Chapitre 9
Si je me fiais à la définition du mot « dépression » par l'OMS, je cocherais plus de la moitié des cases de leur liste. Les blessures physiques infligés par mon opération ont totalement cicatrisé, mais pas la culpabilité, la tristesse ou la colère qui ressurgissent à chaque fois que je pense à mon bébé. Je n'arrête pas de me demander pourquoi est-ce qu'il a fallu que les choses se passent si mal, même les médecins n'ont pas réussi à trouver la cause exacte de cette fausse couche. Quelques fois durant la nuit, il m'arrive de faire des crises et des cauchemars où Asa est obligé de me calmer durant des heures avant que je ne puisse me rendormir. Heureusement que je bénéficie encore de mes congés postnataux, car je n'ai ni l'énergie, ni la concentration nécessaire pour retourner au bureau en ce moment. Je suis désormais plus apte à traîner toute la journée en pyjama entre la chambre et la cuisine.
Je reçois des messages et des appels de la part de ma famille et de mes amis au quotidien, mais je les ignore délibérément. Ils ne sont pas responsable de ce qui m'arrive mais je n'arrive pas à exprimer ma colère autrement qu'en me renfermant sur moi même. J'avais tellement idéalisé la vie que l'on aurait eu avec ce bébé, et alors que j'étais à deux doigts de filer le parfait bonheur tout m'a glissé entre les mains. Une catastrophe.
Au fil des jours je voyais apparaître cette lueur dans les yeux de mon mari. Rien à voir avec ce regard étincelant et les yeux débordant de cœurs avec les quelles il me regardait avant. Cette lumière là disparaissait de plus en plus, jusqu'à ce que s'installe ce regard de... pitié. À ce moment je n'ai pas encore conscience du laisser aller incroyable dans le que je m'enfonce de plus en plus. Je vois bien les efforts qu'il fait pour que j'aille bien, pour que j'arrête cette routine vicieuse et reprenne le contrôle de ma vie. Mais à chaque nouvelle proposition qu'il me fait, aller au restaurant, faire les boutiques, aller en vacances, je n'ai qu'une réponse à la bouche, un « Non, je n'en ai pas envie ».
Les choses se sont passées ainsi jusqu'à ce qu'il finisse par abandonner toute tentative. Il ne me propose plus rien, n'entreprend plus quoi que ce soit. Je crois qu'il ne sait tout simplement plus comment s'y prendre.*
Assise derrière mon laptop, je consulte les derniers mails accumulés durant ces dernières semaines. Pinterest, Canva, Apple... que des mails sans grande importance. Je scroll la longue liste de mails non lu, jusqu'à ce que je trouve un provenant de l'entreprise où je travaille. Il avait été envoyé une semaine plus tôt, m'annonçant que mes congés prendront fin dans deux semaines. Je vérifie la date sur mon portable et me rend compte que je devrais me rendre au bureau lundi. Ce lundi! Dans deux jours.
— Oh non... Soufflais je en tapant d'une main contre mon front. Est-ce que j'allais vraiment reprendre le boulot dans cet état ? Je ne me suis pas préparé psychologiquement à cela . Ça m'agace. Pourquoi diable n'avait je pas lu ce mail plus tôt ? Au moins j'aurais su à quoi m'attendre, j'aurais eu le temps de me préparer convenablement. Mais là je ne ressemble absolument à rien. Avec d'énormes cernes autour des yeux et une peau si pâle, je suis affreuse.
Mon téléphone émet un bip, et je décide d'enfin regarder de qui provient le message. Angela. J'ignore depuis combien de temps je n'ai ni ouvert ni répondu à ses messages, mais il est tant.
« Tu comptes finalement te reprendre ou continuer d'ignorer tout le monde? Tu as perdu un bébé, certes, mais tu as un mari, une famille et des amis qui t'adorent. Dans deux ou trois ans, tu mettras certainement d'autres enfants au monde. Je crois qu'il est enfin tant que tu arrêtes de te morfondre autant et que tu reprennes ta vie en main. Sauf si tu veux aussi perdre ceux qui te reste. Relève toi, prends ton foyer en main, ton travail, ta vie! Sois plus forte que cette épreuve bordel! »
J'ai du relire ce message deux ou trois fois. C'est seulement à ce moment là, que je prends conscience du trou noir dans le quel je me suis enfoncé depuis des mois. Se focaliser sur le seul minuscule point noir qui s'est dessiné sur ce grand mur blanc, pourtant j'ai tout pour être heureuse. Un tas d'autres choses sur les quels je pourrais me focaliser. Oh non! Asa! Quel mari formidable! J'ai la chance parmi des millions d'autres femmes, d'être tombées sur cet homme, si aimant et adorable. Et durant des semaines je n'ai pas cessé de lui rendre la vie triste.
Il faut que j'arrange tout ça.
Une fois debout, je me rends compte du bazar autour de moi. Et dire que j'ai eu tout ce désordre sous les yeux durant des semaines. Le dressing d'Asa est sans dessus dessous, des t-shirt maladroitement plié, ses sous-vêtements, ses chaussettes, il y en a partout. J'avais même oublié à quel point Asa n'est pas doué pour prendre soin de ses affaires. Il faut que je range tout cela.
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NATHALIE
Romansa« Quand la violence s'installe dans un couple, la vie en commun n'est plus possible ; tout le reste n'est que rafistolage et mensonge à soi. Divorcer, alors, est la seule solution. » - Tahar Ben Jelloun --------