Chapitre 6

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-         Toute la journée, je travaille comme un chien, pour cette sale pute ! Et voilà comment elle me remercie ! Résonna la voix de Joshua depuis la cuisine.
Tatiana n’avait toujours pas bougé du couloir de l’entrée.
Elle osait à peine respirer…
Même après avoir abusé d’elle, Joshua ne décolérait pas.
Il ne cessait de s’agiter dans l’appartement en répétant en boucle les mêmes paroles encore et encore.
La nuit était déjà tombée et il n’arrivait toujours pas à redescendre…
Il criait depuis tellement longtemps que sa voix était devenue rauque et cassée.
-         J’ai tout lâché pour elle ! La Louisiane, mes potes, ma famille, tout ! Et elle se permet de m’humilier comme ça ?! Moi ?! Cette sale traînée !!
Elle grimaça et appuya ses mains contre ses oreilles pour ne plus avoir à l’entendre.
Mais c’était inutile, il criait bien trop fort.
-         Pour qui elle se prend cette sous-merde ?! Cette sale chienne !! S’écria t-il d’une voix vibrante d’indignation. Et en plus elle se permet de rejeter mes appels ?! Elle me prend pour quoi ?! Un rigolo ?
Soudain, quelque chose se brisa dans la cuisine.
Probablement un verre.
Elle sursauta en retenant sa respiration. Ses mains tremblaient. Elle était complètement tétanisée.
-         Raaaah, putain de merde, regarde un peu les conneries que tu me fais faire !!
Un bruit sourd résonna dans l’appartement et elle sursauta de nouveau. Il venait manifestement de donner un coup de pied contre l’un des placards.
Son cœur s’affola et elle se recroquevilla en l’entendant revenir dans l’entrée d’un pas rapide.
-         Eh ?! Rugit-il en se retrouvant de nouveau face à elle.
Elle sursauta et le regarda avec de grands yeux tandis qu’il s’approchait d’elle de nouveau.
« Oh non, ce n’est pas fini ! » S’affola-t-elle alors qu’il l’attrapait brutalement par l’oreille.
-         EH ?! Si tu as le feu au cul, dis-le directement, et il n’y a pas de problème ! Inutile d’aller chercher dehors !! Je vais te baiser jusqu’à ce que tu en crèves ! Espèce de Salope ! Rugit-il, le regard dément.
Il la tira par l’oreille pour la forcer à se lever, et la viola une seconde fois contre le mur.
-         Je t’en supplie, arrête, tu me fais trop mal ! Gémit-elle, désespérée.
Mais comme toujours, dans ces moments-là, il ne supportait pas le son de sa voix. La main de Joshua s’écrasa contre son visage, l’assommant presque contre le mur derrière elle.
Elle sombra alors à moitié dans les ténèbres, et au bout de quelques instants, il la jeta au sol, comme une vulgaire poupée de chiffon.
-         J’espère que ça a refroidi tes ardeurs, sale chienne en chaleur ! Rugit-il avant de lui cracher dessus.
Elle se raidit en recevant tout sur son visage, et sentit son regard se noyer de larmes d’humiliation tandis que Joshua repartait vers la cuisine en continuant d’exprimer sa fureur.
Elle resta pendant un bon moment en état de choc. Son corps n’était plus qu’une plaie vive. Une impression de dégoût profond lui retourna le cœur lorsqu’elle sentit le liquide chaud de son crachat couler le long de sa joue. Elle s’empressa d’attraper son jean un peu plus loin pour s’essuyer…
Il passa le reste de la soirée à crier et à proclamer qu’il méritait beaucoup mieux que cette vie.
Qu’elle le rendait fou, qu’il n’en pouvait plus d’être prit pour un idiot…
Et lorsqu’enfin, il s’enferma dans la chambre à coucher, elle l’entendit crier pendant encore quelques minutes… Et le calme revint peu à peu.
Elle soupira lourdement, le cœur lourd et passa sa manche sur sa joue.
Elle s’était déjà essuyé mais elle avait l’impression de sentir encore l’odeur de sa salive sur elle. Elle avait envie de vomir…
