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Cette histoire débute au milieu d'une nuit parisienne, l'humidité de la pluie tombée dans la journée s'engouffrait par les fenêtres laissées ouvertes pour balayer les odeurs de cigarette et de bédos. Les gens étaient venus en masse pour célébrer le vingt-et-unième anniversaire d'Emmanuelle Laporte.

Pour sa majorité internationale, il fallait marquer le coup. Comme toutes les petites princesses de la bonne société parisienne, Emmanuelle Laporte avait grandi avec beaucoup d'argent, mais des parents absents. En conséquence, et ce ne sera une surprise pour personne, elle avait développé une addiction à l'attention. Peu importait la manière dont elle l'obtenait, l'avoir était tout ce qui comptait.

Lors de cette nuit parisienne, Emmanuelle n'avait rien trouvé de mieux pour attirer l'attention que de monter sur la table basse, bouteille de Dom Pérignon à la main et de secouait son petit popotin au rythme de la musique techno qui saturait l'air ambiant.

-Descends de la table Manu.
-Oh allé, Soan, arrête de faire la gueule tout se passe bien.
-Tout se passera encore mieux si tu ne passes pas au travers de la table en cristal de ta daronne.
-T'es vraiment un rabat-joie.

Emmanuelle ou Manu, comme seuls moi et Paul étions autorisés à l'appeler, tendit la bouteille de champagne à une personne au hasard dans la foule à ses pieds, puis déposa ses mains sur mes épaules afin de s'en servir d'appuie pour sauter de la table.

-Mais t'es mon rabat-joie préféré.

Montant sur la pointe de ses pieds, elle déposa un baiser bruyant et tout mouillé sur mes lèvres avant de tenter de glisser sa langue entre elles pour approfondir le baiser. Je la repoussais tout en soupirant de dépit. C'était toujours la même chose, quand elle avait trop bu, elle devenait un peu trop affectueuse :

-Ne m'embrasse pas comme ça Manu, tout le monde peut nous voir.
-Et tout le monde s'en fiche. T'as besoin de te détendre So, t'es trop tendu.
-Ça porte à confusion
-Pourquoi ? J'ai une chance de te faire changer de bord ?
-Chut, je m'exclamais en attrapant le bras de la jeune femme.

J'ai toujours trouvé le concept de coming out stupide. Je n'ai jamais compris pourquoi, je devrais informer les gens de mon entourage que mon orientation sexuelle penchée vers le même sexe que le mien, alors que si ça n'avait pas été le cas je n'aurais rien eu à dire. J'avais donc décidé il y a longtemps maintenant que jamais je ne me soumettrais à cet exercice. Avec qui je couchais, ne regardait que moi après tout. C'était au cours d'une conversation banale que Manu avait fini par l'apprendre, le comprendre ou en avoir confirmation, au choix. Paul était là aussi. Nous regardions une comédie romantique à la con que Manu avait choisie. Et alors, que la jeune femme s'extasiât sur le physique avantageux de l'acteur principal, j'avais confirmé ses propos sans trop y penser. Quand ils avaient commencé à me poser des questions, je m'étais contenté de hausser les épaules, ce qui leur avait suffi.

Je conduisis Manu dans un coin plus calme du salon où moins d'oreilles pouvaient nous entendre pour lui faire part de mon état d'esprit :

-T'es obligé de dire ça aussi fort ?
-S'il te plait So, tout le monde sait que t'es gay, et au risque de me répéter, tout le monde s'en fiche.

Sur ce point-là, la jeune femme se trompait. Si ce n'était donc pas un secret  pour mes amis et camarades de classe. J'étais certain que ma famille ne savait rien de mon orientation sexuelle.

En dehors de ma répugnance pour l'idée de devoir m'épancher sur quelque chose que je considérais comme étant personnelle. Je ne pouvais mettre de côté mon héritage culturel et l'éducation que j'avais reçue. Chacun à leur manière, mes parents étaient vieux jeu et je ne voyais pas comment ils pourraient prendre la chose autrement que mal. Pas mal, au point de me mettre à la porte ou une connerie dans le genre, mais mal au point de me demander si j'étais bien sûr de moi et d'exagérer le trait pendant un temps indéfini pour me prouver qu'ils m'aiment encore tout pareil. Sans oublier les murmures et interrogations, la remise en cause de la fameuse éducation qu'ils m'ont donnée.

Quatorze Carats 💎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant