Le boulevard est bondé de gens ivres, heureux, pressés, qui débauchent à peine, certains partent au travail, à cette heure tardive de la nuit.
Parmi cette foule hétérogène, il avance à bonne allure, sûr de lui, bien dans son estime. Dans une main, une cigarette allumée et dans l'autre, un téléphone qui sonne inlassablement.

- dis à cette connasse d'arrêter de t'appeler ou bloque la, elle va nous gâcher la soirée.

Il hausse les épaules. Il s'en fout. Il aime bien qu'on le désire, qu'on se soucie de lui. Mais il sait d'avance qu'il ne prendra pas son appel. Ni celui-là, ni les vingt-huit autres qui le succèdent. Comme l'a si bien dit sa meilleure amie, elle n'est rien d'autre qu'une connasse. Pour tout ce qu'elle a dit, tous les gars avec qui elle a couché pendant que lui l'attendait comme un con avec un bouquet de lilas sur son canapé. Des putains de lilas. C'était ses fleurs préférées. Il le savait. Il savait tout d'elle. Il avait apprit sur le bout des doigts ses passions, ses auteurs favoris, la musique qu'elle écoutait, la couleur qu'elle trouvait la plus belle, son obsession ridicule pour les bougies parfumées, ses points sensibles et tout le reste. En bref, il la savait par cœur. Et elle s'était torché avec son amour. La rage serre sa mâchoire et sans réfléchir réellement, il balance l'appareil qui se brise en morceaux sur le macadam. Ses amis le regarde de travers.

- t'as pété un câble, vieux ?

- c'est encore elle, c'est ça ?

La petite blonde attend une réponse, pendue à son bras, soucieuse alors que lui extirpe une nouvelle cigarette de son paquet avant de l'enflammer pour expirer un nuage ample de nicotine.

- qu'elle crève.

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De l'autre côté de la rue, dans un bar pas si loin, elle essuie ses mains sur son tablier imbibé de différents alcools. Elle ne fait plus attention aux vieux dégueulasses qui glissent leurs yeux entre ses seins ou sur la naissance de ses cuisses qu'offre sa jupe. Elle n'a jamais vraiment voulu comprendre pourquoi tous les mecs du service portent des pantalons alors qu'elle, n'en a pas le droit. Au fond d'elle, elle sait. Mais elle préfère ignorer cette injustice poussiéreuse plutôt que de piquer un scandale dans le risque de perdre son job. Elle s'était promis de le faire lorsqu'elle aurait vendu son premier tableau et qu'elle gagnerait sa vie grâce à sa passion.
Elle ne tient pas plus que ça à son travail, elle le déteste même. Être une femme et être serveuse, c'est un packaging complet vendu avec pas mal de merdes. Vingt heures à une heure du matin, tous les jours, au milieu d'hommes pas très lucides, dans un putain de bar clos qui dégage une chaleur épouvantable après vingt-trois heures et une odeur absolument terrible.

Elle a grandit dans cette société patriarcale et s'est douloureusement habituée aux inégalités auxquelles elle fait face jour après jour. Mais malgré tout, sa tolérance perdure à être inexistante lorsqu'on lui manque de respect, à elle ou une autre.
"Fais toi discrète, rase les murs, il ne t'arrivera rien". On lui a répété ça jusqu'à ce qu'elle intègre parfaitement chaque syllabe, mais c'est une vaste arnaque. Elle a eu beau porter des vêtements mille fois trop grands, passer sa capuche sur ses cheveux ambrés, visser ses écouteurs dans ses oreilles, avancer vite en coinçant ses clés entre ses phalanges, il n'y a rien qui n'arrête un homme aux idées fixes. Alors elle a arrêté de se prendre la tête. Elle vit comme ça lui chante et si on s'avise de l'emmerder, elle saura se défendre. Elle a déjà dû le faire. Et elle le refera sans se faire prier.

Les lumières tamisées de l'échoppe rendent l'endroit plus ou moins présentable. Elle fixe avec attention les fines aiguilles de l'horloge murale. Dans une heure et quart, elle finira son service. Un soupire d'exténuement lui échappe. Elle attrape une bouteille de martini pendant qu'elle encaisse trois femmes qui tiennent à peine sur leurs pieds. Elle aurait voulu les prévenir et leur dire de faire attention sur la route, mais elles riaient si fort qu'elles n'auraient même pas entendu la pauvre serveuse. Elle balaye ses cheveux derrière son épaule.

Il y eut soudain une légère fraîcheur dans la pièce. Elle relève les yeux vers la porte vitrée. Une fille venait de passer la porte, accompagnée par un garçon bien plus grand qu'elle, dont la chevelure de jais atteignait le bas de son dos. Mais elle n'y prête pas attention. Elle n'en fait pas moins pour son ami blond qui déambule maintenant vers le comptoir. Son regard est figé sur lui.

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Premier chapitre de Haut les cœurs.
Merci à tous ceux qui ont lu en avant-première les chapitres et qui m'ont motivée alors que je perdais pied, et merci surtout à ceux qui m'ont inspirée :)
En espérant que vous aimerez toujours mes histoires, et en particulier celle-là, puisqu'elle me tient tellement à cœur. Je vous dois les belles choses qui m'arrivent ici.
Je vous aime <3

lou

HAUT LES CŒURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant