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Point de vue, Mathieu Prusky.

La distance est la longueur qui sépare une chose de l'autre, une personne d'une autre. C'est ce qu'il avait mis entre nous. Je n'avais pas immédiatement remarqué, sans doute trop concentré sur moi-même et mes propres problèmes. Sans doute aussi, parce qu'au cours des années que nous avions déjà partagées ensemble, j'avais appris à respecter les limites de Soan. Parfois, il n'était juste pas en mesure d'affronter le monde nous entourant. Alors, il restait dans la sécurité de sa chambre se trouvant dans l'appartement de ses parents. Je n'étais pas choqué, quand il se contentait de me répondre qu'il n'avait simplement pas envie de me voir. Ça faisait partie de lui.

J'étais surtout très attentif à ne jamais m'imposer. Les quatorze ans qui nous séparaient en étaient la raison principale. Je vivais dans la peur constante qu'il n'ait l'impression que je l'ai manipulé à partager la relation que nous avions. J'avais peur d'être ce pervers de base, qui se sert de gamines beaucoup trop jeunes, car incapable de satisfaire une femme de son âge. À cet argument, Soan répondait inlassablement qu'il était celui qui m'avait poursuivi de ses assiduités, ce qui était factuellement le cas. Mais cela ne changeait pas un autre fait. J'avais quatorze ans de plus que lui et il n'avait même pas vingt ans quand pour la première fois notre relation était devenue intime.

Alors non, je n'avais pas remarqué tout de suite. Nos rares rendez-vous s'étaient espacés. Et puis au détour d'une conversation alors que j'étais en compagnie de Billie, la jeune femme avait fini par me glisser que Soan s'était fait un nouvel ami avec lequel il passait beaucoup de temps. Un ami. Cela pouvait semblait étrange qu'une chose pareille devienne un sujet de conversation. Mais connaissant Soan, cela ne l'était pas. Le jeune homme n'était pas connu pour sa capacité de socialisation. Et sa mère s'était toujours inquiété que le petit garçon trop gentil pour son bien, ne devienne un homme incapable se défendre. Soan savait se défendre, mais Soan ne savait pas se faire des amis.

J'avais dû mobiliser l'ensemble de facultés physiques et mentales, pour ne pas creuser le sujet, pour ne pas exiger qu'elle me dise de qui il s'agissait et depuis quand cela durait. J'avais rongé mon frein avec succès, mais la boule dans mon estomac avait pris tellement de place, que j'avais eu la sensation de m'étouffer.

Je ne pouvais rien faire.

C'était cela le pire. Ne rien pouvoir faire. Me prendre la tête avec Soan ? Pour qu'il me renvoie à la gueule mon propre mariage ? Non, vraiment, je n'avais pas envie de m'infliger cela. Et puis quand j'avais pu m'enfuir pour intégrer l'information, j'avais dû me faire une raison. Cela faisait près de deux semaines que je n'avais pas vu le jeune homme. Il avait toujours une excuse, ou alors je n'avais simplement pas de temps pour le voir. L'ironie dans la situation, c'est qu'alors que je franchissais le pas de mon appartement, je reçus un message de sa part me demandant si j'étais disponible le lendemain.

Je n'avais pas eu droit au traditionnel « il faut qu'on parle », mais tout dans la situation m'indiquait qu'il avait pris la décision que je redoutais depuis des mois. Il allait me quitter. En grimpant, les dernières marches qui menaient à la chambre de bonne, qui avait vu nos plus beaux moments, la boule dans mon estomac semblait avoir triplé de volume. Il allait me quitter et je ne pouvais rien faire pour l'en empêcher. Je n'avais rien de plus à lui offrir que ce que je lui avais déjà donné. Peut-être qu'il était égoïste de ma part de vouloir le garder. Il avait le droit de rencontrer quelqu'un, de construire quelque chose avec cette personne et je n'étais personne pour le retenir. Peut-être que l'aimer c'était le laisser partir.

En franchissant la porte, je me fis la promesse que quoi qu'il me dise, je conserverais mon calme et accepterais la sanction qui s'apprêtait à tomber.

Quatorze Carats 💎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant