La lumière blanche des néons lui donne l'air fatigué, il est concentré comme si au bout du cinquantième visionnage il allait remarquer une vibration, un léger glissement de la voiture qui pourrait tout faire changer.
Elle se surprend à se demander si elle va lui manquer. Son cœur se sert.
Elle regarde chaque personne autour de la table : chaque homme et chaque femme qui se battent tout au long de la saison pour la faire monter jusqu'au podium.
Célia sait que les gens parlent et que la possibilité de son départ pour Redbull n'est une nouvelle
pour personne. Et si elle disait non ? seraient-ils heureux ? déçus ?
L'angoisse fait son retour dans sa poitrine, elle respire calmement.
"Concentre toi, s'il te plaît, rien n'est encore fait"

—————————————————

Sa gorge brûle, ses poumons ne semblent pas vouloir coopérer. Chaque inspiration n'amène que de la douleur, ses jambes sont lourdes.
Un coup de sifflet retentit, ses baskets freinent sur le goudron mouillé.

"Je suis sur que c'est le temps que fait Hamilton quand il va chercher le pain !"crie Diego.

Célia sourit rapidement face à son sarcasme tout en essayant de reprendre son souffle. Diego la rejoint.
Le terrain est sombre seulement éclairé par de faibles lampadaires.
"J'allais dire que c'était pas grave mais en fait si c'est grave parce que je sais que t'as fumé" lui dit-il avec son fort accent argentin.
"Ou alors c'est juste qu'il fait nuit et froid et que mes chaussures glissent beaucoup trop"
"Pas à moi boludo. Je peux voir d'ici le goudron que tu craches. Tu vas bientôt faire une nouvelle piste"
Célia retient un sourire "ha ha ha"
Elle lève les yeux au ciel.
"Profite c'est pas à Redbull que tu vas avoir du repos, ils doivent avoir des punitions pour les cigarettes"
Son cœur déjà rapide, trébuche en entendant le nom.
Elle se ressaisit et lui fait face.
"J'ai entendu dire qu'ils embauchaient des athlètes russes pour les entraînements"
Diego, comme à son habitude, n'est pas déstabilisé par sa répartie.
"Ah fais la maligne, tu riras moins dans ton entraînement du KGB"
Célia rit, ça lui fait du bien. Diego la regarde, rieur aussi.
Un petit moment de calme s'installe, on n'entend que son souffle encore irrégulier et le vent dans les arbres alentours.

"Tu voudras pas venir avec moi ?"
Diego est surpris par la question.
" Chez Redbull ? Ah non"
Son sourire est toujours là, impassible.
"Pourquoi pas ?"
Il hausse les épaules.
"Je suis bien ici"
Célia s'imagine un instant les courses, les cris sans cet accent, sans les blagues, sans lui.
"Bon bah je reste alors"

Ce n'est plus une blague, Diego semble le comprendre et la fixe un court instant.
"Je croyais que tu voulais être championne du monde ?"
"J'ai pas besoin d'être à Redbull pour être championne du monde"

Diego lui sourit, ses yeux brillent.

"Faut pas avoir peur non plus pour être championne du monde"

Touché.

Il rapproche son sifflet de ses lèvres.
"Et faut savoir courir aussi "
Il siffle un grand coup.

Célia se met à rire et part en courant. Ses jambes retrouvent un rythme, elle prend de la vitesse, elle accélère. Le froid entre dans ses vêtements et lui gèle le visage mais à ce moment là il n'y a pas de contrats, pas de Pierre, pas d'au revoir. Elle accélère encore. Les feuilles mortes glissent sous ses pieds. Elle entend les acclamations de Diego, encore plus vite. Plus vite. Elle prend une grande inspiration qui lui brûle les poumons. Chaque muscle de son corps en plein effort. Elle ressent tout, trop. Rien n'est fini, rien n'est décidé : le tour n'est pas encore terminé.

Les Grands ViragesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant