Jour 6 - Ragnarök -

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nom masculin

Dans la mythologie nordique, le Ragnarök renvoie à une fin du monde prophétique comprenant une série d'événements dont un hiver de trois ans sans soleil [...].




Théo s'agace, il n'arrive pas à déverrouiller son téléphone. Et quand enfin il y parvient et compose le 112 c'est pour tomber sur un opérateur islandais avec un accent anglais atroce. C'est un langage de sourds qui s'instaure.

J'assiste à la scène impuissant, luttant contre le froid. Je baisse la tête alors même que d'énormes glaçons se forment sur mon col, sur les élastiques de mon masque, sur mes manches, les fermoirs de fermeture éclair. Partout où la neige a prise, elle ne tarde pas à s'accumuler en de pesantes boules allant jusqu'à la taille d'une balle de tennis. Le froid nous inonde lentement. Mes pieds qui s'endorment provoquent des douleurs et des sensations de brûlures atroces.

Je prélève une couverture de survie dans la pulka au dessus de nous. La bâche de la luge ainsi détachée claque dans le vent avec fureur.

Théo entend l'opérateur sans bien le comprendre mais lucide il décide de donner les infos essentielles à commencer par notre position. Cette fois c'est au tour de l'islandais de ne rien comprendre à l'accent de mon ami. Il lui dit du mieux qu'il le peut qu'on est au sud du lac d'Hágöngúlon et à 14km au Nord de Jökulheimar... Devant ce que je comprends être l'incompréhension des agents, il hurle des « FUCK FUCK FUCK » désespérés dans le combiné. Glaçant.

Le bruit du vent tout autour, tel la longue plainte d'un souffle intarissable, est un mugissement effroyable, permanent. Je tente au mieux de tenir la bâche d'une main quand il est en communication pour que le claquement du tissu s'arrête.

Théo, plus recroquevillé que jamais, s'acharne. Il est contacté par un opérateur basé à Paris qui dit travailler pour le service des balises SOS. Il a nos noms et coordonnées, Théo avait pré enregistré la fréquence du signal de détresse à nos noms si la balise venait à être déclenchée et émettre. Cependant, il enchaîne les appels avec les secours islandais qui nous disent avoir envoyé un hélicoptère et on pense qu'ils ont enfin compris notre position. D'autant que pour mettre toutes les chances de notre côté, on a réussi, non sans encore plus de mal que pour allumer le portable, à partager notre position via WhatsApp avec le père de Théo d'abord et de tous ceux qui cherchèrent à nous contacter par message ensuite. Fred, en voyant le message de son fils : « SOS » suivi d'une position, a dû avoir les cheveux qui se dressaient. Malheureusement, le moment n'était pas aux états d'âme. Nos corps devenaient froids maintenant, les pieds nous lançaient des signaux de douleurs tels des aiguilles pour nous rappeler à l'ordre. Qu'est ce qu'on y pouvait ?

À partir de ce moment-là, Théo n'échangera quasi uniquement qu'avec l'opérateur des balises par SMS, par facilité de la langue et de compréhension. Des messages concis, efficaces mais glaçants de la vérité qu'elle dégage. Il envoie régulièrement le pourcentage de batterie restante de son téléphone à titre d'information.

34%.

Ça fait maintenant presque trois heures que l'on échange avec les secours de manière disparate. Ils nous disent de bien guetter si des motoneiges ou l'hélicoptère sont autour de nous. On croit souvent les entendre mais ce ne sont jamais eux, toujours ce vent de dingue qui nous rend sourd, qui exacerbe nos hallucinations.

Toujours trempés. Théo est au fond du trou, il est enneigé maintenant, seules ses épaules émergent. Il se dégage un peu de temps en temps pour se donner de l'air. Je l'y aide régulièrement. Quant à moi, je suis enlisé jusqu'à la taille les jambes prise dans cette gangue de glace qui se forme. Je ne sens plus mes pieds. Depuis quand ? Le silence s'installe dans notre inaction, seule la plainte du vent exhale. J'essaye avec une force immense, les yeux clos, de me téléporter... je m'imagine ailleurs, pour y puiser du réconfort. En vain, rien ne se passe. Le cauchemar ne s'arrête pas, tout est bien réel.

ICELAND une semaine à la neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant