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Déception :
[n.f] État ou sentiment d'une personne déçue, trompée dans son attente.

Les yeux de Livia refusèrent d'abord de s'ouvrir, impénétrables face au soleil qui tapait sur le mur contre lequel était calé son lit. Elle se tourne en grommelant et enfouit son visage dans le coton de l'oreiller. Seulement, alors qu'elle est sur le point de se rendormir, un détail lui vient, un détail qu'elle n'avait jusque-là pas encore interprété : le lit est vide.
Or, elle n'a rien oublié de la nuit précédente. Et pour cause, son corps entier, engourdi et parcouru de crampes, lui rappelle au mieux les actes de la soirée passée.
Elle trouve finalement le courage et la force de se hisser hors du lit et s'avance vers le salon. L'ataraxie de la vieille avait été remplacée par une affreuse nervosité.
Elle se force à croire qu'il l'attend dans le salon. Mais la serveuse a toujours fait confiance à son instinct.
Et là, elle sait qu'elle est la seule présence dans son appartement.

Elle s'y attendait, mais se retrouve étonnement déçue lorsqu'elle constate le vide dans la pièce à vivre et la cuisine.
La blonde se laisse tomber mollement sur le sofa. Juste là, sur la table basse acajou, repose un petit bout de papier plié en deux. Elle le saisit entre ses mains.

Merci infiniment pour hier soir. Désolé d'être parti comme ça, je devais m'échapper.
Je reviendrai te voir, promis.

Elle froisse le mot écrit à la va-vite et le balance à travers la pièce alors que ses yeux s'emplissent de larmes. Aussi conne qu'avant. Chapeau bas, pétasse. L'utopie montée de toutes pièces sur l'oreiller il y a quelques heures se casse honteusement la gueule. instantanément. Elle savait à l'avance qu'il ne reviendrait pas. Elle connait la chanson. Il ne se souviendra peut-être même pas de son adresse, il a probablement même oublié son prénom. Et comme si ça ne suffisait pas, il n'a même pas daigner lui laisser son numéro. Ça ne l'aurait pas déçue, venant d'un autre. Mais elle avait misé différemment sur lui. Livia se recroqueville sur elle-même, sanglotant en silence, et demeure ainsi une bonne partie de la matinée.

Vers quinze heures, son stock de chagrin à son apogée, elle finit par regagner la salle de bain en traînant des pieds. Horrifiée de se découvrir dans le reflet du miroir, et manque presque de s'effondrer de nouveau. Mais elle est pas comme ça, Livia. Elle se laisse pas abattre si facilement.
Et pendant qu'elle s'affaire à arranger sa mine morbide, elle songe à appeler son patron pour lui annoncer son absence ce soir. Elle n'a pas la force ni la motivation nécessaire pour assurer son job.
"je retire cinquante à ta paye par heure manquée." C'était le deal. Elle ne savait pas si il avait le droit de faire ça, mais la menace était efficace. Elle n'avait jamais manqué au bar. Elle se convint alors elle-même d'arrêter de soupirer à tout va et enfile le même manteau que la veille pour quitter son appartement.

Dehors, le froid persiste. Il s'infiltre dans le cœur du chanteur. Il n'arrive pas à ne plus penser à elle. Il a cette image précise en tête. Elle, qui chavire en dessous de lui, et lui qui la maintient en posant des mains attentionnées sur ses hanches.
Il regrette amèrement d'être parti avant le réveil de Livia, mais n'avait pas d'autre solution. Sa manager l'attend pour onze heures, et il a été mis en garde de nombreuses fois sur la ponctualité.
Il s'est promis intérieurement, comme le disait la note laissée sur la table du salon, qu'il viendrait la trouver un peu plus tard. Pour l'instant, il arpente les rues désertes en direction du local dans lequel il avait rendez-vous.
Depuis qu'il était jeune, il avait cette passion dévorante pour la musique. Une passion qui l'animait. Avoir rencontré Thomas était une des plus belles choses qui ait pu lui arriver. Un peu grâce à tout le monde, il vivait maintenant de cette passion-là. Du haut de ses vingt-et-un ans, le voilà chanteur. Il n'en est pas peu fier.
Vers 2016, Victoria avait fondé, avec eux, le groupe. Ils avaient fait un chemin fou, en regardant en arrière. Un sourire se dessine sur la visage du brun qui fixe ses pieds en avançant.
Ça ne lui arrive que peu, repenser à son parcours. Mais il est d'humeur.
Un air se joue dans sa tête. Un truc festif, entraînant, estival. Et au milieu de cette mélodie, il ne peut s'empêcher de la rêver. À la façon dont elle lui sourit, sa voix doucereuse, son corps qui s'ondule contre le sien, et voilà qu'il sourit plus intensément, comme un idiot. Livia. Même son nom est mélodique. Elle le fascine.
Une pensée surgit dans son esprit.
Il la tient, sa nouvelle source d'inspiration.

Vingt-trois heures sonnent à l'horloge du bar, laissant à Livia un râle de désespoir. Elle est à la moitié de son service, mais n'en peut déjà plus. Ce soir semble pire que les précédents. Il faut dire que le début de la journée fut rude question émotion. Elle se penche en avant et aperçoit la table du fond, vide. Son cœur se serre. Elle aurait préféré ne pas être venue hier, quitte à perdre une bonne partie de son solde habituel.

De l'autre côté de la porte, Damiano se tient debout, nerveux, tire sur son long manteau noir. Il peut l'apercevoir au travers de la vitre. Elle semble tellement éteinte. Il en vient à se demander si c'est de sa faute ou si elle est juste fatiguée. Il hésite un long moment, avant de finalement entrer dans l'échoppe.
Le tintement accueillant indique son arrivée. Mais la serveuse ne lève pas les yeux. Elle doit avoir l'habitude de ce son. Il ne peut s'empêcher de la plaindre en silence. Il l'admire également pour ça : avoir le courage d'exercer ce métier.
C'est à lui d'avoir du courage désormais. Il s'avance vers elle, et se penche au comptoir.

- bonsoir, il murmure presque.

Subitement, elle ouvre de grands yeux qu'elle pose sur lui. Il sourit. Mais pas elle. Elle garde cette mine surprise, presque effarée. Il s'inquiète désormais.

- désolé pour ce matin, j'sais pas si tu as lu mon mot, mais je devais...

- on peut en parler plus tard ?

Son ton est sec. Il hoche la tête en baissant le regard vers le sol.

- je t'attendrai dehors.

Et à ces mots, il quitte le bar. Il s'assoit en silence sur une chaise à l'extérieur et passe ses paumes sur son visage. Pour le coup, il a conscience qu'il n'a pas assuré du tout. Mais il sait qu'il n'abandonnera pas pour autant, même si la jolie serveuse semblait tant contrariée. Il se résigne tout de même à l'attendre, autant de temps qu'il le faudra, pour lui parler face à face.

Mais au bout de quelques minutes, la porte s'ouvre. Il se redresse. Elle est là, juste devant lui, dans le même manteau qu'hier. Il eut un bref sourire.

- salut, Livia.

- j'pensais pas que tu te souviendrais de mon prénom.

Le sarcasme à noter dans sa voix le pique droit au cœur. Il tente tout de même de lui proposer de s'asseoir avec lui, ce qu'elle refuse. Alors il prend la décision de se lever.

- je m'excuse, sincèrement. C'est pas comme ça que je vois les choses, je te le promets. Mais j'avais des rendez-vous importants ce matin, j'étais vraiment nerveux et speedé, j'te demande pardon.

- t'aurais pu faire l'effort de me donner ton numéro, non ?

- justement, j'voulais attendre que tu te réveilles pour t'expliquer, mais tu dormais tellement bien, et j'avais peur d'être en retard. Disons que j'ai éclaté mon portable sur la route hier soir.

Les bras de la blonde retombent le long de son corps.

- comment t'as fait ton compte ?

- j'étais un peu en colère, alors je l'ai balancé...

Il a un peu honte de son impulsivité. Mais il se détend en la voyant rire.
En temps normal, ça l'aurait alarmée. Mais elle sait qui il est et comment il agit avec elle pour avoir peur de lui. Elle se contente de rire.
Damiano rit aussi, faiblement, soulagé qu'elle comprenne.

- je t'avais dis que je reviendrai te voir, et tu vois, je promets jamais des trucs dans le vent.

Il tente une approche, simple, ses bras autour de ses hanches, elle ne bouge pas.

- j'comptais pas te laisser me filer entre les doigts.

Elle a un sourire. Le brun sent son cœur retomber doucement. Elle s'était sentie si mal ce matin, l'espace de cet instant, elle était sereine à nouveau.

- est-ce que tu as débauché ?

- ouais, il m'a laissé partir plus tôt, grand exploit.

- alors, je peux te ramener chez moi ? J'ai cuisiné pour deux dans l'espoir que tu viennes.

Livia sourit jusqu'aux oreilles. Elle ne lui en voulait plus du tout. C'était tant attentionné qu'elle n'en revenait pas. Elle hoche vigoureusement la tête, arrachant un rire franc au chanteur qui se détendait face à son attitude moins froide. Il brandit ses clés de voiture et lui tend son bras, auquel elle s'accroche, reprenant ensemble la même direction empruntée la veille.

HAUT LES CŒURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant