La mort de Chatterton

𝕀﹣ Lᴇ ᴠɪᴇᴜx ᴍᴏɪɴᴇ

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C'est donc ici ?
C'est ici qu'il va mourir ? Ainsi, dans le silence assourdissant de cette tempête de neige ? C'est ici que sa jeune vie va prendre fin ? 

Les tremblements qui secouent son corps se font si intenses que sa colonne vertébrale grelotte elle-même douloureusement. Autour de lui il n'y a plus rien, il n'y a que ces flocons de neige bleutés qui virevoltent furieusement dans l'air, alourdissant la noirceur de cette forêt aux arbres hauts menaçants. Comment cette neige si blanche peut précipiter le monde dans la pénombre aussi rapidement ?
Tout est sombre. Il n'y voit rien au travers de ce blizzard infernal. Il s'accroupit contre le tronc d'un arbre et se recroqueville, cherchant le peu de chaleur qui lui reste dans le corps. Il ferme les yeux avec force. Cette fois c'est sûr, personne ne viendra le chercher. Ils sont tous rentrés à l'heure qu'il est, maintenant que le vent s'est levé et que la quiétude de cette belle journée d'hiver est retombée. Oui certainement, plus personne ne songe à Thomas.
Hormis Thomas lui-même ?

Un son lourd perce dans le sifflement assourdissant du vent. Le jeune garçon lève les yeux, mais son entrain retombe aussitôt. A quelques pas de lui, un énorme trou s'est formé dans le sol poudreux. Une branche de l'arbre s'était affaissée sous le poids de la neige qu'elle retenait, et tout était tombé. S'il ne prend pas garde, lui aussi risque peut-être de se voir enseveli sous un tas de cette grosse neige glacée.

Un autre bruit, cette fois plus lointain. Thomas sait que s'il ne s'ôte pas d'où il s'est prostré, il lui arrivera bientot quelque malheur. Pourtant il ne se sent plus la force ni le courage de bouger. Tout ce qu'il peut faire à présent, c'est grelotter, claquer des dents et espérer, espérer que quelqu'un vole à son secours et lui permette de retrouver le chemin de la ville. Les avalanches de poudreuse sonnent comme des pas dans la nuit, ce qui le conforte un peu, même s'il sait pertinemment que ce serait un miracle que quelqu'un passe ici en ce moment-même. Mais pourtant le garçon ne peut s'empêcher de sentir son cœur s'échauffer, et ses membres reprendre vie. Il tente de lever la tête à nouveau, le regard plissé et les mains de part et d'autre de ses tempes, et il l'aperçoit.

Une grande, large et imposante tâche sombre ère entre les troncs d'arbres à demi blancs. Lourde, silencieuse, elle s'avance lentement, les genoux émergeant sous sa longue tunique noire. Au bout de sa manche est pendue une vieille lanterne brillante dont la lumière est un spectacle des plus réconfortants pour Thomas. Il croyait ne plus jamais la revoir, cette lumière si bienfaitrice. Mais elle est encore si lointaine, et son corps est encore si frigorifié, parviendra-t-il à l'atteindre ?

Deux pieds gigantesques s'arrêtent devant lui. Soudainement, Thomas a peur sans qu'il ne sache pourquoi. Peut-être est-ce la perspective de ne plus être seul qui l'effraie un peu. Il lui semble que cent ans sont déjà passés depuis qu'il s'est niché là, oscillant entre la vie et la mort. Qui sait ce que cet inconnu veut. C'est peut-être bien un loup qui vient vers sa proie. Ou bien un fantôme. Un très vieux, très ancien fantôme qui vient pour l'emmener au royaume des morts.

" As-tu perdu ton chemin mon garçon ? " demande une voix mystérieuse.

Thomas ne devrait pas lui répondre. Il le sait c'est évident, c'est ce que sa mère lui a raconté. Si l'on veut que la mort nous épargne, il ne faut pas la suivre. Peut importe ce qu'elle nous dit. Il ne faut pas l'écouter.

" Ou bien, as-tu perdu l'esprit ? "

C'est à cet instant qu'il se rend alors compte d'une chose tout à fait déroutante ; il était incapable d'affirmer que cela était la réalité. Il ne pouvait être parfaitement convaincu que tout cela était vrai, l'inconnu, la neige, le froid et lui-même. Qu'est-ce qui était illusion ? Qu'est-ce qui était réalité ? Thomas n'en savait rien. Il n'en savait rien, mais il y avait tout de même une chose qui demeurait nette dans son chemin de pensée tumultueux. Si cela était vrai, alors il pourrait certainement regarder l'inconnu dans les yeux. C'est seulement là qu'il saura qui il est, mais aussi s'il a effectivement perdu l'esprit à tout jamais.

Prenant son courage à deux mains, le jeune garçon relève la tête et va à la rencontre de l'homme qui se tient toujours debout devant lui. Ce dernier porte une capuche, mais comme inspiré par l'approche du garçon, il lève sa main libre pour venir la repousser sur ses épaules. Ce mouvement dure si longtemps qu'il est difficile pour Thomas de maintenir son regard, si bien qu'il ferme les yeux un instant, trop aveuglé par la tempête de neige qui les assomme toujours.

Brutalement, Thomas ouvre les yeux et se hisse sur ses coudes. Il balaye rapidement la pièce du regard, mais il n'y a plus de neige, plus d'arbres, plus d'inconnu. Il n'y a que sa chambre, son bureau, sa cassette et sa fenêtre au volet fermé. C'était encore ce rêve, celui où il rencontre ce vieux moine sinistre. Celui qui persiste à revenir le hanter depuis que cet événement lui est arrivé, il y a déjà quelques années. Pourtant il a beau éplucher le moindre de ses souvenirs, il ne se rappelle d'aucun moine qu'il aurait rencontré ce soir-là, alors qu'il était perdu dans cette forêt proche de Bristol, en plein hiver. Cela dit, il lui est impossible de s'expliquer sur le fait qu'il ait mystérieusement retrouvé le chemin de la ville tout seul. Il suppose que c'est un miracle, car les miracles ne peuvent être expliqués.