- Prologue -

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Nous étions tous dans la chambre que je partageais avec les filles au moment où l'invitation nous avait été proposée. Dan et Jude, comme toujours, avaient grimpé par la fenêtre étant donné que notre dortoir était interdit aux garçons, ce qui était également valable pour nous concernant le leur. Ils appréciaient tellement notre compagnie, et nous la leur, que ce stratagème avait été mis en place trois semaines après le début de l'année scolaire. Bien sûr, l'idée n'était venue d'aucun d'entre eux et encore moins de Felicity (ma seule et véritable amie jusque-là) ou de moi-même, mais de la poupée barbie blonde qui nous servait de camarade de chambre et, à mon grand regret, de membre à part entière de notre petit groupe. Je n'avais vraiment jamais rien eu contre elle, même si c'était inutile de le préciser d'après moi ; c'était plutôt ses attitudes de petite fille à papa pourrie gâtée qui m'exaspéraient quelque peu et ce, dès le jour où ses mini-jupes et ses robes courtes avaient croisé notre chemin à Felicity et à moi lors de la rentrée.

- Eh Bobbie, murmura Dan près de mon oreille en m'empêchant, ainsi, de continuer à dévisager inconsciemment la jupe courte qu'elle portait aussi pour son uniforme. Ça va ?

- Oui ça va, lui dis-je.

J'éprouvais beaucoup de sympathie pour Dan et Jude. Je crois que sans eux, j'aurais passé mon temps à m'ennuyer entre Felicity et son coté féminin, celui qui me manquait cruellement à moi mais qui était plus qu'excessif s'agissant de Torrey car oui : ironie du sort, le prénom de notre poupée barbie blonde aux jambes dénudées avait également une consonance en « i », comme si le destin avait cherché à me narguer en disant « Et oui ! Tu n'as pas le choix, c'est ton am-ie elle aus-si ! » Mais Felicity s'entendait très bien avec elle, pareil pour les garçons - qu'on aurait d'ailleurs jamais connus sans elle. Il fallait donc compter avec elle, tout comme elle devait sûrement compter avec le garçon manqué que j'étais, puisque j'étais convaincue que les filles comme elles n'aimaient pas non plus les filles comme moi.

- Combien de temps avant les vacances de pâques déjà ? fit Jude, épuisé par ses révisions avec Felicity.

- Plus que quelques jours, Jude ; répondit celle-ci en frappant doucement le nez de son élève à l'aide de son stylo.

- Prends ton mal en patience mec ! se moqua Dan, étendu sur le sol avec moi juste devant le lit de Felicity, où nous nous étions regroupés.

Nous eûmes un léger rictus à l'exception de Jude, qui soupirait, et de Torrey, qui limait ses ongles. Physiquement, Jude avait l'air plus grand et était beaucoup plus costaud que Dan. On l'aurait pris pour une grosse brute, au vu de son apparence et de cette certaine brusquerie qu'il avait parfois, mais son regard bienveillant, et surtout le fait qu'il soit mignon, permettaient à ceux qu'il croisait de lui parler sans éprouver l'envie de s'enfuir en courant. Felicity et lui étaient les seuls de la bande à avoir des cheveux bruns, mais c'était loin d'être la seule chose qui expliquait qu'ils soient si proches...

Même si, comme pour eux, nos cheveux à Dan et moi étaient aussi noirs que l'âme de notre surveillant, il n'y avait par contre aucune ambiguïté entre nous car j'appréciais chacun des deux garçons à sa juste valeur. Si Jude était fort et courageux, il fallait reconnaitre que Dan était la personne la plus raisonnable et la plus attentive que j'avais jamais rencontrée. Certains le trouvaient peut-être ennuyeux et banal comme garçon, à cause aussi sûrement de ces quelques mèches qui allaient jusqu'au côté gauche de son front, mais c'était selon moi cette simplicité qui faisait de lui quelqu'un de spécial.

- Et, démarra finalement Torrey en arrêtant sa séance de manicure, vous comptez les passer où ?

- Passer où quoi ? lui dit Dan en relevant ses yeux de ses pieds, qui nous frôlaient presque vu que nous étions couchés sur le ventre à quelques centimètres d'eux, jusqu'à sa tête blonde entourée d'un serre-tête de couleur foncé.

- Bein les vacances Einstein !

Je me contentais de contempler le tapis sur lequel nous étions avec Dan tandis que lui et les autres fixaient Torrey avec stupéfaction.

- Pourquoi vous me regardez comme ça ? Qu'est-ce que j'ai dit ?

