15. Mariam

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Je rentre chez moi. Il n'y a personne. Pas un chat. Mon père n'a pas fini sa journée de travail et mes sœurs sont parties à leur cours d'escrime. Quand Kadiatou a découvert cette discipline lors d'une démonstration pendant le forum des associations, il y a deux ans, elle est immédiatement devenue fan. Et depuis qu'elle la pratique, elle est encore plus mordue. Elle est douée, d'ailleurs. Son entraîneur ne fait que répéter à qui veut l'entendre qu'elle ira loin.

Évidemment, Aminata s'y est intéressée aussi. Difficile pour les jumelles de faire des activités différentes, malgré les efforts de mon père. Avec ma mère, ils n'ont pas cessé depuis la naissance de mes sœurs, de s'appliquer à les traiter chacune comme des personnes uniques et non pas systématiquement comme « les jumelles », un duo inséparable, comme le fait le reste de notre famille.

Très vite, je tourne en rond dans ma chambre. Petit regard par la fenêtre. Il ne neige plus. Je décide de ressortir. Cette fois-ci, c'est pour me rendre chez Juliette. Je n'ai que quelques rues à parcourir pour rejoindre la maison de sa famille.

Quand je sonne, c'est sa mère, Géraldine, qui m'accueille. En me découvrant devant sa porte, elle affiche instantanément un large sourire, mais rapidement, il s'efface. J'ai le sentiment qu'elle s'attendait à me trouver accompagnée.

— Bonjour Mariam. Désolée, j'ai cru que tu étais avec Juliette.

C'était donc bien ce que je pensais.

— Entre ! m'invite-t-elle en s'effaçant pour me laisser passer.

— Merci.

J'enlève mon manteau et mes chaussures couvertes de neige. Puis je gagne le salon. Paul, le père de Juliette est là, assis dans un gros fauteuil. On se salue. Il abandonne son téléphone et me fait signe de m'asseoir.

— Tu as vu Juliette ? s'enquiert-il, la voix pleine d'attentes.

Je secoue négativement la tête.

— Pas depuis que j'ai quitté la soirée, hier.

La mère de Juliette vient s'asseoir sur le canapé.

— J'ai encore tenté de l'appeler, m'apprend-elle. Son portable est sur répondeur.

— Oui, je sais. J'ai aussi essayé de la joindre plusieurs fois.

— Elle ne t'a répondu ? Ni à tes appels ni à tes messages ?

— Non.

Il y a un blanc. De la musique résonne. Ça vient de la chambre de la petite sœur de Juliette, Ambre, qui a cinq ans. Cette fillette est un véritable petit amour. Je n'ai jamais vu une enfant aussi câline et souriante.

Géraldine regarde en direction du couloir et soupire.

— Ambre m'a déjà demandé plusieurs fois où était sa sœur. Comme elle devait la garder le temps qu'on aille récupérer leur grand-mère à la gare, Ambre était surprise de ne pas la voir arriver.

— Du coup, vous avez quand même pu aller chercher votre mère ? je demande.

Géraldine acquiesce.

— On a emmené Ambre avec nous. On lui a dit que Juliette avait du retard et qu'elle la retrouverait plus tard. Ambre et sa grand-mère sont dans sa chambre. Elles sont en pleine construction d'un aérodrome en lego.

— Oh, un aérodrome, la classe !

Paul esquisse un sourire.

— Rien de mieux qu'une construction en lego pour détourner son attention.

— Je suis douée pour les constructions de tours en sucre, moi. Juliette en est très admirative, d'ailleurs.

Les parents de Juliette échangent un regard. Puis ils reportent tous les deux leur attention sur moi.

— On est préoccupés, me confie son père.

— Qu'est-ce que tu en penses, toi ? me demande sa mère.

Difficile de ne pas voir l'inquiétude dans le fond de leur yeux. Et pour être honnête, je le suis aussi.

— J'en pense que ce n'est pas normal. Vous n'avez pas de nouvelles, je n'en ai pas non plus et Antonin, c'est pareil.

On entend des pas, des rires, et le bruit d'une conversation qui se rapproche. Ambre et sa grand-mère font irruption dans la pièce. Je lance un « bonjour » à l'attention de la grand-mère, tandis qu'Ambre court vers moi, l'air ravi.

— Mariam ! crie-t-elle en me sautant dans les bras.

Je la serre contre moi. Ses longs cheveux qui sentent bon la vanille me chatouillent le visage.

— Coucou petite choupinette, je lui murmure à l'oreille.

Elle s'écarte, une moue boudeuse aux lèvres.

— Je suis pas une petite choupinette.

La mine très sérieuse, j'opine.

— Tu as raison, tu es une grande choupinette.

Son visage s'éclaire aussitôt d'un sourire satisfait.

— Oui, une très grande, même. Tu viens jouer avec moi ?

Géraldine lui répond :

— Une autre fois. C'est l'heure du bain. Mamie va te le donner, d'accord ?

La grand-mère hoche la tête d'un air entendu avant de prendre la main de sa petite fille et de l'entraîner avec elle hors de la pièce. Ambre n'oppose aucune résistance. Elle me fait un coucou de la main pour dire au revoir.

Il y a un silence. Géraldine se triture nerveusement les mains. Paul vient s'installer près d'elle, il glisse sa main entre les deux siennes et entrelace leurs doigts. Quand Géraldine rencontre le regard de son mari, elle ébauche un timide sourire. Puis elle prend une profonde inspiration.

— Personne n'a de nouvelles, alors ? dit-elle très bas, comme si elle se parlait à elle-même.

Sa tristesse est palpable. Mon cœur se serre et je sens ma gorge se nouer. Je m'éclaircis la voix.

— J'en ai bien l'impression. Leo aussi ignore où elle est.

Paul fronce les sourcils, l'air de réfléchir.

— C'est le jeune homme chez qui vous étiez ?

— Oui, c'est lui. Je suis passée le voir et il m'a confirmé qu'elle n'était plus chez lui.

— Et c'est tout, pas d'autres informations ? Quand elle est partie ? Si elle était avec quelqu'un ?

Je réponds par la négative.

— Leo a fait une publication sur ses réseaux sociaux pour demander si des personnes présentes lors de la soirée savent quelque chose.

— Et alors ? Des réponses ?

— Pas pour l'instant.

Un nouveau silence s'installe. On entend des éclats de rire en provenance de la salle de bain.

— Il faut, commence Géraldine, avant de s'arrêter et de laisser sa phrase en suspens.

— Il faut agir, poursuit Paul à sa place. Qu'est-ce qu'on fait ?

Je pense qu'on a tous la même chose en tête. Il faut simplement le formuler à haute voix. Je respire un bon coup et lance :

— On va voir la police.

Tout le monde acquiesce. Parce qu'il n'y a pas d'autre choix. Parce qu'on a besoin d'aide. 

Keep It QuietOù les histoires vivent. Découvrez maintenant