Chapitre 8

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Tatiana se sentit soudain incroyablement déçue en réalisant qu’elle s’était trompée.
Le « Monsieur à la cigarette »  n’était pas du tout de l’autre côté du trottoir…
Son regard continuait de fouiller intensément la foule, mais elle devait se rendre à l’évidence.
Elle avait rêvé…
Il n’était pas là..
Elle soupira lourdement et fixa la foule d’un regard vide pendant un instant, avant de retourner vers la porte du bus, un peu intriguée par l’intensité de sa propre déception.
Étrangement, cela lui avait mis un petit coup au moral.
Mais pour quelle raison ?
C’était étrange comme réaction.
Elle devait être un peu fatiguée…
« Je suis vraiment bizarre moi, des fois… » Se dit-elle en souriant doucement.
La jeune femme secoua la tête et grimpa à l’intérieur du véhicule en cherchant sa carte de bus dans son portefeuille, et à l’instant où elle s’apprêtait à valider son trajet, son regard le trouva enfin…
Elle se figea net, comme une statue, la carte de bus en suspens, les yeux focalisés sur le « monsieur à la cigarette » qui sortait d’un bâtiment, vêtu d’un costume noir.
Ses cheveux lisses étaient soigneusement attachés en demi-queue de cheval, comme lorsqu’elle l’avait vu pour la première fois…
Était-elle encore en train d’halluciner ?
Elle était si choquée qu’elle en oubliait même de respirer.
Son cœur battait si fort qu’elle ne pouvait plus rien entendre d’autre.
Elle n’arrivait pas à en croire ses yeux !
C’était lui ! Vraiment lui ! Il était là, de l’autre côté de la rue !
Elle ne s’y attendait pas du tout !
Elle se sentait soudain toute fébrile, ses mains devenaient moites, elle perdait complètement le contrôle de ses émotions…
Tout à coup, le bruit de la porte se refermant derrière elle,  la sortit net de sa torpeur et elle poussa un cri affolé qui fit sursauter tous les passagers.
-         Pardon, pardon, je me suis trompé de bus, ouvrez la porte, vite !! Paniqua-t-elle, Vite !! S’il vous plait !
Le chauffeur, qui avait déjà commencé à rouler, s’arrêta par réflexe, un peu étonné, avant de lui ouvrir la porte en râlant :
-         Mais vous êtes folle ou quoi ?! Normalement, nous ne sommes pas censés rouvrir après la fermeture des p… !
-         Pardon, je suis désolée, l’interrompit-elle vivement en s’empressant de bondir dehors.
Le chauffeur râla encore une fois, puis il referma la porte et le bus repartit.
Il lui parut interminablement long tandis qu’il passait entre elle et le trottoir d’en face…
Elle se hissa sur la pointe des pieds en fouillant avec impatience la foule à travers les fenêtres.
Où était-il !? Elle l’avait perdu de vue !
Le bus termina enfin de passer et lorsque ses yeux agités le trouvèrent de nouveau, elle soupira de soulagement avant de traverser la rue sans réfléchir.
Un taxi s’arrêta précipitamment devant elle en klaxonnant avec mauvaise humeur, alors elle s’excusa rapidement avant de s’empresser de rejoindre le trottoir.
Il était là…
« L’homme à la cigarette » était là !
C’était incroyable ! Elle tombait sur lui encore une fois !
C’était tellement inattendu !
Elle marcha dans sa direction, tout en veillant à ne pas s’approcher trop près non plus.
Heureusement pour elle, il y avait énormément de monde autour d’eux. Avec sa petite taille, elle pouvait donc facilement se mêler à la foule sans être vue.
Elle se plaça discrètement près d’une boutique, juste derrière la pancarte d’un restaurant.
Il n’était plus qu’à quelques mètres d’elle…
Tatiana lâcha un profond soupir, le cœur en joie. Elle n’y croyait toujours pas. C’était la troisième fois qu’elle tombait sur lui par hasard…
« En fait, non !  Ça ne peut pas être un hasard, se reprit-elle en souriant »
C’était comme si la Déesse de l’art s’arrangeait pour placer sa muse sur son chemin encore et encore… Et l’inciter à se donner à fond pour réaliser son rêve.
Il n’y avait plus de doute à avoir.
Cet homme était bien sa muse ! Le destin l’avait placé sur sa route pour lui permettre de créer de grandes choses !
Elle y croyait dur comme fer ! Le hasard n’avait jamais existé !
Le visage fermé, les sourcils froncés, le géant s’adossait nonchalamment contre la porte vitrée de l’immeuble en discutant au téléphone.
Il avait l’air un peu contrarié…
Cette expression était si intéressante !
Elle éprouva une bouffée de plaisir et  sortit vivement son petit carnet de sa poche.
Son visage était dingue. Elle voulait le dessiner à chaque fois qu’elle le voyait. Ce regard ténébreux, ces lèvres pleines…
Le simple fait de le regarder suffisait à provoquer en elle des envies folles de faire des dépenses. Elle voulait se ruer dans son magasin préféré et acheter davantage de matériels.
Elle avait pour habitude de peindre sur toile à l’acrylique, et de dessiner sur son carnet à dessin en utilisant un crayon noir gras, rien de plus.
Mais elle avait à présent envie de se remettre à la peinture à l’huile, à la pastel, à l’aquarelle, au fusain, aux crayons de couleur…
Elle avait même envie d’essayer la sculpture alors qu’elle n’y avait jamais pensé avant !
Jamais un sujet n’avait déclenché en elle tant de frénésies ! En le regardant, elle avait l’impression de redevenir cette adolescente pleine de vies, d’imaginations et de créativités.
Celle qu’elle était avant de se prendre la réalité en pleine figure…
