𝑽𝕀𝕀𝕀﹣ Dɪᴇᴜ﹐ ᴄᴇs sᴏᴜғғʀᴀɴᴄᴇs

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" Last Will and Testament ".

John Lambert tremble de colère. Quel toupet. Quelle folie. Quel enfant. Thomas le regarde fixement, se tenant toujours aussi sage et fier, le chapeau au bas ventre. Cette fois, il sourit en coin, car il sait qu'il est en train de gagner la partie. Et bientôt, grâce à sa force d'esprit et à son talent inestimable, il gagnera tout, il sera quelqu'un d'important, et il rira de cette lettre de suicide, si bonne dans sa prosodie, avec ses amis au buffet de sa réussite. Qu'il se réjouit de son impudence ! Qu'il est heureux de vivre. John Lambert lâche le parchemin avec humeur.

" Quelle honte. "

Le parchemin, par la force de ce geste, glissa de la surface malmenée du bureau et se déposa délicatement par terre.

" Partez. Et que je ne vous surprenne plus dans mon établissement. Vous avez fait une grosse erreur, Chatterton. "



Au sortir du pub encore agité et bouillant de lumière, Clarence Cross accrocha sa femme par le bras, souriant et rouge de bonheur. Thomas sortit à leur suite et le froid de la rue lui griffa les joues. Il frissonna sous sa redingote rabougrie. Il avait cédé à ce qu'on lui procure quelque bout de pain et boisson fraiche. Soufflant dans ses mains, un peu étourdi, le jeune poète s'adressa alors à eux avant qu'ils ne soient trop dissipés.

" Ce fut une agréable soirée, Clarence. Néanmoins... Nous devrions nous garder de céder trop souvent à ce genre de folie. Même si cela chauffe le cœur. Bien, il se fait tard maintenant. Je vous salue tous les deux, et tâchez de gagner votre bâtisse avant que mon brave ami s'écroule. Madame Cross. "

Il exécuta un signe de tête respectueux, de ceux qu'il avait appris en pension, et fit son départ, avant que tout à coup, l'on vienne lui attraper la veste.

" ça par exemple, Chatterton ! Tu ne compte tout de même pas nous faire faux-bon de la sorte, après un si bon moment ? Je te prie de revenir à nous et de nous laisser, Dieu l'exige, t'offrir cette place vide à notre table. Ne fais pas de ces miches ton repas et profites-en donc avant que le petit Jamie ait l'âge de l'occuper ! "

Le pauvre poète se tourna lentement vers son ami. Ses cheveux roux brûlaient par petites touches sous la lampe à huile qui abritait une flamme torturée. Il regarda Clarence pendant quelques secondes, qui lui sembla plusieurs heures. Se moquait-il de lui ? Que cherchait-il donc à faire, en lui offrant une telle invitation ? Ne savait-il pas que les temps étaient durs ? Ignorait-il comment Thomas savait à quel point il était misérable à coté de lui, et à coté de tous ses autres amis ? Sa gorge tressauta sous le désagrément qu'il ressenti alors.

" Je te remercie. Mais... Je ne peux m'accorder plus de temps. Il faut que je rentre.

- Je sais comment tu es, mon ami. Tu veux rentrer en ton grenier pour te remettre à travailler, c'est exemplaire, seulement tu en fait trop, Thomas ! Alors, quoi ? Tu travaille même lorsque tu es chez toi maintenant ? Pour le salaire que te donne tes journaux... Viens, Thomas. Je t'en prie. Viens souper à la maison.

- Oui monsieur Chatterton, encouragea la jeune Daisy avec des yeux scintillants, un couvert en plus ce n'est rien que nous ne puissions offrir. Et puis si vous craignez de boire trop ce soir pour reprendre la route, vous pourrez coucher à la maison si vous le souhaitez. Il fait bien chaud, le foyer est toujours allumé et...-

- Je ne... "

Les mots se bloquèrent dans sa gorge, comme une masse de lettres, une bouillie d'encre qui ne voulait pas sortir.

" Je regrette... "

Ne disant rien d'abord, Clarence tapota alors le bras de sa femme. Non loin de là, une fontaine tenait lieu d'abreuvoir ; il la commanda d'aller y jeter l'eau de sa gourde et de la remplir d'une eau plus fraiche. Une fois seul avec son ami, il entonna alors avec gravité.

" Thomas, c'est folie. Te laisser dépérir ainsi c'est... C'est un crime. Je n'ai rien dit devant Daisy mais, tu ne trompe personne. Je veux simplement t'aider. Il n'y a aucune honte à cela.

- Je ne suis pas un mendiant Clarence. Je n'accepte pas que tu me vois de la sorte. "

D'abord, le petit homme se mit à froncer les sourcils, ne pouvant croire que son ami tienne de pareils propos. Mais devant le ridicule de ceux-ci et l'air décidé de Thomas, il ne pu que rire, quoiqu'un peu nerveusement.

" Quoi ? Qu'est-ce que tu dis ? Mais enfin Thomas tu ne comprends pas... Tu n'y es pas du tout voyons, je ne te vois pas de la sorte, ah ça non.

- Ne crois pas que cela m'échappe. Ce que tu fais est bien mal venu. Profiter de ma misère pour t'illustrer...

- Mais auprès de qui voyons ? Thomas ! Si c'est ce que tu veux alors je peux te jurer que mon unique intention est de t'aider ! Enfin regarde-toi ! Tu as la peau sur les os ! A dire vrai je ne voulais point t'agacer de cela mais... Je crois que tu devrais aller voir un docteur. "

Thomas détourna le regard, mais Clarence continuait.

" Tu ne peux pas ignorer cela, n'est-ce pas, que tu es malade. Tiens, la dame Angel a bien dû t'en toucher deux mots, elle qui te prend en si bonne amitié. Puis d'ailleurs c'est pour le mieux, hein, ne m'as-tu pas parlé de ta pauvre mère de Bristol ? Quelle épouvante ça serait pour elle que de te voir ainsi mis ! Tu m'écoutes, Chatterton ? "

Il leva sa main vers son épaule pour la tapoter avec insistance, fâché de l'ignorance que le poète démontrait, quoique sa joue était devenue très pâle soudainement, à tel point qu'il se demanda s'il ne l'avait pas décontenancé avec sa franchise. Mais lorsque sa main s'abattit sur son épaule, le corps entier de Thomas s'écroula sur la rude carrure du petit homme, qui le rattrapa de justesse. Les ayant entendus, Daisy accourut vers eux. Elle agrippa sa robe et la fit virevolter à ses mollets. Clarence se tourna vers le mur du pub et y appuya le pauvre jeune homme, dont la face se révéla à la lumière grasse. Il était en sueur, et pâle comme la mort.

" Chatterton ! Chatterton ! Thomas ! "

Il donna quelques faibles tapes sur sa joue mais c'était inutile.

" Mon Dieu, se lamenta Daisy, sa peau est aussi blanche que la neige. "

Leurs regards se posèrent sur ce visage de martyr magnifique, à la mine sommeilleuse, aux lèvres entrouvertes d'où passait un souffle à peine perceptible. Sans doute l'imaginèrent-ils à cet instant perdu dans les limbes sombres d'un esprit torturé, mais Thomas était ailleurs. Couché sur un lit d'herbe gelée, recouvert d'une fine poudreuse immaculée, le feu de ses cheveux enflammant son visage.

La mort de ChattertonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant