18. Mariam

1.1K 143 0
                                    

Juliette a fugué. C'était l'année dernière. Elle a choisi un lundi matin pour se faire la malle. Moi, je m'étais tranquillement rendue au lycée, naïvement, comme tous les lundis matin, sans imaginer une seule seconde que ma meilleure amie avait déjà quitté la ville.

J'ai assisté au premier cours et je me suis contentée d'envoyer un seul message à Juliette pour savoir où elle en était. Elle avait déjà eu des pannes de réveil, donc pas de quoi s'alarmer.

Après le deuxième cours, j'ai tenté de l'appeler. Sans succès. C'est après la troisième heure que j'ai commencé à me dire que ce n'était pas normal. J'ai alors appelé Juliette plusieurs fois d'affilée. À chaque sonnerie, j'espérais entendre la voix de mon amie, mais cela n'a pas été le cas. Je n'ai obtenu aucune réponse.

En fin de matinée, j'avais compris qu'il y avait un souci. Juliette ne sèche pas les cours. Surtout pas sans moi. Que serait-elle allée faire toute seule ? Traîner je ne sais où dans notre bled perdu ? Comment aurait-elle occupé ces heures sans moi ?

En début d'après-midi, comme je harcelais ma meilleure amie à coups d'appels et de messages, elle a fini par me répondre par écrit. Elle m'a annoncé qu'elle était partie. Au début, je n'ai pas compris. Comment cela, elle était partie ? Partie où et faire quoi ? Elle m'a répondu en majuscule qu'elle s'était barrée de cette ville de merde. Je lui ai demandé si elle blaguait. Elle m'a rétorqué qu'elle n'avait jamais été aussi sérieuse de sa vie. Elle avait pris le premier car, à six heures du matin, vers la grande ville la plus proche et n'avait pas l'intention de revenir dans notre trou paumé. J'étais complètement abasourdie. Je n'ignorais pas que ma meilleure amie n'en pouvait plus de vivre à Antis, qu'elle comptait quasiment les jours jusqu'à sa majorité, mais je n'avais pas imaginé une seule seconde qu'elle serait prête à tout quitter un beau matin, sans avoir fini le lycée. Et surtout, sans prévenir personne. Et particulièrement sans me prévenir, moi, sa meilleure amie !

Pourquoi était-elle remontée de la sorte ? Que s'était-il passé pour qu'elle prenne une décision aussi radicale ? Juliette avait mis un peu de temps avant de répondre à mes questions. Elle avait fini par me confier qu'au-delà de son ras le bol de cette vie terne et de cette ville morte, l'entente avec ses parents n'était pas au beau fixe. Ils n'ont jamais compris le dégoût de Juliette pour cette ville qui, pour eux, comme pour tant d'autres, était le lieu parfait pour élever leurs enfants.

C'est pendant que j'échangeais par messages écrits avec Juliette que ses parents m'ont contactée. Le lycée les avait prévenus de l'absence de leur fille et ils cherchaient à savoir si Juliette faisait l'école buissonnière en ma compagnie. Je leur ai d'abord seulement répondu que non, je n'étais pas avec elle et que j'étais en cours. C'est bien plus tard que je les ai informés que Juliette n'était pas à Antis. Bien après avoir réussi à convaincre Juliette de revenir. Je ne les ai pas prévenus immédiatement car j'étais tiraillée. D'un côté, je ne voulais pas trahir ma meilleure amie qui ne souhaitait pas que ses proches apprennent où elle se trouvait. Et d'un autre, j'étais profondément triste à l'idée de savoir que ses parents se faisaient un sang d'encre.

Juliette est rentrée le soir-même. Elle a repris le car, en sens inverse. Elle a admis spontanément qu'elle avait fait une erreur en s'enfuyant de cette façon. Elle était partie avec un minuscule sac à dos rempli de quelques vêtements, sa brosse à dents, son chargeur de portable et ses économies qui s'élevaient à une quarantaine d'euros.

Elle a promis à ses parents qu'elle ne leur ferait pas revivre une frayeur comme celle qu'ils avaient vécu. Et Juliette a assuré à sa petite sœur Ambre, terrifiée à l'idée que sa grande sœur disparaisse de sa vie, qu'elle l'emmènerait avec elle découvrir sa nouvelle maison, le jour où elle n'habiterait plus à Antis. Ambre n'avait accepté qu'à condition qu'elles dégustent d'abord ensemble une énorme glace à la pistache, achetée chez le glacier qui s'installe sur la place centrale d'Antis tous les étés.

Si Juliette avait réellement l'intention de respecter la promesse faite à sa petite sœur, il n'était pas imaginable qu'elle disparaisse de nouveau sans crier gare en plein hiver.






Keep It QuietOù les histoires vivent. Découvrez maintenant