- Torrey, tu es vraiment sérieuse où c'est pour plaisanter que tu le dis ? l'intérrogea Jude.

- Évidemment qu'elle est sérieuse ! fit Felicity en prenant un accent britannique. Mademoiselle Torrey Sonnray ici présente pense sûrement que tout comme elle, le monde entier a déjà choisi sur tout le globe terrestre un lieu rêvé où il pourra passer chacune de ses vacances !

- Ça par exemple ! l'immita Jude en souriant, comme on le faisait tous excepté celle qui avait posé la question. Dans ce cas où passerez-vous vos vacances Mademoiselle Bloomberg ?

- Je comptais retourner au près de ma famille au cours de ces deux prochaines semaines, et peut-être que nous partirons pour la plage ensemble au lieu d'attendre l’arrivée de l'été. Et vous mon bon monsieur ?

- Moi j'avais prévu de m'allonger dans ma chambre et de m’imaginer en train de me balader dans les rues de Paris avec mon meilleur ami, qu'en dites-vous cher Dany ?

- Très très bien mes amis, entra également dans leur jeu Dan en me faisant éclater de rire.

- Je ne trouve pas ça marrant vous savez ? signala Torrey, agacée.

- Tu as raison Torrey, désolé.

Mais l'air sérieux que venait de prendre Dan disparut aussi vite qu'il était arrivé.

- Et vous miss Gardner, reprit-il au grand dam de Torrey à mon intention, comment comptez-vous passer vos vacances ?

- Eh bien moi, disais-je en m'efforçant au passage de ne pas rire comme les autres, je les passerai sûrement comme chaque année en compagnie de tout l'ameublement de notre appartement sauf s'il arrivait que mon cher papa ait une permission qui lui donnerait l'occasion de venir passer quelques jours avec moi !

Je me rendis soudainement compte que mon monologue n'amusait que moi. Lorsque je regardai les autres, je vis qu'ils me dévisageaient.

- Sérieusement ? s'étonna Jude.

- Maintenant c'est à mon tour de me demander pourquoi vous me regardez comme ça, déclarai-je.

- Pourquoi tu n'as jamais dit que tu vivais seule Bobbie ? s'enquit Felicity.

- Je ne suis pas vraiment seule, expliquai-je en riant. Mon père est toujours là, malgré ses nombreuses missions de service qui l'obligent à ne pas rester chez lui aussi longtemps que nous le voudrions. J'ai vécu avec ma tante après la mort de ma mère, il y a sept ans, mais elle s'est finalement mariée l'année dernière et c'est la raison pour laquelle je suis en pension depuis.

- Whoaw ! s'exclama Dan, aussi ébahi que les autres. Je ne savais pas tout ça !

- Moi non plus ! fit Felicity.

- Et moi qui croyait que ce n'était qu'à la télé qu'on pouvait voir des ados ne vivre avec leurs parents que quelques fois par an ; admit Jude, qui reçut alors un regard désapprobateur de la part de son meilleur ami et un coup de coude de celle de la mienne.

- Faut croire que non, puisque j'en suis l'une des preuves vivantes.

Je ne comprenais pas pourquoi ils faisaient cette tête. Franchement, je ne trouvais pas que j'étais à plaindre. Oui il m'arrivait souvent de regretter de n'avoir personne à qui parler, mais je savais que mon père faisait tout ce qu'il pouvait pour me rendre heureuse et qu'il ne se souciait de presque rien d'autre. J'en venais même à culpabiliser parfois car sans moi, il prendrait sûrement le temps de penser un peu plus à lui.

- Okay ! dit celle qui n'avait plus reparlé jusque-là, en utilisant à nouveau sa lime à ongle. Ça vous a fait plaisir de vous marrer, mais je réalise finalement que vous avez tous des plans pourris pour les vacances, je me demande même pourquoi j'ai eu l'idée de vous inviter à la maison !

- Hein ? fit tout le monde y compris moi.

- Elle est assez grande pour que vous puissiez vous y installer tous autant que vous êtes, et je sais que papa n'y verra aucun inconvénient.

- Tu veux dire que...

- Et oui !

Elle n’avait nullement eu besoin de connaitre la fin de la phrase de Felicity pour y répondre. « Je vous invite tous, et pas que toi mon Jude adoré, à passer la première semaine des vacances de pâques dans la majestueuse demeure des Sonnray ! » C'était ainsi que bras écartés, sourire aux lèvres, Torrey nous avait surpris en nous proposant à tous les quatre de venir passer les vacances de pâques chez elle.

Une fille au cœur tendre [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant