1. Mariam

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Mes yeux s'ouvrent d'un coup à sept heures du matin. C'est vachement tôt pour un lendemain de soirée. Mon cerveau n'a pas intégré le fait que c'est le week-end.

Allez, Mariam, rendors-toi. Je referme les paupières. Les minutes passent et mon corps semble faire la grève. C'est dingue, ça. C'est quand on a la possibilité de faire la grasse matinée jusqu'à pas d'heure que le corps en décide autrement. Alors qu'un bon lundi matin où il est impératif de partir aux aurores, ce même corps rechigne à se mettre en route. Que c'est exaspérant !

Je maugrée en enfouissant ma tête dans l'oreiller. Je vais persévérer. Ce satané corps va se rendormir. Non mais, qui est-ce qui décide, ici !

Je me tourne et me retourne dans mon lit. Qui est-ce qui fait la sourde oreille ? Ce bon vieux sommeil.

OK, j'ai compris, j'abandonne. Comme dirait ma grand-mère : debout, là-dedans !

J'envoie ma couette valser au bout de mon lit et je me lève. Je récupère mes lunettes sur ma table de chevet et les enfile. Ça y est, le monde devient net. Mes lunettes, je les appelle "mes yeux", car sans elles, je ne vois littéralement rien. Je suis une taupe. Mais une taupe-model. Je ne sais plus qui a dit ça, mais j'aime bien l'idée. J'ai une grosse paire de lunettes, certes, mais je me sens bien avec. Les lentilles, c'est pratique mais c'est pas automatique !

En me dirigeant vers ma porte, j'en profite pour ramasser les affaires que j'ai abandonnées cette nuit sur le sol. J'étais claquée à mon retour de la soirée et je n'avais qu'une envie : m'effondrer dans mon lit. J'ai donc semé mes vêtements à mesure que je me déshabillais. Ça montre le chemin que j'ai emprunté, comme les cailloux du petit poucet.

Je sors de ma chambre et descends l'escalier pour rejoindre la cuisine. Il y flotte une douce odeur de café. La cafetière est toujours allumée, mon père l'a utilisée avant de partir travailler. Il est directeur de l'école primaire de notre petite ville et il est plus que passionné par son travail, il est mordu !

Le samedi, il bosse toujours. Il garde le dimanche comme journée de repos. Depuis que ma mère nous a quittés, cette journée qu'on a toujours passée en famille est devenue encore plus importante.

Je me sers une tasse, y ajoute un peu de sucre et de lait d'amande. Puis, je vais me percher sur un tabouret à côté de la fenêtre qui donne sur notre petit jardin.

Il a neigé toute la nuit, le sol est couvert d'une épaisse couche blanche et de légers flocons continuent de tomber lentement. J'adore ce temps. L'hiver est ma saison préférée et quand il neige, je suis aux anges.

Je suis en pleine contemplation de la danse des flocons quand j'entends des portes claquer et des voix résonner. Mes sœurs sont réveillées. Kadiatou et Aminata. Jumelles de treize ans qui sont plus bruyantes à elles deux que toute une classe de trente élèves réunis. Les tornades, je les surnomme.

Elles font irruption dans la cuisine en se chamaillant. Rien de bien nouveau sous le soleil. Leurs disputes matinales sont une constante. Pas que matinales, en fait.

L'une se précipite sur le frigo pour en sortir le lait, pas d'amande pour le coup, je suis la seule végétalienne de cette famille. L'autre se jette sur le placard pour attraper le paquet de céréales et y plonger directement la main. Je vais prendre deux bols et des cuillères, et les déposer sur la table.

— Mariam ! hurle Kadiatou. Ta soirée, c'était comment ?

— Très bien, je réponds en me rasseyant.

— Tu as bu combien de verres ? me demande-t-elle.

Qu'est-ce que c'est que cette question ?!

— T'étais bien imbibée ? s'enquiert Aminata, la bouche pleine et la main de nouveau plongée au fond du paquet de céréales.

Sa jumelle la regarde du coin de l'œil et ricane.

— Imbibée, c'est quoi cette expression de merde ?

Aminata lui donne un coup de coude dans les côtes.

— Surveille ton langage !

Kadiatou lui répond par un coup d'épaule.

— Arrête, on dirait papa !

J'avale une grosse gorgée de mon café et lance à l'attention de mes sœurs :

— Bon, ce n'est pas que je n'aime pas discuter avec vous, mais j'ai des devoirs...

Pas faux mais j'ai surtout envie de calme. Mes sœurs sont bien trop dynamiques et bruyantes dès le matin pour mes oreilles.

Je quitte mon siège et m'approche de l'évier.

— Attends, tu ne m'as pas répondu ! me reproche Kadiatou avec une petite moue. Tu as beaucoup bu ?

Je soupire et me tourne vers ma petite sœur.

— C'est quoi cette obsession ?! Non, je n'ai pas beaucoup bu. Tu sais, lors d'une soirée, on peut faire plein d'autres choses que de boire de l'alcool !

J'avale le fond de ma tasse. Aminata hoche la tête avec un grand sourire.

— Oui, comme coucher. Tu as couché ?

Je m'étrangle avec ma gorgée de café.

— Seigneur !

— Bah quoi, on peut faire ça aussi, pendant une soirée, non ?

Je lève les yeux au ciel.

— Ou juste s'amuser. Vous savez, discuter, danser, faire des jeux.

Mes sœurs échangent un regard de connivence et éclatent de rire.

Faire des jeux ? répètent-elles en chœur avant de rire encore et encore. C'est qui les collégiens, nous ou vous ? Ou plutôt des enfants de maternelle ! On fait des jeux !

— Vous êtes incroyables, je souffle.

Aminata arrête de rire et s'exclame :

— Attends, tu parles de jeux d'alcool, c'est ça ? Ou le jeu de la bouteille ?

Je ne peux pas m'empêcher de lever une nouvelle fois les yeux au ciel.

— Vous m'épuisez ! Je vous laisse.

— Même si tu ne veux rien nous dire, on verra tout sur Insta, je suis sûre, assène Kadiatou.

— On sait tout de nos jours grâce à internet, ajoute sa jumelle. On peut fouiller, fouiner, farfouiller...

— Faîtes donc cela.

Je rince ma tasse et la dépose dans le lave-vaisselle avant de m'échapper de la cuisine.

En grimpant les marches, j'entends mes sœurs continuer de parler de la fête d'hier soir. C'est fou comme nombre de personnes étaient obsédées par cette soirée. Collégiens compris. Une bonne partie d'entre eux devaient rêver d'y être. Mes sœurs les premières.

Mais le déroulement de ma soirée n'a rien eu à voir avec le tableau qu'elles semblent s'en être fait. Et heureusement ! Je n'ai pas bu jusqu'à vomir mes tripes et encore moins coucher avec le premier venu. 

Pour ma meilleure amie Juliette, par contre, je ne me prononcerai pas. La connaissant, il est peu probable qu'elle ait fini complètement arrachée et au lit avec quelqu'un, mais on ne sait jamais. Je suis partie avant elle donc il m'est impossible de savoir comment elle a utilisé son temps jusqu'à son départ de la soirée. Il n'y a qu'elle qui pourra me le dire. Il est d'ailleurs bientôt temps de prendre de ses nouvelles. 


Keep It QuietOù les histoires vivent. Découvrez maintenant