La plupart du temps, je ne comprends pas les gens. Enfin, honnêtement, je n'ai jamais cherché à les comprendre. Les humains d'aujourd'hui me sont tous étrangers. Je ne dirais pas que je les hais, mais je ne les apprécie pas, c'est tout. Si je devais me placer dans une case (ce que je déteste faire), je me considérerais comme un observateur. Je ne parle pas, je regarde. Certains pourront dire que je fais peur, assis seul à regarder les autres vivre, mais c'est le seul moyen que j'ai trouvé à combler ma solitude. J'écoute les conversations, et de cette manière, je peux connaître quasiment toute la vie d'une personne après l'avoir écouté plusieurs jours de suite. Comme vous avez pu le deviner, je n'ai pas beaucoup d'amis.
Depuis quelques mois, la circulation du métro dans toute la France s'est complètement arrêtée. Personne ne sait pourquoi, mais il y a 8 mois le gouvernement a strictement interdit toute circulation du métro dans n'importe quelle ville française. Des dizaines de théories ont surgi dès le lendemain. Tout le monde ne parlait que de ça pendant des semaines, mais après un mois ou deux, les rumeurs se sont tassées et on n'en parlait plus. Il y avait bien quelques manifestations par ci ou par là, mais les gens se trouvaient plus occupés à trouver d'autres moyens de transport. Moi, je m'en soucie peu car je ne jure que par mes jambes. Aucun risque de me faire voler mon vélo, et puis mon collège est à quinze minutes à pieds de chez moi. Je déteste Paris. Le bruit, les gens, la crasse. Paris m'a toujours paru comme le total contraire de ce que les touristes en pensent. À mes dix-huit ans, je m'en irai d'ici, quelque part de plus calme.
Je crois que c'est arrivé un vendredi soir. Je rentrais à la maison à pied, comme tous les soirs. J'étais fatigué, comme tous les soirs. J'écoutais Softcore de The neighborhood, comme tous les soirs. Je passais devant la boutique de ma tante, comme tous les soirs. Mais il y avait quelque chose qui n'était pas comme tous les soirs. Je n'arrivais pas à savoir quoi, mais quelque chose clochait. L'atmosphère de Paris était différente. Un soir normal, à dix-huit heures, il y aurait un embouteillage, des gens qui râlent car ils veulent rentrer chez eux à temps pour leur feuilleton télévisé. Ce soir-là, il n'y avait pas un chat dans mon quartier. Personne. Mes écouteurs vissés sur mes oreilles m'empêchaient d'entendre ce qui était probablement un long silence de ce quartier fantôme. Je me rappelle être rentré chez moi le plus vite possible.
L'atmosphère de la maison était tout aussi étrange que celle dehors. Notre vieille maison d'habitude si animée par des cris ou des enfants qui courent était plongée dans un silence des plus angoissants. Je me précipitait dans la seule pièce dont provenait un maigre son de télévision, le salon.
L'entièreté de la famille était réunie autour du nouveau poste de télévision Philips que mon père avait acheté le mois dernier pour l'anniversaire de ma mère. À l'écran, on pouvait voir le président de la République, en train de parler pour son allocution. J'avais complètement oublié qu'il parlait ce soir. Je n'était pas assez proche du poste pour entendre clairement ce qu'il disait, mais en voyant le visage grave de mon père et la peur dans les yeux de mes petits frères et sœurs, je n'osai pas demander. Lorsque ma mère tourna la tête pour me voir, je vis qu'elle pleurait. Ma mère ne pleure jamais. Elle a 4 enfants, ma grande sœur Alice, malade depuis son enfance, moi, un garçon bizarre et sans aucun ami ainsi que Lucie et Corentin, les jumeaux hyperactifs. Et jamais je ne l'avait vu pleurer. Entendue, oui. Quand on a appris qu'Alice ne guérirait jamais.-Oh, Eliott! dit-elle entre deux sanglots. Tu es là!
-Maman, que se passe-t-il? demandai-je en me rapprochant d'elle.
-Eliott, assied-toi. me dit mon père du ton le plus sérieux que je n'ai jamais entendu.
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Sous nos pieds
General FictionDans un futur proche, le gouvernement français a fermé toutes les stations de métros sous-terraines du pays. Eliott, Alice et leurs proches se retrouvent dans une situation plus que dystopiques, dans laquelle l'Etat veut se servir d'eux.