Chapitre 8

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Sans s'en rendre compte Martin fit un pas en arrière.
- Vous... vous êtes Jordel ? Jordel d'Erimond ? Le... le "Bourreau" !? S'entendit-il bégayer.
Le colosse hocha simplement la tête.
Martin écarquilla les yeux de stupeur. Il fixa le vétéran avec un regard ahuri comme si il venait de se métamorphoser sous ses yeux en une tout autre personne. La bouche béante, abêti par la nouvelle, il réussi tout de même à articuler quelques mots.
- Mais, je... j'ignorais qui vous étiez. Si j'avais su, jamais je... .S... s'il vous plaît reprenez votre manteau. Il enleva rapidement les lourdes fourrures de son dos et les tendis à son propriétaire tout en prenant bien soin de ne pas croiser son regard.
Jordel se tourna vers le garçon qui portait à bout de bras son manteau en fixant ses pieds avec une mine déconfite. Il le regarda de haut en bas, presque aussi étonné que lui.
- Arrête de supplier petit. Pour qui est ce que tu me prends ? Un noble ?
- Pardon mais... mais vous êtes Jordel d'Erimond, le héros de la bataille de Fort le Guet.
- Et ça t'empêche de prendre mon manteau ?
Martin secoua frénétiquement la tête.
- Je ne me permettrait pas.
Le géant posa alors sur le jeune garçon un regard sévère et s'avança d'un pas vers lui, le surplombant de toute sa hauteur. Il agrippa les fourrures d'une main et les aplatis contre le visage du jeune soldat.
- Mets ça ou je t'étouffe avec !
Martin, le visage plongé dans les peaux puantes que le colosse maintenait fermement plaquées contre lui, sentit soudain un frisson lui parcourir l'échine et cette fois-ci ni le vent ni le froid n'en était la cause.
Sans oser ajouter quoi que ce soit il se dégagea et à contrecœur enfila, une seconde fois le manteau, un air penaud sur le visage.
- Bien, fit Jordel en hochant la tête. Et il retourna se poster au bord de la tour.
Martin, n'en revenait pas. Il était de garde avec le "Bourreau". Le guerrier qui avait retenu une trentaine d'ennemis à lui seul afin que ses compagnons puissent fuir le bastion de Fort le Guet qu'ils n'avaient pas pu défendre. Il avait tué bien plus d'hommes que n'importe quel autre soldat dans cette armée ou dans celle d'en face. Des plus jeunes recrues aux briscards chevronnés, tous les hommes de l'armée connaissait ce guerrier et ses exploits. Partout on faisait éloge de sa bravoure, de son talent de combattant mais aussi de la férocité avec laquelle il se battait. Le soir, autour des feux de camp, certains disaient même que sa rage était telle qu'il pouvait se transformer en ours durant les combats tandis que d'autres soutenaient que si il était si fort c'était parce qu'il avait du sang de géant qui coulait dans les veines.
Tout petit dans son coin, Martin bigler sur l'homme avec le même effarement que si il lui avait révélé qu'il était le roi en personne.
- Hé, vient faire ton travail, lança alors Jordel, c'est pas moi qu'il faut fixer comme un con !
Martin s'approcha de la rambarde de la tour, son cœur tambourinant contre sa poitrine.
- Détends toi gamin, dit le colosse d'une voix plus calme comme si il avait entendu les battements frénétiques de son cœur. Je ne mange pas les petits novices. Quel âge tu as ?
- Seize ans, répondit Martin.
Jordel poussa un petit rire ou perçait l'ironie et une pointe de dédain.
- Seize ans ?! Et que ce que tu fous ici ? À ton âge on s'amuse à compter ses poils de menton.
Martin ne répondit rien, il ne savait pas quoi dire.
- Est ce que tu sais au moins te servir de ça ? Lui demanda Jordel en pointant un doigt sur la lance et le bouclier qui reposait dans un coin de la tour.
- J'ai eu une formation, comme tout le monde, répondit le garçon du tac au tac en essayant de paraitre aussi sûr de lui qu'il le pouvait.
Jordel hocha la tête, un drôle de rictus sur le visage.
- Oui bien sûr, n'empêche que pour les gars d'en face tu ne seras jamais rien de plus qu'un amuse gueule. Par le Père comment s'imaginent-ils gagner la guerre si ils recrutent des mômes ?! S'exclama-t-il alors en secouant la tête.
- Hé, je ne suis plus un enfant ! S'offusqua Martin.
- Bien sûr que si. Tu n'es qu'un gosse qui vient de quitter les jupes de sa mère et qui n'a pas la moindre idée de ce qui l'attend.
- Peut être mais je suis prêt à me battre.
- Mais ferme là un peu ! Rétorqua Jordel en soupirant. Tu ne sais même ce que ça veut dire et encore moins ce que ça implique. J'parie que tu n'as jamais ne serait-ce que blesser quelqu'un.
Martin ouvrit le bouche, la referma presque aussitôt et détourna le regard.
- Ouais c'est bien ce que je pensais, fit Jordel d'un air las.
Martin observa le géant qui paraissait avoir déjà cerné qui il était et une montée d'orgueil le poussa à riposter, il ne voulait pas que le guerrier le plus célèbre et respecté de l'armée s'égare sur son compte.
- C'est vrai que je suis jeune et que je n'ai jamais assisté à une bataille mais n'allait pas croire que je suis un lâche pour autant, répliqua-il d'un ton franc. J'ai autant ma place ici que n'importe quel homme.
- Je suis sûr que tu ne manque pas de courage petite recrue, dit Jordel sans même le regarder, mais je déplore que tu sois ici.
La réponse laconique et le ton froid qu'il avait employé retint Martin de faire tout autre commentaire et il passa le restant du tour de garde à réfléchir aux propos du vétéran.

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