91. La fin de la soirée

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L'arme est pointée sur moi. Je ne vois qu'elle. Mon instinct ne m'intime alors qu'une chose : fuis. Je pivote sur moi-même et me mets à courir à perdre haleine.

— Attends ! me hurle le gars.

Je ne l'écoute pas. Je suis lancée. Je ne m'arrêterai pas. Je veux quitter cet endroit. M'éloigner de tous ces gens. Toutes ces mauvaises personnes qui m'ont fait du mal. Qui me font du mal. Qui me feront du mal.

J'ai toujours pensé que cet endroit n'était pas pour moi. Je n'aurais jamais dû revenir ici l'année dernière. Je n'aurais jamais dû rentrer de ma fugue. Antis n'était déjà plus un endroit pour moi à cette époque.

Je cours. Je ne pense pas. Je ne réfléchis pas. Je veux tout laisser derrière moi. Cette soirée. Cette ville. Cette vie. Je ne vois rien. Il fait nuit noir. Je suis entourée par des ténèbres profondes. La neige qui continue de tomber me fouette le visage tandis que je cours, progressant de plus en plus difficilement sur le sol couvert d'un épais tapis blanc.

La zone devient de plus en plus compliquée à parcourir, il y a des rochers, de grosses racines et des souches d'arbres sur lesquels je bute, et de larges branches arrachées par le vent dans lesquelles je risque de me prendre les pieds.

Mon cœur bat la chamade. J'ai l'impression d'entendre une respiration derrière moi. Il me poursuit avec son arme. Je suis sûre qu'il est tout proche, qu'il me talonne. Je ne veux pas regarder et je ne peux pas. Il fait si noir. Je ne distingue rien. Pas même mes propres pieds que je sens s'enfoncer dans l'épais tapis neigeux.

Tout mon corps est douloureux, engourdi de froid. Mes pensées sont claires, nettes, comme si tout l'alcool avait entièrement disparu de mon organisme. Cette arme braquée sur moi m'a complètement sortie de ma léthargie.

J'accélère la cadence, je cours plus vite que je n'ai jamais couru. Je halète. J'ai mal dans la poitrine. Je manque de tomber plusieurs fois. Alors que je m'apprête à ralentir à bout de souffle, je sens mes pied buter dans quelque chose. Un gros rocher. Je bascule sur le côté, je tente en vain de m'accrocher à quelque chose pour ne pas perdre l'équilibre. Je chute dans le vide. Un ravin.

Je dévale la pente raide, la tête la première. Mon sac m'échappe et se retrouve projeté loin de moi. Je glisse, encore et encore. Dans un geste désespéré, je tente d'agripper n'importe quoi, de me raccrocher à tout ce qui passe sous mes mains. Mes paumes frottent la paroi du ravin jusqu'à m'écorcher la peau tandis que je dégringole.

Des amas de neige s'écrasent sur mon visage. Je veux hurler mais aucun son ne passe la barrière de mes lèvres. La neige me rentre dans le nez, les yeux, la bouche. Une violente bourrasque m'emporte et m'entraîne de plus en plus bas. Je sais qu'en contrebas, il y a un lac. Gelé. Résistera-t-il a mon poids si je heurte brutalement la surface ? Ce lac est si profond. J'y disparaîtrais pour toujours.

Une grosse racine d'arbre me percute de plein fouet et m'arrête dans ma chute. Ma tête heurte violemment la paroi du ravin. Sur le coup, je reste sonnée. Après quelques secondes, je tente de me redresser pour gravir la pente, escalader et remonter en haut du ravin, mais je ne peux pas, mes jambes ne me répondent pas. Impossible de me lever.

Mon téléphone... Il est dans mon sac.

Couchée sur le côté, je grelotte. J'ai mal partout. Ma tête me fait horriblement souffrir. Je ferme les yeux un instant avant de les rouvrir. Le ciel étoilé. Toujours aussi beau. Ça scintille de partout. Mariam aimerait ce spectacle. Et moi, j'aimerais qu'elle soit là.

J'ai si froid. Je ne sens plus mes doigts. Je tremble violemment. Ma tête. Mon Dieu, qu'elle me fait mal. Je garde les paupières closes. Ne pas m'épuiser. Conserver des forces. Attendre qu'on vienne me chercher. Car on viendra forcément me chercher. Attendre. Faire abstraction du froid. Attendre. Conserver des forces. Faire abstraction du froid. Attendre... 

Keep It QuietOù les histoires vivent. Découvrez maintenant