Chapitre 10

159 8 1
                                    

Château de Bavery

Carah

Nous sortons des écuries en toute discrétion pour ne pas nous faire prendre. Éléonore affiche un sourire jusqu'aux oreilles, ce matin. Une éternité que nous n'étions pas partis à l'aventure. Il est si important d'accorder du temps aux gens que l'on aime. J'en avais besoin, et elle aussi.

À Norway, la vie est un long fleuve tranquille. Le week-end arrivé, les parents conduisent leurs enfants au parc, en forêt ou bien en ville pour manger une glace. À Bavery, tout doit être chronométré dans les moindres détails et organisé des semaines à l'avance. Il n'y a aucune place pour la spontanéité et les surprises.

Souvent, je me surprends à fermer les yeux pour imaginer mon retour à la maison. Ma famille qui me tend les bras et m'embrasse chaleureusement en pleurant de joie. Les baisers baveux et sucrés de mes nièces qui me sautent au cou, et les plaisanteries de mon beau-frère. Ils me manquent tellement. À cette période, les rues sont recouvertes de neige. Les musiques de Noël envahissent les magasins, décorés de sapin et de guirlandes lumineuses. Je jurerais sentir l'odeur appétissante des gâteaux à la cannelle de Mme Lewis, ceux à la crème dont je raffole depuis enfant, ceux que ma maman m'apportait à la sortie de l'école.

Maman...

Tout comme Éléonore, j'ai peur d'oublier les traits harmonieux de son visage, la forme de ses yeux en amande ou celle de sa bouche. La douceur de ses cheveux ou le parfum familier de sa peau. Peur d'oublier le son de sa voix qui s'estompe un peu plus à mesure que les années s'écoulent. Mais ce que je ne pourrai jamais oublier est l'amour qu'elle me portait. Il est si bon de se sentir aimée, de se sentir choyée et protégée. L'amour d'un être cher renforce notre confiance en soi, notre aptitude à affronter les épreuves de la vie et à les surmonter. Cette force de caractère que James rejette injustement n'est que le fruit de l'éducation et de l'affection que j'ai reçu. J'espère qu'un jour il sera à même de le comprendre et de le respecter.

Nous traversons la cour avec tout notre attirail dans les bras. Du pied, je tape à la porte de la cuisine. Margaret penche légèrement la tête en arrière puis ouvre grand les yeux en nous apercevant, grelottantes de froid. Elle lâche son chiffon et vient nous ouvrir en nous dévisageant avec sévérité.

— Puis-je savoir où ces demoiselles ont passé la nuit ? Le roi vous cherche depuis des heures ! Estimez-vous heureuses qu'il ait été appelé à son cabinet !

Je lui adresse un regard de chien de battu.

— Tu comptes nous laisser mourir de froid ? Je ne sens plus mes orteils.

— Les miens non plus, m'appuie Éléonore.

Elle se met à tousser pour donner plus de crédibilité à nos paroles, arrachant un grognement à Margaret qui nous laisse enfin entrer. Après s'être réchauffées au coin du feu, elle nous sert notre petit-déjeuner sous l'œil alléché de Fripon qui remue la queue.

— Va donc te dégourdir les pattes dehors ! lui ordonne-t-elle. Tu as déjà eu ta ration du matin, mon petit bonhomme !

Elle lui ouvre la porte et frappe dans ses mains pour le faire sortir.

— Ah bon ? fais-je, la bouche pleine. Qui est venu la lui apporter ?

— Le roi s'en est chargé lui-même.

J'échange un regard horrifié avec Éléonore, ce qui n'échappe pas à Margaret.

— Alors, c'est donc là que vous avez passé la nuit ? houspille-t-elle. Vous auriez pu mourir de froid par ces températures ! Si vous ne tombez pas malades, ce sera un miracle !

À JAMAIS 2 : L'indomptable CarahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant