Chapitre 1 :
Samedi 4 septembre 2021 – 13h27 - Mathéo
Les yeux rivés sur mon téléphone, je fus extirpé de mes pensées par une annonce de la SNCF.
« Madame, Monsieur. Votre attention s'il vous plaît. À la suite d'un accident grave de personne, le TGV numéro 1145, en provenance de Saint-Quentin, arrivée initialement prévue à 14h31, arrivera avec un retard de : 2 heures environ. Merci pour votre compréhension. »
Je n'eus pas le temps de grommeler que les passagers partageant mon wagon commençaient déjà à s'indigner en trombe :
« Toujours des problèmes avec la SNCF ! s'exclama une jeune femme, deux sièges devant moi. Être à l'heure c'est trop demandé ?
- Heureusement qu'ils ne sont pas payés proportionnellement à la durée du voyage, sinon on crierait au complot », s'amusa un autre passager, adossé à l'une des fenêtres avant du wagon.
Sa réponse fit sourire la jeune femme, qui se calma instantanément. Ils commencèrent à discuter ensemble mais je n'y prêtai pas plus d'attention. Je saisis le numéro de Théa pour la prévenir de l'incident. Le téléphone à l'oreille, j'attendais patiemment qu'elle répondît lorsqu'un vieil homme, cigarette en main, me demanda si j'avais un briquet à lui prêter. « Non, désolé, je ne fume pas » sont les seuls mots que j'eus pu prononcer avant d'être interrompu par la voix de Théa au téléphone :
« Qu'est-ce qu'il y a encore ?
- Sympa l'ambiance, rétorquai-je. Elle rit. J'ai ENCORE un problème avec la SNCF. J'aurai deux heures de retard, ça te dérange si on fait les courses demain matin plutôt ? J'ai plutôt envie de me poser en rentrant je t'avoue.
- Faire les courses un dimanche matin ? On devient des petits vieux, Mathéo. Et ce n'est pas ma faute. »
Théa avait toujours le mot pour faire rire. Je partageais mon quotidien avec elle depuis déjà deux ans, dans un appartement dans le vieux Lille. Dix longues années que l'on se connaissait. Une forte amitié nous liait. « Les inséparables », « le petit couple », « Tic et Tac », tous les surnoms y étaient passés. Théa était une grande rêveuse : elle voyait tout en grand et son regard optimiste sur le monde la motivait à atteindre tous les objectifs qu'elle se fixait. C'était une personne forte, souriante, qui enjolivait la vie des personnes qu'elle croisait. « Une perle de bonheur », comme l'appelait ma mère.
« Je pourrai y aller seul, ça ne me dérange pas.
- Non, ne t'inquiète pas, je t'accompagnerai. Mais en fin de matinée, hein ? Pas de réveil à huit heures, s'il-te-plaît.
- Promis. »
On mit fin à la conversation rapidement. Je soupirai à l'idée de devoir patienter dans le train deux heures supplémentaires. Je regardai par la fenêtre et vis l'homme qui m'avait demandé un briquet, fumer avec deux autres personnes sur le quai de la gare de Fresnoy-Le-Grand. Enfin, « gare » était un bien grand mot : un parterre partiellement cimenté faisant office de quai, quatre voies dont deux laissées à l'abandon, vu la végétation abondante camouflant allègrement les rails, un unique banc en pierre, loin d'être confortable à première vue. Nombreux étaient les voyageurs qui étaient sortis du train pour prendre l'air, mais surtout pour pouvoir respirer à pleins poumons. Il faisait une trentaine de degrés Celsius à l'intérieur du train. Je ressentis à mon tour le besoin de sortir. Je pris ma valise en main et descendis sur le quai, à côté des autres voyageurs. L'odeur de cigarette me vint directement au nez et je me décalai lentement de quelques mètres.
Je revenais de vacances scolaires, passées chez mes parents à Montbrehain, ville paumée au beau milieu de la Picardie. Un endroit reculé mais tranquille, loin de la ville, du bruit et des problèmes de voisinage. Ma vie à Lille était bien différente : toujours en activité, je ne ratais aucune occasion de sortir et faire des découvertes diverses et variées : spectacles musicaux, ballets, concerts, expositions, bars, boîtes de nuit, magasins, cafés, parcs... Il y avait le choix. Trop de choix. Je n'avais plus une seule minute pour moi. Je partageais un appartement de 97 m² avec Théa, Samuel et Chloé. Samuel nous avait rejoint un an plus tôt, seulement trois jours après avoir mis une annonce sur les réseaux immobiliers. Chloé, sa petite-amie, nous rejoignit deux mois plus tard. Nous n'avons jamais rencontré de problèmes de cohabitation : Samuel et Chloé avaient leur intimité à l'étage, tandis que les chambres de Théa et moi étaient au rez-de-chaussée. La bonne humeur de Théa et la sympathie du jeune couple rendaient la colocation agréable.
Trois heures passèrent et j'arrivai enfin à la gare Lille-Flandres. Un premier pied posé sur le quai et je vis Théa, attendant patiemment épaulée à un poteau, les yeux sur son téléphone, une mèche de cheveux rousse retombant sur son visage. Je m'approchai d'elle, elle leva les yeux et me prit dans ses bras :
« Que ça fait plaisir de te revoir ! Je commençais à déprimer toute seule à l'appartement. Chloé et Samuel sont partis en week-end et je n'aurais pas tenu un jour de plus !
- Ah oui ? Ils sont partis où ?
- En Belgique, à Bruges. Un week-end en amoureux. »
Elle grimaça après avoir prononcé ces mots. Je ris. Théa et moi étions célibataires depuis longtemps, et nous aimions faire les dégoûtés de l'amour, même si au fond nous savions très bien qu'on ne dirait pas non à une petite idylle si elle se présentait.
« On prend le métro ? proposai-je.
- Tu es malade ? Il fait super beau ! On y va à pied. Tu as encore tes jambes à ce que je vois, donc pas d'excuses ».
Je ne bronchai pas et la suivis dans Lille. Voir Lille vivre me fit un bien fou : les gens buvaient des bières à foison sur les terrasses, des centaines de personnes se bousculaient dans la rue pour rejoindre tel ou tel magasin, les voitures roulaient à 10 kilomètres par heure, coupées inlassablement par des piétons sûrs d'eux, des bénévoles arrêtaient les passants pour parler du réchauffement climatique, de la cause animale, de politique ou des conditions humaines dans les pays sous-développés, des pigeons orgueilleux qui ne daignaient pas s'envoler quand tu manquais de les écraser... Ce qui me plaisait surtout était la diversité vestimentaire des Lillois : une expression de soi très forte que j'admirais particulièrement. Bref, je m'y plaisais.
Arrivé au bas de la porte de l'appartement, Théa s'arrêta et se retourna pour me faire face :
« J'ai oublié de te dire... L'appartement a ... légèrement changé. »
Lorsqu'elle ouvrit la porte, toute la décoration était différente : anciennement vintage, le style était désormais plus moderne. Les meubles étaient disposés autrement qu'à mon départ : le salon avait laissé sa place à la salle-à-manger, désormais ornée de multiples tableaux que j'imaginais être de l'art contemporain, la cuisine était beaucoup mieux rangée qu'auparavant (il fallait avouer que le rangement n'était pas notre point fort, ni à Théa, ni à moi), seule ma chambre était restée intacte.
Après une visite détaillée de l'appartement effectuée par les soins d'une Théa très fière d'elle, je la félicitai pour tout ce travail :
« On ne voulait pas te prévenir pour que tu aies la surprise ! Samuel et Chloé m'ont aidé pour ça.
- Vous avez géré ! Mais ça a dû coûter une blinde, non ?
- Non, même pas. Magasins de seconde main, tu connais », répondit-elle en me faisant un clin d'œil.
Je posai mes valises dans ma chambre et m'allongeai sur le lit. Les draps étaient froids, tout comme les murs blancs sans âme qui m'isolaient. Je n'avais jamais ressenti le besoin de décorer ma chambre : elle était sobre, basique et sans fioriture. Une simple chambre munie d'une commode, une armoire et un miroir à gauche de la fenêtre. Pas de photos. Pas de décorations. Pas de personnalisation. Je sursautai à l'arrivée soudaine de Théa dans ma chambre :
« Tu m'as fait peur ! Tu aurais pu frapper à la porte au moins, m'exclamai-je, la main sur le cœur.
- J'ai frappé. Tu n'as pas dû entendre. Bref ! Un Big Fernand pour ce soir, ça te dit ? »
Dès que j'entendis ces mots, je me redressai et affichai mon meilleur sourire. J'adorais leurs hamburgers faits maison, leurs frites délicieuses, leurs sauces savoureuses et leurs limonades artisanales divines. J'y allais à chaque fois que je voulais marquer une occasion. Je fronçai légèrement les sourcils en regardant Théa qui était toujours à la porte :
« Pourquoi ? Tu as une annonce à me faire ? demandai-je suspicieusement.
- Non, je voulais juste faire un truc pour ton retour. Tu nous as manqué ici. »
Elle me sourit et je lui rendis la pareille.
Je sentais que mon retour à Lille allait me faire un grand bien.
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Les anges pleureurs prennent Lille
Teen Fiction"Je pensais que c'était irréel, que tout était truqué, mais lorsque je l'ai vu de mes propres yeux, alors là, je n'ai plus douté une seule seconde. Nous étions en danger."