Elle n’arrivait pas à croire qu’il venait de lui cracher dessus.
Plus que ses paroles, plus que ses coups, plus que ses viols, c’était ce geste en particulier qui l’avait le plus blessé…
Elle se sentait à présent comme une coquille vide.
Elle parvenait à peine à se considérer encore comme un être humain…
Comment le pourrait-elle, après avoir été traitée comme un vulgaire déchet ?
Elle se mordit la lèvre et appuya ses mains contre son visage pour étouffer le bruit de ses sanglots. Elle voulait se faire oublier…
Elle devait faire le moins de bruit possible…
Au bout d’un moment qui lui parut interminable, elle n’entendit plus que le son de son ordinateur portable.
Joshua était manifestement en train de continuer sa série du moment.
Comme si de rien n’était…
Elle sursauta lorsqu’il sortit de nouveau de la chambre, quelques instants plus tard pour se rendre à la cuisine.
Elle l’entendit ouvrir une conserve et allumer le micro-onde.
Visiblement, il s’était ouvert une boite de raviolis.
L’odeur de la sauce tomate embauma  l’appartement et vint lui chatouiller les narines.
Après tout ce qui s’était passé, ils n’avaient pas pris le temps de dîner.
Tatiana n’avait rien avalé depuis le petit déjeuner, mais elle n’avait vraiment pas faim…
Si elle mangeait quoi que ce soit, elle allait vomir. C’était certain.
Après tout les coups qu’elle s’était pris à l’estomac…
Il referma le micro-onde dans un claquement et Tatiana resta sur le qui-vive tandis qu’il préparait visiblement son plateau.
Elle retint son souffle sans même s’en rendre compte… et parvint à respirer de nouveau correctement lorsqu’elle l’entendit retourner dans leur chambre.
Soudain, elle sursauta lorsqu’il referma la porte dans un violent claquement, comme pour bien lui faire comprendre qu’il lui refusait l’accès à la chambre.
C’était une bonne nouvelle…
Lorsqu’il entrait dans ce genre de colère, soit il la forçait à dormir avec lui, soit il lui interdisait l’accès à leur chambre.
Et après ce qui venait de se passer,  elle n’avait vraiment pas envie de dormir dans le même lit que lui.
Elle se sentait un peu perdue…
La violence qu’elle venait de subir commençait à la faire douter et elle avait besoin de rester un peu seule pour y réfléchir.
Le crachat qu’elle avait reçu sur le visage l’avait comme marqué au fer rouge…
Ce n’était pourtant pas grand-chose par rapport à tout le reste, mais elle avait vraiment beaucoup de mal à encaisser ce geste en particulier…
Au bout de quelques minutes, péniblement, elle se décida enfin à se lever.
Tatiana était moite et frissonnante de froid. Elle ne portait qu’un pull sur elle.
Il avait même déchiré sa culotte…
Elle aurait voulu au moins prendre une douche et enfiler un pyjama chaud, mais tous ses vêtements étaient dans leur chambre, alors, elle allait devoir s’en passer.
« Je me laverai demain, décida-t-elle finalement, Je n’ai pas l’énergie de me laver pour l’instant… »
Discrètement, elle ouvrit la porte d’entrée pour récupérer son matériel, puis, elle ramena tout dans le salon en tâchant d’ignorer son corps douloureux.
Il n’avait pas été aussi violent depuis très longtemps.
Il ne s’attaquait jamais à son visage, de peur de laisser des marques. Pourtant, cette fois-ci, il s’était complètement oublié…
Elle baissa les yeux en passant devant le miroir. Elle n’avait vraiment pas envie de vérifier son état…
Et encore moins de croiser son propre regard.
Elle allait plutôt dormir et essayer d’oublier…
Mais lorsqu’elle commença à s’installer sur le canapé, elle se leva d’un bond en poussant un cri étouffé.
Il était complètement imbibé d’eau glaciale !
La jeune femme tripota le canapé en écarquillant les yeux.
Elle n’arrivait pas à y croire.
C’était Joshua !
Il l’avait fait exprès…
Il voulait l’humilier davantage en la forçant à dormir par terre !
La jeune femme déglutit difficilement et baissa les yeux vers le tapis rouge à ses pieds…
Pendant une seconde... Une très brève seconde, la jeune femme fut tentée d’enfiler de nouveau ce jean souillé et de prendre la fuite.
Elle grimperait dans un bus de nuit et  s’arrêterait à l’arrêt le plus proche de chez Kathleen…
Et tout serait terminé.
Elle serait libre. Comme avant…
Mais si elle faisait cela, que se passerait-il par la suite ?
Kathleen avait un tout petit studio, et son petit ami y passait le plus clair de son temps.
Son amie ne pourrait pas l’héberger très longtemps, et Tatiana n’avait de toute façon, vraiment pas envie de les déranger…
Elle s’incrusterait donc chez elle quelques jours et ensuite ? Elle allait se  retrouver à la rue…
 Son salaire était correct, mais loin d’être suffisant pour se permettre de s’installer toute seule.
Joshua l’avait isolé de ses anciens camarades de fac.
Elle n’avait aucun endroit où aller.
Et elle ne pouvait vraiment pas tout lâcher pour retourner en Louisiane. 
Non…
C’était impossible…
Elle n’avait donc pas le choix. Elle allait devoir subir cette situation.
Tatiana soupira péniblement, attrapa un petit oreiller, puis un plaid, avant de s’installer sur le tapis, le cœur serré.
Deux voix internes se disputaient en elle.
L’une lui criait : « Fuis ou il te tuera un jour ! »
L’autre lui répondait : « Mais non, tu dois rester ! Tu l’aimes depuis toujours et personne ne t’aimera jamais aussi fort que lui ! »
« Personne ne t’aimera jamais tout court d’ailleurs… »
« Joshua est ta seule chance… »
Les larmes lui montaient de nouveau aux yeux. Elle l’aimait, certes, et elle ferait n’importe quoi pour lui, mais elle n’était pas heureuse…
Elle savait au fond d’elle-même que ce qu’elle subissait n’était pas normal et qu’elle devait partir…
Mais son cœur s’accrochait désespérément à lui.
Elle l’avait toujours connu alors elle n’arrivait pas à imaginer sa vie sans lui…
D’autant plus qu’elle le connaissait comme personne. Elle connaissait sa famille, son passé, ses souffrances…
Elle savait que sa violence venait surtout du fait que sa mère avait eu une aventure avec l’un de leur voisin, durant son enfance.
Sa famille en avait beaucoup souffert, même si son père avait accepté de tout pardonner.
C’était désormais de l’histoire ancienne, mais Joshua était un enfant très sensible, et cette période de sa vie avait laissé de profondes cicatrices en lui…
Elle était la seule à pouvoir le comprendre…
La seule à pouvoir le soutenir. Elle était devenue son ancre, son port d’attache…
Il avait besoin d’elle…
Non, elle ne pouvait vraiment pas lui faire ça. Elle ne pouvait pas partir et l’abandonner.
Elle s’en sentait incapable…
« Oublie cette idée alors… » Conclut-elle intérieurement, le cœur lourd.
Elle soupira lourdement et passa sa main sur ses joues trempées de larmes avant de tirer le plaid jusqu’à son menton.
Tatiana avait toujours été très frileuse, été comme hiver, alors elle sentait d’avance qu’elle allait passer une nuit difficile…
La colère de Joshua la hantait encore. Elle avait l’impression de l’entendre crier dans ses oreilles.
Sa voix résonnait dans son cerveau.
La douleur sur son corps la relançait, comme si chaque fibre de son être revivait la scène en permanence.
Elle remua dans sa somnolence, à la quête du sommeil, et lorsqu’elle repensa à ce moment de paix qu’elle avait passé dans le parc, à dessiner le « monsieur à la cigarette » , elle se détendit doucement avant de se glisser enfin, dans les bras de Morphée…
 
