Aujourd'hui, j'ai raté mon permis pour la seconde fois. Je n'ai jamais aussi mal conduit que lors de cet examen.
Lors de mon premier passage, tout s'était bien passé. Le passage en lui-même s'était bien déroulé. J'ai fait une faute éliminatoire, et les règles du jeu sont simples : adieu le permis.
Mais cette fois, ce fut différent. A peine avais-je commencé à rouler que je savais déjà que je ne l'aurais pas. J'étais tombé sur un des membres de ce clan qui détruit le monde, qui détruit les gens, qui rend violent ou dépressif, parfois les deux.
Je sors du parking, m'arrête au stop pour laisser passer un bus, mais le bus me fait un appel de phares pour me laisser passer. Nice ! Je m'engage donc en lui faisant un geste de la main, et l'examinateur prend la parole :
- Bon, Monsieur, on n'est pas là pour faire des politesses, hein !Le ton qu'il emploie réveille instantanément ma petite voix, que j'endormais en fredonnant mentalement Starman. Il est cassant, blessant, infantilisant. Ce connard paternaliste va me la faire ainsi. A partir de maintenant, il va s'agir de contenir mes mots, mes phrases, mes regards. Plus rien ne va se dérouler simplement. Mes mains agrippent le volant.
Tu vas le laisser te parler comme ça ?
J'ai pas le choix ! Si je veux pas retaper, et au prix où ça coute, je dois ronger mon frein.
- Allez, Monsieur, faut être plus dynamique là !
J'accélère. Je vois les voitures stationnées sur le côté. Il suffirait d'un bon coup de volant pour... Non !
Je répond timidement :
- Je vais essayer...
C'est une timidité de facade. J'essaie simplement de faire redescendre la pression, et de créer un environnement d'entente dans cet habitacle qui me semble se resserrer autour de nous.
- Allez, là ! On y va !
On n'appelle pas ça la place du mort pour rien, hein ?
Silence ! Ne me pousse pas !
Cet abruti est roi ici, il domine, il fait ce qu'il veut ! Et même si son royaume ne fait que quelques mètres carré, je suis actuellement dans cet espace restreint ! Je suis sous sa domination ! Je hais ces gens qui abusent de leur petite autorité. Ce sont des créatures minables. Ils manquent d'éducation, de correction, de noblesse... C'est une violence douce, sans risques, légale. Une violence sans panache.
- Bon, Monsieur, il faut faire attention, là !
On va arriver sur la voie rapide. Il faut que ça passe vite.
C'est le moment ou jamais !
- Il faut y aller !
Je suis sur la voie d'insertion, j'accélère, trop, je vais trop vite, je jette un œil vers sa face de con qui s'impatiente, rien dans le rétro, mais une voiture sur la voie rapide, au même niveau que moi, à la même vitesse... Il me presse, me pousse, je ne peux plus penser à la situation, seulement au fait qu'il est là, à quelques centimètres de moi, et qu'il est insupportable. Ce ton, cette arrogance !
- Monsieur attention !
Il a peur, fonce !
- Monsieur !
Il appuie sur le frein. Le moteur cesse de rugir. Il vient de nous sauver la vie. Je réalise.
- C'était une situation très facile Monsieur ! C'est le plus simple du monde ! Il suffisait de...
Je ne l'écoute déjà plus.
Mais en plus, il t'engueule le bougre ! Tu sais ce qui lui irait bien ? Un nouveau maquillage ! Le rouge lui irait super bien au teint !
- On va sortir à la prochaine !
C'est mieux pour tout le monde, en effet. Je l'entends de loin, le sang me bat aux tempes et ça marque la mesure dans mes tympans.
- Attention là ! Vous allez trop vite !
Il soupire, il s'agace, et je ne peux empêcher mon esprit de se souvenir que je sais exactement où il travaille, et que j'habite juste à côté. S'il arrive vivant jusqu'au centre d'examen, qu'est-ce qui m'empêchera de le croiser de nouveau ?
Ce petit batard fera durer le plaisir, jusqu'à l'arrivée, la dernière manœuvre, juste avant d'arriver. Il sait qu'il me refuse le permis, alors pourquoi prolonger le supplice ? Il prend son pied, il jouit de sa position, c'est son moment.
Tu vois qu'il mérite ta colère ! Sauve des élèves, bouffe-le ! Tu le regarde en face, tu lui explique qu'il n'est qu'un petit arrogant qui abuse de sa minuscule autorité ! Et tu lui enfonce ton coude dans la machoire !
Non ! Je suis un adulte respectable et respecté !
T'as trois fois son niveau d'études, t'as fait dix fois ce qu'il a fait ! Tu t'es retrouvé à dédicacer des livres, à piloter des gens, tu t'es retrouvé cent fois en position de force, et jamais tu t'es permis ce genre d'attitudes ! Tu vas le laisser te parler comme ça ?
Que ça se finisse bordel !
C'est un minable !
Allez, c'est terminé, on se gare...
Et tu t'es laissé te faire juger par un minable !
Je sors du véhicule sans me retourner. Mon moniteur me rattrape. Il doit nous ramener, avec une autre élève. Je monte dans la bagnole. Enfin, je suis loin de cet abruti. J'apprend que ça s'est mal passé pour ma collègue aussi.
- Qu'est-ce que je déteste ce mec ! Me dit mon moniteur.
La pression retombe instantanément.
- Il est con, il est méchant, et en plus, il est raciste ! Ce matin, on avait deux blacks qui passaient, il considère que les noirs ne savent pas conduire.
Ah parce qu'en plus d'être minable, il est raciste ! Tu vois, t'aurais dû serrer à droite !
Mais c'est terminé... Tout va bien ! Tu ne m'auras pas sur ce terrain. Il ne mérite pas ma rage...
T'auras une autre chance, va ! Je te rappellerai de lui faire payer son attitude
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journal d'un burn-out
General FictionJournal d'une prise de conscience, véritable autopsie d'un parcours menant au rejet d'une société qui vit déguisée... Ce journal est un règlement de compte, une explosion incontrôlée, où la colère s'imprègne, presque gratuitement, cherchant désespér...