Jour - 1

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On me promettait d'être le héros de mon propre roman, le personnage principal de mon film. Finalement, je serai la plume de mon journal, même pas intime, à l'encre de pixels...
Autrefois, je faisais courir mon Bic sur mes cahiers dans les rames du rer. J'ai même été édité !
Ça me semble si loin, comme les souvenirs d'un autre. Les cahiers ont progressivement cédés, sous la pression des jours, des réunions à préparer, des soumissions à l'autorité du management, de la fatigue, de la veille, de toutes les constructions absurdes dont cette foutu société fut l'architecte, et moi, le joyeux maçon, le fossoyeur qui creuse sa tombe comme on plante un parterre...

En commençant ce journal, je pensais écrire que tout avait débuté il y a un an. Mais dans un journal intime, on ne ment pas. La vérité, c'est que si je ne peux faire remonter mon burn-out à ma naissance, je pense qu'il a commencé à poindre tel une tumeur il y a de cela 18 ou 19 ans...

Sans diplôme, sans avenir, je décidais de me prendre en main, comme on pouvait encore me dire sans devoir en punition affronter mes lectures... Je décidais d'entrer en formation dans un domaine qui me semblait fascinant, et qui n'a aucune importance pour la suite...

On me refusait l'entrée, me fermait la porte, au prétexte que je n'avais pas la culture de mes ambitions... je n'avais pas les bases, comme aurait chanté le rappeur... ce que je ne trouvais pas déconnant, vu que je venais justement pour apprendre.

Lorsqu'enfin, j'amadouais Cerbère à coups de livres, qui ont toujours été mes amis, je pu enfin réussir brillamment la formation. Les capacités n'étaient pas la cause des portes fermées, et je comprendrai bien plus tard que le phénomène se déroulant sous mes yeux avait été théorisé en sociologie...

Du haut de mon ignorance, j'attribuais ma réussite à une vague notion de méritocratie. Même les pauvres y croient !

Et malgré tout, je voyais bien que je n'avais pas les codes de ce monde là... Ils ne me ressemblaient pas, ou plutôt, je ne leur ressemblait pas ! C'était moi, l'intrus !

Pourquoi avais-je ce goût amer dans la bouche ?

J'avais entrepris de m'échapper de ma condition sociale pour me mêler à cette foule imbécile, mais déjà, je comprenais que ce n'était pas le talent qui leur conférait leur légitimité... C'était quelque chose qui m'échappait encore, une sorte de reconnaissance de classe, presque de race...
Ils me haïssaient de me présenter à eux, d'en avoir l'audace, sans pouvoir me le dire...

Tu oublieras, me disait la petite voix dans ma tête...
Je n'ai pas oublié !

journal d'un burn-outOù les histoires vivent. Découvrez maintenant