MA PRÉCIEUSE

CHAPITRE 4

 Une heure plus tard, je suis enfin prête. Il est vingt-heure. Je n'aurai pas le plaisir de voir mon père jubiler devant mon retard. Je crois que Jeanne n'a jamais fait mon brushing aussi rapidement. La robe que mon père à choisi est longue. Pas de décolleté, pas de dos nu et on ne voit pas mes jambes. Mon père a beau vouloir me caser à l'un de ses compères, il ne perd pas le nord. Et ça me convient plutôt bien. Cependant, elle est assez moulante pour épouser mes formes et marquer ma taille fine. Je sais d'avance que je risque d'attirer les regards indiscrets.

La robe scintille de fins cristaux bleu ciel. Ce ne sont évidemment pas de vraies pierres précieuses, on ne cherche pas à être riche. Il faut juste faire semblant de l'être.

Jeanne m'apporte les bijoux et les chaussures, et me prévient que je n'ai plus qu'à descendre pour être escortée par Drew. Et oui, ça en fait des employés pour un père celibataire et sa fille unique. Mais c'est juste "au cas où nous aurions des invités".

— Bonsoir Mlle, toujours aussi distinguée. La robe vous sied à ravir, s'enquit Drew en m'ouvrant la portière.

Je le remercie et m'engouffre dans la berline, mon nez déjà scotché sur les réseaux sociaux. Insta est inondé de stories de beuverie en tout genre. Les étudiants de mon école semblent s'amuser chaque week-end à boire, danser, fumer et certainement à s'envoyer en l'air. J'ai toujours cru qu'en entrant aux Beaux-Arts j'aurai le plaisir de vivre ce genre de choses, mais mon père m'a vite ramené à la réalité. Je ne suis pas à ma place dans cette école, ni dans ces soirées. Je n'ai pas le droit d'appartenir à ce monde. Pourtant, je n'ai pas l'impression d'appartenir non plus à celui de mon père.

— Tout va bien mademoiselle ? Vous paraissez songeuse.

— A merveille Drew, mentis-je pour faire bonne figure. Où est-ce que mon père et ses adorables amis ont prévu de s'amuser ce soir ? ajouté-je d'une voix sensiblement sarcastique.

— Mr Charles organise les trente ans de son fils ce soir. Ils ont prévu une belle fête en perspective à leur demeure de Fontainebleau.

Je roule des yeux automatiquement. Les Charles. Les associés préférés de mon père. Leur fils Didier en pince pour moi depuis quelques années maintenant, ce n'est plus un secret, et je soupçonne mon père d'utiliser cette soirée comme prétexte pour nous rapprocher.

— Merveilleux, soupiré-je avant de plonger dans un profond silence jusqu'à la fin du trajet.

*

21 heures. Drew me dépose devant l'escalier de l'immense demeure. Si la nôtre peut faire tourner de l'œil le commun des mortels, celle des Charles est une invitation à ne jamais se réveiller. Une grande bâtisse rappelant les villas italiennes de Sicile dans lesquelles père adorent passer ses vacances d'été. Deux statues représentant Aphrodite et Eros sont disposées de chaque côté de l'escalier. Une large fontaine sert de rond-point aux nombreuses voitures se précipitant pour rejoindre l'énorme événement.

Mon père ayant directement rejoint les Charles après sa réunion au Ministère de la culture, un des hommes de main de la famille se dévoue pour m'escorter jusqu'au centre des festivités. Une fois mon manteau déposé aux hôtesses, les regards déplacés des nombreux invités commencent à me démanger la peau.

Bon nombre de ces derniers viennent me saluer sans que je ne connaisse ni leur prénom, ni leur visage. Je leur réponds par politesse, même si l'envie me prend de tous les envoyer se faire foutre. Eux et leurs sourires faux. Eux et leurs yeux remplies d'intérêts. Ils me donnent tous envie de vomir.

Arrivée à la salle de réception, mon escort m'abandonne pour aller s'occuper d'une autre femme. Je ne mets pas longtemps à repérer mon père. Il se tient près du couple Charles et de Didier. Son sourire se crispe lorsqu'il se rend compte de ma présence. C'est presque imperceptible, car je suis la seule à me rendre compte que mon père est à deux doigts de m'insulter devant tout le monde. Heureusement pour moi, il préfère prendre son mal en patience plutôt que de montrer à ses nombreux faux amis que je suis la pire fille qui puisse exister.