Prologue

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L'homme que j'aime est un artiste. Un musicien. Le parfait cliché du rappeur à succès des années 2020. Les tatouages sur son corps, les contours de ses cheveux toujours parfaitement faits, des expressions bien à lui que je ne comprends qu'une fois sur deux. Cet égo avec lequel il faut composer, cette obsession avec le fait d'être le meilleur, d'entrer dans l'histoire, faire partie des légendes. Et cette peur constante de se voir vieillir, de ne plus être à la page.

Je crois que je déteste ces parts de lui. Comme ce visage qu'il arbore à l'extérieur quand il prétend aux yeux du monde qu'il n'y a rien entre nous. Quant à l'autre bout d'une pièce quelconque, je peux le voir rire avec sa femme.

Parce que l'homme que j'aime est marié. Avec une femme qu'il assure ne plus aimer, mais avec laquelle il a deux magnifiques petites filles. Ambre et Thaïs. La prunelle de ces yeux. Ce qu'il a de plus précieux. La raison, pour laquelle il ne peut pas quitter Joséphine. Sa femme.

Je ne suis pas fier de moi.

Entretenir une relation avec un homme marié et père de deux enfants. Pour me défendre, il n'est pas entré dans ma vie du jour au lendemain, me promettant mont et merveille pour me mettre dans son lit. Je crois le connaitre depuis toujours, je sais que l'aime depuis toujours.

Mon premier crush, mon premier flirt.

Il m'a donné la sensation d'appartenir. Entièrement, sans concession, sans mensonge, sans tricherie. D'être. Juste moi et pour moi.

Pendant longtemps, je me suis senti ridicule. M'accrocher de cette manière à cette relation qui ne donnera jamais rien.

Nous n'irons jamais, mais dans la main au cinéma, nous ne dinerons jamais au restaurant l'un face à l'autre, nous n'aurons jamais nos propres enfants. Il ne quittera jamais sa femme. Il ne m'épousera pas.

Alors ouais par moment, quand je prends le temps d'observer, d'admirer ses iris d'un marron presque vert, je me sens toujours un peu ridicule. Mais, j'ai fait mon deuil de cette question.

Je l'aime.

Je ne me souviens pas de la première fois que je l'ai vu. J'étais trop jeune. C'était il y a trop longtemps. En revanche, je me souviens de ce réveil paniqué dans ma chambre de préadolescent ou j'ai dû admettre que les réactions de mon corps étaient dues au rêve érotique que je venais d'avoir. Rêve dans lequel il tenait le rôle principal. Ce que j'aimerais oublié c'est la première fois que je l'ai revu après ce fameux rêve érotique. Invité par mes parents, je me suis retrouvé face à lui autour de la table à diner.

Comment est-ce possible ?

L'homme que j'aime était déjà un homme quand j'ai découvert les premiers émois de la préadolescence. Parce que l'homme que j'aime à quatorze ans de plus que moi. Quatorze. C'est beaucoup. Ça, plus que le reste, ses fans, sa femme, ses enfants, l'opposition facilement devinable de mes parents devrait mettre un terme à mes espoirs. Mais ce n'est pas le cas.

Nous n'aurions jamais dû nous aventurer dans une telle relation. Extra-conjugal pour sa part, simplement cachée pour la mienne. Mais il est des choses qu'on ne peut pas contrôler.

Je venais d'avoir dix-huit ans quand notre relation a changé.

Cette histoire ne raconte pas comment j'ai été détourné par un homme plus vieux que moi bien au contraire. Cette histoire raconte comment j'ai rencontré l'autre partie de mon âme.

Je cherchais un job d'été en attendant ma rentrée en médecine, quand mon père m'a proposé de bosser dans l'un de ses garages, en tant que standardiste. J'étais moyen que chaud au départ. Le job nécessitait que je me rende à Clamart tous les jours pour travailler. Conscient que sans je n'aurais pas les moyens pour m'acheter le nouveau Mac que je jugeais fondamental pour débuter mes premiers pas à la faculté, j'acceptais de mauvaise grâce.

Je ne connaissais rien en voiture. Mon truc c'était les livres de science-fiction, la musique et le football. Pour ne pas paraitre pour un idiot, il accepta de m'apprendre ce que lui-même connaissait des voitures et pour se faire nous, nous retrouvions les dimanches après-midi. Il m'expliqua que de ses trois garages, celui-là était son préféré parce que c'était le premier qu'il avait eu les moyens d'acheter. Il me raconta qu'il passait beaucoup de temps là-bas parce que l'endroit lui permettait d'avoir du temps rien que pour lui. Loin des sollicitations extérieures.

Dans ce garage, il n'avait pas besoin de se cacher, il n'avait pas besoin de montrer ce visage que j'ai déjà décrié. Ce qui n'était au départ qu'un transfert de connaissance devint beaucoup plus intime. Nous partageâmes des moments d'intimité qui pour moi comme pour lui débouchèrent sur une attraction peu commune à laquelle nous finîmes par céder. Il finit par céder. Moi, je savais parfaitement où j'allais malgré mon jeune âge.

Il était tout ce dont j'avais besoin. Un repère, un soutien, quelqu'un qui pouvait m'aimer sans condition. Ou une condition, mineure. Je ne devais rien dire. À personne.

Jamais.

Tout se déroula exactement comme cela a été joué pendant des années pour ne pas dire des siècles. Un rendez-vous secret en amena un autre, puis un autre, des promesses vides de sens furent prononcées, des amours indéfectibles furent jurés. Nous étions comme invincibles. Quand nous étions ensemble.

Et le temps fit son œuvre.

Cela fait désormais quatre ans que nous entretenons cette relation. Quatre ans, que je mens aux gens que j'aime. De mes parents à mes meilleurs amis, je leur cache ce qui, dans ma vie a le plus d'importance.

Ça semble énorme comme ça. Ce n'est pas si compliqué en réalité. Je n'ai jamais été du genre à m'épancher sur mes sentiments ou m'appesantir, auprès d'une oreille attentive sur toutes les choses qui me soucier au quotidien. Non, je ne suis pas secret, pudique tout au plus. Je préfère abreuver les autres de mes réflexions plus ou moins sarcastiques plus que de m'exposer à la critique d'autrui. Que je ne partage pas mes relations de « coeur » n'a donc jamais posé question. J'ai profité de cette part de ma personnalité, pour que jamais, la question ne me soit posée.

Au départ, je me contentais de ce qu'il pouvait me donner. Les choses ont changé. Je vois plus clair, je sais que je mérite pas seulement mieux, mais plus. Plus de son temps, mieux que de n'être qu'un vilain secret que l'on cache.

Je me sens bloqué désormais. Entre le fait de ne vivre qu'une moitié de relation et mon impossibilité à imaginer ma vie sans lui à mes côtés.

Quatorze Carats 💎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant