Chapitre 19

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Le soleil brutalisait les terres Saint-Louisienne avec une violence inégalable et anormale. En ce mois, ils étaient plus habitués à de forts orages. Les rues n'étaient donc plus aussi bondées que d'habitude. Chacun faisait en sorte de faire le moins de mouvement possible pour éviter de se fatiguer.

Entre temps, l'année 1957 s'était faite enjamber telle une bûche de bois à côté d'une rivière, laissant sa place à sa petite sœur de huit mois.

Agissant comme tout le monde, Sénégal restait immobile au bord du pont, là où la mer se frottait régulièrement aux poteaux. Il pêchait et relâchait aussitôt les poissons en compagnie de son ami mauritanien, qui avait pris l'initiative de baisser son chèche au niveau du menton en cette forte chaleur.

D'un coup, ils entendirent de fortes interpellations en leur direction. Une femme à la robe orangée et fleurie leur faisait des signes de la main en les appelant bruyamment, ce qui avait le don de déranger la foule. Au vu de son enthousiasme, elle ne semblait pas spécialement affectée par la chaleur dévastatrice.

Elle fit attention à ne pas s'appuyer sur la barre chauffée mortellement et admira les pirogues avançant paisiblement.

« Alors, on dit quoi messieurs barbus ? Vous datez ! Vous allez pas les rejoindre ? Elle pointa les piroguiers du doigt.

- C'est notre journée de repos Côte d'Ivoire. Répondit Sénégal. Tu es en forme à ce que je vois.

- Comme toujours m'sieur ! Elle montra son muscle en le tapant. T'es pas parti au marché aujourd'hui ? »

Le Diola hocha négativement la tête.

« Et donc t'as pris les photos que je t'ai demandé ?

- Non. Enfin, oui, se corrigea Sénégal, j'ai plutôt donné la tâche à ma sœur. Elle semblait intéressée.

- Je croyais que Gorée avait mieux à faire. Rétorqua l'autre pêcheur.

- Disons qu'elle peut être serviable quand elle me traite comme un adulte. »

La photographe et le pêcheur soufflèrent, amusés par cette déclaration. La mer brillait tel le miroir du ciel qu'elle était. Le champ de nénuphars à bec colorait ce vaste miroir et la détermination des hommes qui se tenaient dessus.

L'Ivoirienne trouvait fort dommage que son appareil photo ne soit pas avec elle.

Elle continua à contempler le paysage.

« Je suppose que l'appareil est avec le vieux patron. C'est gentil de rendre service monsieur, on pourra enfin faire un album sur ta verte région. J'espère qu'elles seront belles ! »

Il hocha positivement la tête et releva sa canne à pêche qui tenait sur son appât une jeune sardinelle. Il l'avait trouvé mignonne au premier abord et se sentait de plus en plus bizarre à force d'y penser. Puis il la relâcha en arrêtant d'y songer.

« Dites, vous voulez du Banania ? Demanda soudainement Côte d'Ivoire en agitant la boîte qu'elle tenait en main.

- Banania ? Répéta Sénégal d'un ton las.

- Ben oui Banania ! L'ami "y a bon", l'ami de tous les enfants !

- Surtout ceux des blancs. Compléta Mauritanie. Même une porcherie n'en voudrait pas. Bois-le, ça ne te fera pas de mal.

- Hein ? Mais j'en veux pas ! Je vaux mieux qu'un porc ! S'offusqua la photographe. Ce sont les enfants des blancs qui aiment ça non ?

- Pourquoi tu as acheté ce truc sérieusement ? Intervint Sénégal.

- Je l'ai pas acheté ! Protesta-t-elle prête à les taper. C'est ta copine qui me l'a salement refilé ! »

Sénégal eut un rictus avant de se concentrer à nouveau sur sa canne. Une belle farceuse, pensa-t-il. Elle chercherait toujours à rentabiliser une affaire même si elle n'en valait pas la peine.

Perle d'indépendanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant