Le moteur reste éteint.
Les larmes valsent et dégringolent sur les joues de la serveuse, viennent mourir sur sa poitrine agitée. Elle a peur, il sait.
Il détache sa ceinture pour venir l'enlacer. Elle pleure d'avantage contre son épaule.
Il faut un moment pour la calmer, avant qu'il ne puisse la rattacher et démarrer enfin.
"On en parle quand on est arrivés, promis."
Il lui a déjà dit qu'il tenait ses promesses.
Mais quand ils arrivent en bas de l'appartement, elle voudrait bien qu'il ai menti.

Ils montent en silence, à fixer le plancher de l'ascenseur jusqu'à ce que la machine s'arrête. L'incident misérable survenu à peine une demi-heure plus tôt cisaille l'esprit torturé du chanteur qui se préoccupe de chaque détail.
Maintenant, il observe Livia, les joues humides, les yeux rouges d'avoir trop pleuré, la fatigue pendue au cou en nœud coulant.
Il prend sa main pour sortir, ne le lâche pas jusqu'à sa porte. Et jusqu'au lit. Il l'y fait s'asseoir au bord.
Il s'accroupit entre ses jambes, ses mains balayent ses joues pendant qu'elle ferme les yeux.

- tu sais, quand un frère rencontre le mec de sa petite sœur, ça fait toujours un truc, une rage. Vic, elle est pareil. Fut un temps, j'me laissais facilement mener en bateau par toutes les filles que je côtoyais de près de ou de loin. Elle veut pas que ça arrive de nouveau.

- mais moi, j'suis pas comme ça.

Elle a la voix qui tremble encore et les yeux qui balayent l'obscurité dans la panique.

- non, je sais bien. Victoria le sait pas, elle. Faut qu'elle apprenne à te connaître. Ça ira mieux après, j'te le promets Liv.

Elle sourit un peu, alors il a moins peur soudainement. Il se redresse en déposant ses lèvres sur son front, et s'éloigne. Elle reste assise, en statue de marbre.
Il revient avec un haut, le dépose à côté. Souvent, pendant leurs nuits communes improvisées, il lui file ses fringues, qu'elle ne garde pas bien longtemps. Mais l'intention est chouette. Et il la trouve parfaite dans ses vêtements, encore plus qu'à l'ordinaire.
Elle porte ses mains à sa chemise et en défait les premiers boutons. Trop lentement. Ça lui fait quelque chose, une vague chaude dans le ventre. Alors il se lève pour aller se déshabiller de son côté, excuse pour surtout décoller ses yeux de son corps presque découvert.
C'est pas une soirée pour faire l'amour. C'est une soirée pour la rassurer, la dissuader de ses peurs. Qui, pour tout autre pourraient sembler minimes, mais pour elle ont un impact incommensurable.
Il la tiendra autant de temps qu'elle le voudra, et l'écoutera parler. Il l'a fait avec d'autres avant. Mais elles n'avaient pas autant de sens à son cœur que Livia en a.

Il l'invite à le rejoindre, calé contre la tête de lit. Elle le fait, s'avance très lentement, comme hésitante. Elle hésite de partout. Dans sa tête et sa poitrine, son ventre et ses mains, un ouragan, une bourrasque de non-sens, un capharnaüm.
Elle voudrait se cacher, s'enfouir quelque part et disparaître. Et ses bras semblent une bonne option

Il la tient serrée, son corps fin au creux du sien comme si c'était lui, son armure. Damiano, en porte blindée, la caresse, la laisse pleurer un peu encore.

- mardi, j'les vois tous. On bosse. J'attraperai Victoria pour lui parler.

- non, le fais pas.

Réticente, les lèvres à l'envers, comme une légère grimace.

- il le faut. Je le fais pas pour l'embrouiller, Liv. Je le fais pour nous, pour qu'elle te foute la paix et qu'elle comprenne qu'elle a été mauvaise.

Le temps de la réflexion se pose, jusqu'à ce que Livia réalise ce qui lui fait si bizarre, dans la conversation. Pour la première fois en presque un mois, il englobe leur relation, leur duo en "nous". Ça lui arrache regrettablement un sourire niais, mais la connotation est certaine.
Et comme il a remarqué, son inquiétude s'endurcit bien plus.

- il doit y en avoir eu, des cons avant moi, pour que tu sois heureuse comme ça.

Elle fronce les sourcils en visage confus.

- j'veux dire, t'as tendance à sourire vite et à te réjouir pour pas grand chose quand je suis là. C'est absolument pas un reproche, mais tu peux pas te contenter de si peu, Liv, tu mérites qu'on t'offre les choses en grand.

Il y a quelque chose à ce moment dans l'engrenage de son cœur qui s'est mis à dysfonctionner. Un rouage bloqué. Il la regarde comme on regarde un enfant qui s'apprête à faire un caprice. Se demande un instant, comment contenir la tempête émotionnelle qu'elle peut libérer. Il s'approche, pose ses paumes ouvertes contre ses reins. Elle a sur le visage cette expression qu'il a vu juste un peu plus tôt, juste avant qu'elle ne pleure pour la première fois. Penché en avant, les yeux qui la détaillent, le chanteur demande tout bas.

- mais qu'est-ce qu'on a bien pu te faire, ma belle ?

C'est le point de rupture. Trop explosivement, elle s'écroule en larmes chaudes. Il y a des milliers de choses qu'il ignore sans doute de sa vie. Et ça a l'air d'être drôlement douloureux. Il referme ses bras autour de la blonde pendant qu'elle tressaute en spasmes de peine. C'est déchirant.
Quand il lui murmure à l'oreille que plus rien ne pourra lui arriver, elle s'est déjà endormie. Contre lui. Contre le peu de chose qu'elle a construit de toute pièce : un château de réconfort qui manque de fondation. Elle y repose, dans une paix quelconque et impassiblement abstraite.
Fin de l'acte, rideau.

HAUT LES CŒURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant