1 - En quelque sorte

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Ivar Lothbrok

- Comme vous pouvez le constater, tous les sièges ont été remplacés, ainsi que la moquette. Les mécanismes de décor sont également neufs, suivez-moi.

J'observe le directeur de l'Opéra d'Oslo mener ma mère et mes frères à travers les coulisses. Évidemment, les mécanismes de décor se trouvent au-dessus de la scène et ce n'est accessible qu'à partir des escaliers.

Je soupire, las, et me dirige discrètement vers le balcon. M'installant sur un siège, je soupire d'aise, soulagé. Je regarde la scène et ma famille monter sur la structure métallique. Personne ne se pose de questions sur mon absence, ils savent.

Comment pourrais-je être Prince, être Roi, si je ne suis même pas capable de monter de stupides escaliers ? Tous mes frères ont servi à l'armée. Moi, j'ai dû me contenter de l'administration. Pourtant, j'aurais aimé être soldat. Être sur le terrain, trouver des stratégies. Encore une fois, ces stupides jambes m'empêchent de vivre.

Je sors mon ordinateur portable et ouvre le logiciel de traitement de texte. Je relis ma thèse, à la recherche d'erreurs ou de fautes de frappe. La porte du balcon s'ouvre et je grogne, m'attendant à voir ma mère ou l'un de mes frères avec la pitié dans les yeux. Il n'en est rien. À la place, je vois une jeune femme entrer. Elle tient à la main une bouteille d'eau et un tupperware. Je la détaille du regard, intrigué. Est-ce qu'elle travaille ici ? À en juger son accoutrement, j'en doute. Un débardeur rose clair, un gros gilet, un chignon négligé, des UGG aux pieds et... est-ce que c'est un pantalon de pyjama ?

Elle semble surprise de me voir là. Je n'ai rien à faire ici, il est vrai, mais je suis prince et infirme, j'ai donc le droit plus que quiconque de m'asseoir si j'ai besoin de repos. Elle, par contre, n'est sûrement pas censée être là non plus.

- Bonjour, elle souffle. Je... ça vous embête si je m'installe ici pour manger ? C'est mon endroit habituel.
- Non.

Elle hésite, le doute sur son visage. Elle doit se demander si c'est un « non, ça ne me dérange pas » ou un « non, vous ne pouvez pas. » Moi-même, je me pose la question.

- Non, ça ne me dérange pas, je soupire.

Elle sourit comme une enfant et s'empresse de refermer la porte derrière elle, s'installant à mes côtés. Bordel, il y a une cinquantaine de sièges dans la rangée, pourquoi est-ce qu'elle s'assoit près de moi ?

- Top ! Je n'avais pas envie de manger seule, en plus.

Sans aucune gêne, elle pose ses pieds sur la rambarde et ouvre son tupperware. Je l'observe presser un citron sur ses feuilles de salade, dubitatif. Est-ce qu'elle va parler tout le long ?

- Tu es ici pour le travail ?

Alors, elle ne me reconnaît pas ? Elle a l'accent français. Peut-être vient-elle d'arriver en Norvège. Si c'est le cas, je suis impressionné, car elle parle déjà très bien notre langue.

- En quelque sorte, je réponds, désireux de couper court à la conversation.

Elle semble le remarquer et ne dit plus rien, se contentant de grignoter quelques feuilles de laitue. Le silence se fait lourd et je soupire, me retournant vers elle:

- Et toi, tu squattes ici ?

C'est l'impression qu'elle donne, avec ses pantoufles et son bas de pyjama. Elle m'offre un sourire rayonnant et repose sa fourchette, amusée.

- En quelque sorte, elle répète.

Bien joué. J'espère que la conversation va mourir ici, je ne suis pas d'humeur à sympathiser. Évidemment, elle ne se tait pas. C'eut été trop beau.

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