***
 
Le lendemain matin, Tatiana fut réveillée par une main caressante sur son front…
Son premier réflexe fut de sourire, les yeux mi-clos, et lorsque les événements de la veille lui revinrent brusquement comme un boomerang, elle se réveilla d’un seul coup en sursautant.
Son cœur battait à mille à l’heure. Joshua était là, assis près d’elle sur le sol, les yeux baissés.
Cette main qui l’avait tant malmené la veille, délaissa son visage pour aller se poser sur son bras à travers sa couverture.
-         Bonjour, mon amour…Tu n’as pas eu trop froid ? Demanda t-il tout bas.
Elle était à la fois rassurée de le voir calmé, et intensément indignée…
À sa place, elle n’aurait pas osé lui parler pendant au moins deux semaines. Elle aurait eu bien trop honte de son comportement.
-         Non, ça va… Répondit-elle en se redressant, difficilement.
Dormir sur le sol lui avait déclenché un mal de dos ou peut-être était ce plutôt dû au nombre de coups qu’il lui avait asséné la veille.
Les deux douleurs se mêlaient. Elle n’arrivait pas à les distinguer.
Elle passa sa main sur son visage tandis qu’il la regardait en souriant. Ce sourire doux et innocent qui n’avait pas changé depuis son enfance…
-         Regarde ce que je t’ai acheté ce matin, Lui dit-il en jetant un regard derrière elle.
La jeune femme se tourna mollement et posa un regard morne sur le grand bouquet de roses qui était posé près d’elle.
C’était la première fois qu’il lui offrait des fleurs après une crise. Avait-il compris qu’il était allé trop loin cette fois ?
-         Je t’ai pris les plus belles de la boutique… Tu es contente ?
Elle les fixa pendant un instant sans répondre, puis elle hocha mollement la tête et se releva péniblement en évitant soigneusement de regarder dans sa direction.
-         Oui, je suis très contente, dit-elle d’une voix sans vie en ramassant le bouquet au passage, avant de se diriger vers la table de la salle à manger.
-         Où tu vas ?
Elle sentit une pointe d’affolement dans sa voix.
-         Nulle part, je vais juste les mettre dans un vase…
Il y en avait justement un au milieu de la table qui ne servait qu’à décorer. Elle s’apprêtait à retirer le plastique autour des fleurs, lorsque Joshua s’empressa de la rejoindre.
-         Ne t’inquiète pas, je vais le faire ! Dit-il avec un petit sourire.
Ce sourire si mignon qui la faisait toujours flancher.
-         Ok, dit-elle tout bas en commençant à s’éloigner.
-         Ah, mais… Où tu vas ? S’étonna-t-il de nouveau 
-         Nulle part, répéta t-elle d’une voix épuisée en se dirigeant vers la salle de bain.
D’habitude, le lendemain, elle faisait comme si de rien était. Elle souriait et profitait du retour au calme avec un grand bonheur.
Mais cette fois-ci, elle avait du mal à faire cet effort.
Elle était épuisée…
« Je me sentirais mieux après une bonne douche… »
Elle s’apprêtait à refermer la porte de la salle de bain derrière elle, lorsque Joshua se glissa soudainement à l’intérieur, d’un pas précipité, le visage animé.
-         Tatiana… dit-il tout bas en lui prenant doucement le bras, Tu m’en veux ?
« Sans blague ? »
-         Écoute Joshua, je suis fatigué, je veux juste prendre une douche… Dit-elle d’une toute petite voix en le fuyant des yeux.
-         Tu ne réponds pas à ma question… Tu m’en veux, c’est ça ?
L’angoisse qu’elle sentait dans sa voix lui serrait le cœur.
Elle avait envie de le rassurer, mais elle avait beaucoup de mal à digérer, le geste humiliant de la veille.
Et là, il la prenait un peu de court. Elle n’avait pas eu le temps de se réveiller correctement, ni de prendre du recul sur l’incident de la veille.
-         Évidemment que tu m’en veux…Dit il tout bas en fouillant le sol des yeux, Je suis vraiment désolé. Je suis allée trop loin hier, Tatiana, je le reconnais…
-         S’il te plaît, Joshua, parlons-en après, je veux juste prendre une douche…
-         Avant, dis-moi que tu me pardonnes, La supplia t-il en pressant ses doigts autour de son bras, Hier, j’étais fou. Ça me tuait d’imaginer tous ces mecs te regarder et croire avoir une chance de te…
Il se retint de terminer cette phrase. Comme si elle était trop pénible pour lui à prononcer.
-         Le simple fait d’imaginer que des mecs puissent fantasmer sur toi me rend dingue… Et quand tu as rejeté mon appel, je me suis dit que tu étais probablement en train de te faire draguer et ça m’a rendu fou ! J’ai pété un câble et il m’a fallu des heures pour redescendre ! J’en ai pas dormi de la nuit…
-         Je le sais, Joshua, je sais comment tu fonctionnes. Nous en reparlerons plus tard. Ne t’inquiète pas. Tenta-t-elle de conclure.
La jeune femme se détourna pour s’avancer vers la baignoire, mais la main de Joshua se resserra de plus belle autour de son bras pour la retenir. Il tremblait intensément.
La peur le dominait de plus en plus, elle le sentait.
-         Tatiana…
Et à sa grande surprise, il se laissa soudain tomber sur le sol, les deux genoux à terre.
Elle le regarda alors enfin dans les yeux de nouveau.
Elle le dévisagea avec surprise, le regard écarquillé, tandis qu’il relâchait son bras pour saisir doucement sa jambe.
Elle n’en revenait pas ! Elle n’était pas en train d’halluciner.
Joshua qui était si fier, était vraiment en train de la supplier à genoux de lui pardonner ?
-         Je t’en supplie, Tatiana, ne me quitte pas… Dit-il d’une voix éraillée, les yeux larmoyants. J’ai besoin de toi ! Je sais que j’ai clairement déconné hier et je suis vraiment désolé ! Je vais changer, je vais faire des efforts, je te le promets, mais je t’en supplie, ne pars pas ! Je vais me foutre en l’air si tu me fais ça…
La fin de sa phrase s’acheva dans un  sanglot. Sa main contre sa jambe tremblait intensément à l’idée de la perdre…
Et lorsqu’il s’écroula en larmes pour de bon, en appuyant son front contre sa cuisse, quelque chose se réchauffa en elle.
Soudain, elle n’était plus un déchet, ni une vulgaire larve répugnante…
Soudain, elle devenait la huitième merveille du monde.
Soudain…Elle comprenait à quel point elle était son monde et qu’elle était tout pour lui…
Et soudain…
Toute sa rancœur déserta son cœur et elle posa les genoux au sol pour le prendre tendrement dans ses bras.
 
 

 
À suivre…
 
 

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