Une fille au cœur tendre [En pause]

Nouvelles du soir

Le soir qui précédait le lundi de la reprise officielle des cours, aucune de nous trois ne semblait vouloir se coucher tôt. Torrey examinait par dessus son pyjama son uniforme, Felicity m'expliquait ses vacances avec sa famille, et moi je l'écoutais avec amabilité, étendue sur le lit et la tête en avant. « ...Et ma mère après avoir vu la fille sortir de la pièce au bras de ce garçon a littéralement manqué de s'étouffer, racontait-elle. La fille de l'une de ses plus fidèles amies se donnaient en spectacle avec un garçon qui portait un piercing, et elle n'avait aucun scrupule à le faire ! Ma mère s'est tout de suite tournée vers moi et m'a dit « J'espère que ce n'est pas ce genre de filles que tu fréquentes hein ? » ». Machinalement, mes yeux se sont posés sur Torrey. La mère de Felicity piquerait certainement une crise en la rencontrant, surtout si ça arrivait un de ces jours où elle serait vêtue d'une de ses habituelles jupes courtes.

- Et tu lui as déjà parlé de..., murmurai-je en indiquant celle-ci du regard.

- Oh ne commence pas ! me sermonna Felicity, sur le même ton que j'avais employé.

Ce n'était pour moi qu'une simple question ; si elle réagissait de cette façon, ça signifiait qu'elle était consciente que notre compagne de chambre n'aurait pas plu à sa mère. « Tu sais Bobbie, dénota alors Torrey, il serait temps de dire simplement les choses au lieu de chercher en vain à les dissimuler. Je vois et j'entends tout ce que tu dis. » Surprise, Felicity se raidit un moment. Puis, elle me foudraya de ses yeux noirs. J'avais honte. Après mon involontaire confession de la veille il ne manquait plus que ça pour intensifier la tension qui grandissait entre Torrey et moi. Mais je fis un mouvement d'épaules car, il fallait au moins le reconnaitre, je n'avais vraiment rien dit de méchant, comparé d'ailleurs aux propos de la plupart des filles de l'école à son sujet.

- Tu as vu ce que tu as fait ? chuchota celle qui me faisait face.

- C'est bon, j'ai rien dit de mal ! ripostai-je en chuchotant aussi.

- Sur toutes les caractéristiques féminines que tu pouvais manifester il fallait que ça soit uniquement celle-là ?

- Ah ça va !

- Peste !

- C'est toi la peste !

- Non c'est toi !

- Arrête Felicity !

Nos chicanes cessèrent quand une petite pierre frappa l'un des carreaux de notre fenêtre. On s'immobilisa illico elle et moi.

- C'est juste le signal ! assura Torrey en y allant.

- À cette heure-ci ? s'étonna Felicity, prenant place à côté de moi.

Torrey ouvrit la fenêtre et, après avoir jeté un coup d'œil sous la rambarde, elle confirma :

- Évidemment, c'est Dan.

- Parle pas si fort, on pourrait t'entendre ! s'inquiéta Felicity.

- Mais détends-toi Felie, les autres doivent sûrement être plongés dans leurs propres discussions à l'heure qu'il est, et je parie qu'elles sont même bien moins calmes que les nôtres !

Felicity demeurait soucieuse, mais elle lui fit un sourire. Ensuite, Torrey reporta son attention sur le visiteur qui était encore en bas.

- Salut Dan !

- Mais doucement ! débitait brusquement celui-ci. Quelle lumière jaillit par cette fenêtre ? Voilà l'Orient, et Juliette est le soleil !

Elle s'esclaffa, puis elle décida de le suivre dans son délire : « Ô Roméo ! Roméo ! Mais pourquoi es-tu Roméo ? déclamait-elle. Renie ton père et à la place, prends-moi toute entière. » Elle étendit magistralement les bras en avant, comme si elle versait des milliers de pièces d'or à une myriade de pauvres gens.