19. Quelques heures avant la soirée

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Quand ça sonne, je me doute que c'est Mariam. Je ne lui ai pas franchement laissé la possibilité de me suivre quand j'ai quitté le café. Je suis partie si vite qu'elle aurait dû courir comme une dératée pour me rattraper et s'il y a bien une chose que Mariam déteste, c'est de courir. Peu importe la raison. Je crois que même pour sauver sa propre peau, elle ronchonnerait bien comme il faut avant d'accélérer le pas.

Je descends les marches de l'escalier à la va-vite. Quand j'ouvre la porte à Mariam, je fais mine de ne pas remarquer son regard sévère. Elle me tapote le haut du crâne comme à un petit toutou obéissant.

— Ça va mieux ? Tu as fini ton caca nerveux ?

Je lui tire la langue et je fais demi-tour dans le couloir. Je l'entends claquer la porte d'entrée et se débarrasser de ses chaussures tandis que je grimpe l'escalier pour gagner ma chambre. Lorsque Mariam m'y rejoint, je suis plantée devant ma penderie. Ma meilleure amie va s'affaler sur mon lit. Je l'entends se craquer les doigts. Elle sait que ce bruit m'insupporte profondément. Chaque claquement m'hérisse les poils. Je grimace.

— Arrête ça. Tout de suite.

Mariam soupire bruyamment.

— Tu es particulièrement chiante, aujourd'hui.

Je me retourne et rive mon regard au sien.

— Je ne vois pas en quoi.

— Pourquoi tu t'es emportée au café ?

— Antonin m'a saoulée.

— Pourquoi ? Il n'a rien fait de spécial.

— Il m'a saoulée, je persiste.

— Il a juste dit que les soirées chez Leo ne le bottaient pas plus que ça. Il a le droit, non ?

— C'était plus moqueur que ça.

— Tu le connais maintenant, il n'y avait pas de quoi s'énerver.

— On ne le connaît que depuis le début de l'année.

— Et ?

— Et donc je ne le connais pas depuis assez longtemps pour lire dans ses pensées comme je lis dans les tiennes.

Mariam se met à rire.

— Je suis si prévisible que ça, pour toi ?

Je lui souris.

— Tu n'es pas prévisible. On est simplement connectées après toutes ces années.

— Mouais. J'avoue que moi, des fois, j'ai un peu de mal à te suivre.

— Pourtant, je ne suis pas compliquée à comprendre.

Mariam fait la moue.

— C'est toi qui le dis.

Je me retourne vers ma penderie et en scrute le contenu.

— Des fois, juste, je me demande ce que je fous là.

— Ce que tu fous où ?

— Ici, à Antis.

Un silence s'ensuit.

— Oui, je sais.

— Des fois, souvent, j'en ai ras le cul de ce bled de merde.

— Comment ça va avec tes parents ?

— Sincèrement, ça va. Pas de problème particulier, rassure-toi.

Je me mets à jouer avec une robe qui pend sur un cintre.

— Mais je fais beaucoup d'efforts, tu sais. À attendre. À patienter gentiment que les jours, mois, années passent. Parfois, ça me submerge. Le ras le bol. J'ai envie d'envoyer chier tout le monde.

— Tu fais ta crise d'ado, quoi, lance mon amie, clairement pour détendre l'atmosphère.

Elle m'arrache un sourire.

— Si tu le dis.

— Je ne fais que constater. Une jolie, banale et simple petite crise d'ado.

— Sérieusement, l'invitation à cette soirée, elle me fait du bien. Elle tombe à pic. Ça n'allait pas fort dernièrement et là, ça me remotive. Pour te dire toute la vérité, ça me redonne envie de me lever le matin. C'est bête, tu vas me dire. Je suis bête, je sais.

— Non, ce n'est pas bête. Et tu n'es pas bête.

Après un nouveau silence, Mariam s'exclame :

— Allez, viens me faire un câlin !

Je ne me fais pas prier et m'exécute. Ma meilleure amie sait toucher la corde sensible chez moi. Elle me serre fort contre elle.

— Moi aussi, ça m'arrive d'en avoir ras le bol de ce bled. Je prends juste mon mal en patience. A dix-huit ans, on se barre ensemble, on va découvrir la vraie vie ailleurs. C'est bien ce qu'on s'est dit ?

— Oui, je dis tout bas.

— Du coup, je patiente, tranquillement.

— Tu as raison. Je vais faire pareil.

— Et puis, tu as de quoi te réjouir, ce soir, on fait la fiesta !

Je me redresse sur un coude et lui souris.

— C'est vrai. Je suis vraiment contente.

Mon amie me rend mon sourire.

— Et moi je suis contente de te voir contente.

— On est contentes ensemble, alors.

— Je suis indiscutablement contente que ce soit le cas.

Je ris.

— Heureusement qu'Antonin n'est pas là, il aurait déjà saturé du mot « contente ».

Mariam lâche un petit rire aussi, puis me dit en recouvrant son sérieux :

— Bon, je crois que tu pourrais lui envoyer un message, non ?

J'esquisse une petite moue boudeuse.

— Hum.

— Juliette ?

— Huuuum.

— Juuuuliette ?

— Ouiiiii.

— Pas de quoi rester embrouillés, hein ? Ce serait dommage.

— Bien sûr que je vais lui envoyer un message. Je crois que je vais même l'appeler.

— Super.

— Je m'en occupe dès que j'ai choisi ma tenue.

Sur quoi, je bondis sur mes pieds et sautille jusqu'à atteindre ma penderie.

— Alors, alors...

Mariam maugrée dans son coin :

— Oh seigneur, on en a pour deux heures !

— Tu as fini de râler ! Fais un petit somme, ça te fera passer le temps.

Elle ferme les yeux et enfouit sa tête dans mon oreiller.

— Pas une mauvaise idée.

— Je te réveille quand je suis prête.

Mariam se blottit dans ma couette.

— Je suis déjà en route pour le pays des rêves. Morphée m'attend.

— Bonne retrouvailles, alors.

Mariam marmonne quelques mots étouffés par mon oreiller tandis que je plonge la tête dans ma penderie.

Keep It QuietOù les histoires vivent. Découvrez maintenant