Lorsqu’elle termina de dessiner cette main, grande et virile qui tenait son téléphone portable contre son oreille, elle ajouta le détail de sa montre en songeant qu’elle avait dû lui couter une véritable petite fortune.
Que faisait-il dans la vie ? Était-il le PDG d’une grande entreprise ?
C’était vraiment l’impression qu’il donnait…
Il avait une prestance de chef. Une supériorité de Roi.
Elle tourna vivement la page de son petit carnet et reproduit ce regard perçant et contrarié, en songeant qu’elle aurait mieux fait d’emporter son grand cahier habituel.
Les pages de ce carnet étaient bien trop petites.
C’était très frustrant.
Elle tourna une nouvelle page et fit ensuite un croquis entier de son profil en songeant qu’elle aurait adoré le voir poser pour elle.
Tatiana avait fait énormément d’ateliers de ce genre. Elle avait même eu des modèles nus à l’université.
« Mais l’avoir lui pour modèle, pendant une heure entière, ce serait vraiment quelque chose… »
Enfin, il raccrocha son téléphone et le rangea dans sa poche, avant d’en sortir son paquet de cigarettes.
« Il fume vraiment beaucoup… » songea-t-elle en couchant sur le papier, l’instant où il avait attrapé une cigarette entre ses lèvres, le visage légèrement penché sur le paquet.
À chaque fois qu’elle le voyait, il allumait une cigarette.
Ses poumons ne devaient pas être dans un très bon état…
Il tira une taffe, le regard ailleurs et jeta un œil à sa montre avant de s’avancer le long du trottoir...
Il y avait foule, mais il n’avait pas besoin de se frayer un chemin pour pouvoir avancer. Les passants s’effaçaient instinctivement pour lui libérer le passage.
« Bon sang, ce qu’il en jette… »
Lorsqu’elle réalisa soudain qu’elle allait bientôt le perdre de vue, Tatiana grimaça et hésita pendant un instant avant de commencer à longer les murs pour le suivre.
« Bon sang, mais qu’est-ce que je suis en train de faire ? »
Elle était vraiment en train de suivre quelqu’un dans la rue ?
C’était n’importe quoi ! Elle devait reprendre ses esprits !
Soudain, elle buta contre un enfant et le retint contre elle de justesse, avant qu’il ne se retrouve au sol.
-         Mince, excuse-moi… Dit-elle embarrassée en échangeant un petit sourire avec sa mère.
« Merde, je fais n’importe quoi… » Se dit-elle en s’empressant de chercher le géant de nouveau.
Elle savait qu’elle devait arrêter et rentrer, mais ses pieds continuaient de le suivre presque instinctivement, avec cette crainte grandissante : « Et si c’était la dernière fois que je le voyais ? »
Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Elle ne se contrôlait plus du tout.
-         Pardon, excusez-moi, Dit-elle tout bas à de nombreuses reprises en tentant de se frayer un chemin à travers la foule.
Et lorsqu’il tourna à l’angle de la rue, elle s’affola en le perdant de vue et bouscula une femme dans sa précipitamment.
-         Je suis désolée ! S’exclama-t-elle gênée, sans cesser sa course.
Elle s’extirpa de la foule et s’empressa de tourner dans l’angle de la rue, mais…
Aucune trace du « monsieur à la cigarette » !
Il s’était complètement volatilisée…
Elle balaya des yeux, la rue, le trottoir d’en face…, mais il n’était nulle part.
Avait-il grimpé dans un taxi ?
Son cœur se serra et se rempli aussitôt de sentiments négatifs.
Elle se sentait frustrée et triste.
Elle l’avait vu bien trop brièvement.
Ce n’était pas assez.
Elle voulait le dessiner encore. Contempler le moindre détail de lui et le coucher sur le papier.
Elle voulait découvrir chaque nuance de lui. Elle voulait observer la teinte de sa peau, au soleil, à l’ombre, dans la nuit. Elle voulait voir d’autres expressions sur son visage.
Elle voulait savoir à quel point son expression taciturne s’illuminerait s’il se mettait à rire franchement…
Elle voulait tant de choses.
Ce qui lui arrivait était complètement dingue. On lui avait déjà parlé de la notion d’ « émotion artistique ». Plusieurs amis peintres l’avaient déjà évoqué.
Cela pouvait concerner un paysage, un animal, un objet, un humain…
Tatiana pensait l’avoir déjà ressenti lorsqu’elle s’était senti en paix, au milieu de la nature, mais elle réalisait à présent qu’elle avait été dans l’erreur pendant tout ce temps…
Car ce qu’elle ressentait à cet instant là était bien plus qu’un coup de foudre artistique.
C’était un raz-de-marée ! Un ouragan ! Une éruption volcanique…
Tatiana ne s’était pas sentie aussi vivante depuis si longtemps…
Et elle venait de le laisser filer pour la troisième fois…
« Enfin… »
Elle soupira péniblement et un petit toussotement lui échappa tandis qu’elle tournait des talons pour rentrer.
Soudain, elle marqua un temps d’arrêt en voyant une silhouette sombre du coin de l’œil, dans l’encadrement d’une porte à un mètre d’elle, à peine…
Il y avait une odeur de cigarette dans l’air. Elle venait à peine de s’en rendre compte…
Son cœur cessa net de battre tandis que le sang lui montait peu à peu à la tête…
Elle déglutit difficilement en l’entendant rejeter sa fumée, et son cœur repartit au galop avec tant de brutalité qu’elle en eut le tournis.
Elle rassembla son courage, puis, dans un flottement étrange, presque irréel,  elle leva timidement ses yeux noisettes vers lui.
Celui-ci était nonchalamment adossé contre la porte, et la fixait calmement, de son regard inexpressif, en continuant de fumer tranquillement sa cigarette…
 
 
 
À suivre…
 

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