Les Grands Virages

9.

Avant une course, chaque pilote a son propre rituel. Certains se rassurent en montant toujours du même côté de la voiture, d'autres ont besoin de quelque chose de plus grand et chuchotent une prière silencieuse juste avant que les lumières s'éteignent.

Célia n'a jamais aimé l'idée de dépendre d'un geste ou d'une parole. Elle n'a jamais cru au destin ou même en Dieu, c'est elle qui prend la décision de se placer sur la ligne de départ chaque week-end à travers le monde et c'est à elle de faire en sorte qu'aucun de ces virages ne devienne fatal.
Pourtant aujourd'hui tout est différent parce que ce n'est plus à elle de décider.
Célia a le droit de parier deux fois : si elle réussi, la vidéo disparaîtra et Pierre retrouvera sa place, dans le cas contraire elle perdra son propre contrat.

La jeune pilote est debout sur le côté de la piste, à l'ombre d'un gradin. Les fans applaudissent et la musique résonnent dans les hauts parleurs. Les journalistes s'agitent pour tenter d'avoir les dernières impression des coureurs  avant le départ de la course.
Les équipes sont regroupées autour des voitures encore vides, vérifiant une dernière fois chaque réglage, chaque vis, espérant chacun pouvoir goûter à la victoire.
Célia fixe droit devant elle, son esprit concentré sur sa respiration.

"Je veux faire mon premier pari sur cette course"

"Oh tu es joueuse, j'adore. Quel est ton pari ?"

"Je peux finir dans les six premiers"

"Ma chère Célia, j'attend un peu plus de toi, il faut du challenge"

"D'accord, dans les trois premier"

"Deal :)"

Les messages tournent en boucle dans sa tête, elle ne se serait jamais imaginé capable de faire un pact avec le diable. Ses doigts tapent nerveusement sur sa jambe et elle coince sa lèvre entre ses dents.
"Les trois premières places, mais qu'est ce qui t'as pris"

Marin la rejoint pour revoir avec elle la stratégie mise en place durant le week-end et Célia a du mal à se concentrer sur les chiffres qui lui sont donné.
Par dessus l'épaule de son coach, elle croise le regard de Max. Il est impassible et dur presque intimidant, prêt pour la guerre qui l'attend. Il hoche la tête légèrement pour lui souhaiter bonne chance, Célia répond à son geste.

"Tu m'écoutes Cel ?"
Marin a les yeux posés sur la jeune fille et semble autant agacé qu'anxieux. Célia se ressaisit et acquiesce. Il reprend.
Dans moins d'une heure Célia aura 53 tours pour se sauver. Toutes ces années de bataille, toutes ces années à devoir se prouver réduit à seulement 53 tours de piste.
La pression lui fait tourner la tête, sa combinaison lui colle à la peau et Célia peine à retrouver son calme.
Elle s'approche de la voiture. On lui tape sur l'épaule, des encouragement sont lancés dans sa direction mais elle n'entend rien. Sa main se pose sur le métal déjà chaud de son engin, elle prend une grande inspiration avant d'enfiler sa baclava puis son casque. Le bruit extérieur s'atténue aussitôt, faisant ressortir ses pensées et le sang qui pulse dans ses oreilles.
Célia se glisse dans l'habitacle, ses yeux posés sur la piste devant elle.

"Les trois premières places Célia, ne les laisse pas gagner je t'en supplie"

La colère monte jusqu'à sa poitrine, ses doigts se crispent autour du volant, sa mâchoire se sert.
Les équipes s'éloignent laissant les pilotes seuls face à leur destin. Le silence s'abat sur la piste, l'anticipation gronde aussi fort que le bruit des moteurs.
Célia rabat la visière de son casque, le monde extérieur disparaît.

La première lumière s'allume. Célia caresse l'accélérateur de son pied.

La deuxième lumière apparaît.
Célia prend une grande inspiration.