63. Mariam

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Une fois la localisation partagée à Antonin, je n'ai qu'une chose à faire : me mettre en route pour m'y rendre. En sortant de chez moi, alors que je ferme la porte d'entrée à clefs, mon regard se pose sur le scooter de mon père. Je le fixe. Mon père me le prête occasionnellement mais il est très strict sur un point : les conditions météo doivent être clémentes pour que je puisse l'utiliser. Je regarde le ciel noir. Il risque de se mettre à pleuvoir ou à neiger à tout instant et la nuit ne va pas tarder à tomber. J'ai probablement une heure devant moi avant que la clarté ne cède la place à l'obscurité.

Je ne vais pas tergiverser. À cette pensée, mon cœur se serre. Il m'est impossible de penser à ce mot sans y associer Juliette. Je prends le risque de me faire engueuler. Utiliser le deux-roues me fera gagner un temps précieux, et ça, je suis certaine que mon père pourrait le comprendre.

Je rouvre la porte d'entrée pour aller chercher le casque. Je l'enfile tout en rejoignant l'extérieur. Je grimpe sur le scooter et allume le contact. Je démarre en trombe avant de ralentir pour avancer plus lentement. Un accident à peine ma maison quittée, ce serait le comble.

Je roule quelques minutes pour sortir de la ville. Je tente du mieux que je peux de ne pas perdre l'équilibre tant le bitume est glissant. Heureusement qu'il n'est pas verglacé. Après quelques kilomètres, je m'engage sur une petite route déserte, qui serpente entre de grands sapins. Je file à travers la forêt dense et silencieuse. Un sentiment de calme m'envahit. Cette sensation d'être seule au monde ne m'effraie pas, au contraire. Je me sens bien. Apaisée.

C'est alors que j'approche de la dernière localisation de Juliette que mon cœur bat à tout rompre. Est-ce qu'elle sera là ? Que vais-je trouver ? Je ne peux pas aller plus loin avec le scooter.

Je m'arrête et le gare le long de la route, sur le bas-côté. Je lève la tête. Le ciel s'est encore assombri. Je vérifie la batterie de mon téléphone, elle est pleine. Je vais avoir besoin de la lampe torche et peut-être de devoir appeler les secours. On ne sait jamais. Si Juliette est là, dans quel état sera-t-elle ? Je ne veux pas y penser. Je ne veux pas m'imaginer quoi que ce soit.

Je m'enfonce dans la forêt. Je marche lentement, le chemin étant difficilement praticable. Les immenses sapins étendent leurs longues branches au-dessus de ma tête. Un paysage tapissé de blanc s'étend à perte de vue devant moi. Mes cheveux volettent autour de mon visage, me fouettent par moments le visage. Autour de moi, des feuilles et des branches s'envolent, balayées par le vent.

Soudain, une cabane en bois apparaît dans mon champ de vision. Je m'immobilise. Je vérifie sur mon téléphone et la zone de la dernière localisation de Juliette n'est pas loin de là.

J'accélère le pas et progresse dans sa direction. Je gravis lentement une pente pour y accéder et alors que j'approche de la construction, je sens mon cœur battre dans mes tempes.

— Juliette ? j'appelle.

Seul un lourd silence me répond.

— Juliette ? je répète plus fort en atteignant la porte de la cabane.

Toujours aucun bruit, si ce n'est ceux de la forêt qui m'entoure. Je pousse lentement la porte de la cabane. Un noir complet y règne. J'extrais une nouvelle fois mon portable de ma poche et active la lampe torche. Je balaye son faisceau lumineux dans l'espace. Il n'y a personne. Je ne sais pas quel sentiment m'anime le plus : la déception ou l'espoir. Si Juliette n'est pas ici, elle est donc ailleurs, potentiellement en bonne santé. Elle n'aurait pas fugué pour venir ici. Bien au contraire, c'est le genre d'endroit qu'elle aurait fui.

J'éclaire autour de moi. Il faut que je fouille. Je dois trouver quelque chose. N'importe quoi qui prouve que Juliette s'est bien retrouvée ici à un moment de la soirée et avant que son portable ne s'éteigne. N'importe quoi qui puisse nous donner des indications sur ce qui lui est arrivé. Sur où elle pourrait se trouver maintenant.

Je fais lentement passer la lumière d'un coin de la cabane à un autre. Tout à coup, mon regard est attiré par une petite ombre. J'oriente le faisceau de lumière dessus. Un objet traîne par terre. Je vais le ramasser. Je le pince entre le pouce et l'index et l'éclaire de mon autre main. C'est un écusson. Le genre que l'on coud ou colle sur des vêtements ou des sacs pour les décorer. Il représente un tigre et il est comme neuf. Sa propreté m'intrigue car le sol de cet endroit est assez sale. Il ne doit pas se trouver là depuis bien longtemps. Je le détaille du regard. Il est très légèrement écorché sur un côté, comme s'il avait été arraché. Il a dû se prendre dans quelque chose ou être enlevé brutalement. Je le glisse dans ma poche.

Je continue de scruter l'espace. Il n'y a rien qui me saute aux yeux. C'est un endroit où on fait la fête vu les cadavres de bouteilles et les mégots de cigarettes et de joints. Il y a des matelas crades posés les uns contre les autres en équilibre contre un mur, quelques chaises aussi empilés dans un coin.

— Ma Juju, qu'est-ce que tu es venue faire ici ?

Je regarde par la porte laissée grande ouverte. Dehors, l'obscurité s'est épaissie. Il est temps que j'y aille. Alors que je sors de la cabane, de petits flocons me fouettent les joues. Il s'est remis à neiger. Il faut que je me dépêche, si je veux m'aider des traces que j'ai laissées à l'aller et ne pas risquer qu'elles soient totalement recouvertes par la neige. Je reste immobile une seconde.

— Juliette ! je hurle en tournant sur moi-même. Juliette !

Seul l'écho de ma voix me répond. Je ne peux pas partir d'ici avant d'avoir appelé une dernière fois ma meilleure amie, même si je ne pense plus du tout la trouver ici. Toujours aucune réponse à mes appels.

À l'aide de ma lampe torche, je fais le trajet inverse. J'avance bien plus lentement. Plus péniblement. Mes pas s'enfonçant dans le tapis blanc. Je tente de progresser à grandes enjambées. Les bruits de la forêt me paraissent plus présents maintenant qu'il fait nuit. Plus étranges et inquiétants. Même angoissants. Le moindre craquement attire mon attention et certains me font sursauter. C'est l'unique moment où je regrette de ne pas être venue accompagnée. Malgré moi, je presse le pas.

Quand le faisceau lumineux de ma lampe torche éclaire la route, je soupire de soulagement. Non seulement je ne me suis pas perdue, mais j'aperçois le scooter là où je l'ai laissé. Je parcours les derniers mètres jusqu'au deux-roues. Je l'essuie à l'aide de ma manche avant de m'y installer. Je tourne la clé de contact. Le scooter ne démarre pas du premier coup, me suscitant des sueurs froides.

— Ne me fais pas ça, je murmure. S'il te plaît, s'il te plaît.

Je dois m'y reprendre à plusieurs fois pour que le moteur accepte de se lancer et l'entendre vrombir. Soulagée, j'appuie sur l'accélérateur et quitte la forêt. 

Keep It QuietOù les histoires vivent. Découvrez maintenant