Le voyageur se hâta dans les rues qui s'animaient, gardant un œil à l'est sur le soleil qui ne tarderait pas à passer par-dessus les Monts du Dragon. Il n'eut même pas à s'assurer que son compagnon le suivait ; il sentait sa présence derrière lui, solide et puissante. Cette constatation fit monter en lui une vague de mélancolie. Si seulement... Si seulement... Si... Il secoua la tête pour chasser les sombres pensées qui enflaient en lui. Ce n'était pas sur les remords et les regrets qu'il avait construit sa vie. Quand il prenait une décision, il s'y tenait. Sa femme l'admirait et le haïssait pour cela – comme beaucoup d'autres – mais c'était l'admiration qui l'emportait, la plupart du temps.
La tête et le visage calfeutrés dans son turban noir et or il pesta. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas mis les pieds à Hederam. L'Acropole se dessinait nettement dans le paysage urbain, légèrement en surplomb sur une colline, mais comment l'atteindre de façon discrète ? Les habitants ne manqueraient pas de repérer deux voyageurs el'dinis couverts de poussière et de boue, pressées qui plus est, filant à vive allure dans l'aube grise en direction du cœur politique du royaume. La rumeur se répandrait comme un sillage d'huile prenant feu. Il devait l'éviter à tout prix.
Reconnaissant la façade d'un bâtiment, il fit un signe à son compagnon afin que celui-ci tourne à droite. Sans hésiter, l'autre s'engouffra dans la ruelle, et ils s'extirpèrent de la Grande Rue et de l'agitation, se soustrayant aux regards scrutateurs des commères et des espions. Il faut dire que s'ils ne passaient pas inaperçus, leurs montures, deux edalehs pur-sang, étaient eux-mêmes clairement identifiables. Brides, mors et selles étaient clairement de facture el'dinie, tout comme leurs vêtements et leur apparence. Or, ils étaient bien loin de chez eux, et les rares el'dinis qui sillonnaient les routes du nord de Parallan ne portaient pas sur eux autant la marque de leurs origines sudistes.
Les deux voyageurs traversèrent la ruelle résidentielle et calme au petit trot. Les habitants devaient soit être parti travailler, soit encore endormis. Aussi la traversèrent-ils sans croiser âme-qui-vive. Ils remontèrent ainsi jusqu'à l'Acropole par des chemins détournés et peu animés à cette heure. Ils étaient pratiquement aux portes de la citadelle lorsque, leur vigilance trompée par une trop grande quiétude jusqu'alors, un garçonnet courant derrière un chien bâtard se jeta sans y prendre garde sous les sabots furieux de leurs montures. La mère de l'enfant, qui avait quitté son foyer dans son sillage, se figea en poussant un hoquet de terreur. La maîtrise des deux cavaliers, cependant, fut parfaite. Sans prononcer un mot, une simple pression des genoux et sur les rênes suffit à immobiliser tout à fait les deux équidés qui se contentèrent de piaffer et de souffler fort par leurs naseaux, la bouche écumante, en attendant que le gamin et son chien traversent. Ce résultat parfait était le fruit d'une éducation rigoureuse et stricte des deux edalehs depuis leur plus jeune âge.
Bon prince, l'un des voyageurs, celui qui menait, pencha légèrement la tête sur le côté et fit signe à la mère d'un geste du bras qu'elle pouvait traverser en toute sécurité. Choquée et impressionnée, elle bafouilla un remerciement et rejoignit son fils, oubliant presque de le rabrouer. L'incident clos, les deux cavaliers se hâtèrent de gagner enfin les portes de l'Acropole.
Cette fois, ils furent contraints de mettre pied à terre pour espérer aller plus avant. Par chance, la citadelle bénéficiait de ses propres écuries.
Toujours pressés de disparaître à la vue de tous, ils s'avancèrent, menant leurs montures épuisées par la bride. Les deux gardes en faction à l'entrée croisèrent aussitôt leurs lances devant les portes pour leur signifier clairement qu'ils n'étaient pas les bienvenus.
— L'Agora est fermée aujourd'hui, l'ami. Reviens demain pour les débats publics.
— Nous sommes ici sur demande du Demos, le détrompa posément le meneur.
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Les voleurs de temps
FantasyDaná est une chronophage, marquée par la déesse destructrice de l'Infini, Arka. C'est une voleuse de temps, condamnée à tuer tout ce qu'elle touche. Mais servir celle dont on a annoncé le retour et qui détruira Parallan est dangereux. En ces temps...