Chapitre 1, partie 2 (Laura)

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Les réflexes acquis durant mes études de médecine et mon internat se réactivent lorsque nous franchissons l'entrée. Je referme la porte d'un mouvement de pied, jette mes clés dans le meuble du couloir et entraîne l'inconnu jusqu'au salon. J'ignore son grognement plaintif au moment d'éclairer la pièce et l'aide à se coucher sur le canapé.

Je ne prends pas le temps de réfléchir, pas sous l'urgence de la situation. Je balance rapidement mon manteau, bonnet et gants, imposés par les températures peu clémentes du mois d'octobre et je viens m'accroupir devant le sofa. La seule action que je m'autorise pour mon confort est un léger roulement d'épaules pour détendre mes muscles après avoir supporté l'homme. Il n'en a pas l'air, mais il pèse son poids, le bougre !

— Je peux regarder ?

J'attends un acquiescement qu'il m'accorde d'un faible hochement de tête. La prudence mise de côté, je soulève un pan du plaid afin d'établir un premier diagnostic. Mon inspiration se bloque dans mes poumons quand, à la lumière de la pièce, je discerne des ecchymoses en formation sous des taches de sang. Interdite sous cette vision qui n'a aucun sens, mes sourcils se froncent et mon geste se suspend.

— Quelque chose ne va pas ? s'inquiète-t-il.

Le faible son qui s'échappe de ses lèvres me sort de ma torpeur et je secoue la tête pour le rassurer. J'ignore si je suis crédible. Probablement pas ! Je suis ce que les gens qualifient de « livre ouvert », incapable de cacher la moindre émotion ou pensée. Et là, typiquement, rien n'est normal dans cette situation. Ce sont des plaies qu'il devrait avoir sous le liquide écarlate qui macule son corps, pas des bleus.

Je chasse cette idée de mon esprit pour le moment et descends mon regard sur la longue balafre présente sur son flanc. La seule qui me paraît logique, en plus d'être suffisamment grave pour affaiblir l'inconnu. Mes doigts accompagnent mon examen dans des gestes précis, mais lents afin de ne pas lui faire mal inutilement. Dans la large entaille, dont le sang continue de s'écouler, l'éclat métallique d'un corps étranger apparaît à l'intérieur dans les chairs de ce patient imprévu.

Ma bouche s'ouvre, s'apprêtant à déverser le flot de questions qui me passe par la tête : comment s'est-il retrouvé dans cet état ? D'où vient cette blessure ? Et, pourquoi, Diable, n'a-t-il pas de chaussettes ? Je scelle mes lèvres dans un pincement pour m'empêcher d'émettre la moindre interrogation. Il y a plus urgent pour le moment !

Je délaisse mon examen et repose le bout du plaid sans couvrir l'entaille. Mon cerveau, lui, carbure déjà pour me rappeler où trouver le kit de premier secours dans la maison, et surtout mon téléphone.

— Je préviens les secours, l'informé-je en plongeant les doigts dans la poche arrière de mon jean.

Si je peux maintenir son état, je ne suis pas équipée pour lui apporter les soins nécessaires. En tout cas, pas de manière propre et adéquate. L'appareil en main, j'ai à peine le temps de le déverrouiller que l'homme s'agite.

— Non ! riposte-t-il vivement.

Son refus se répercute contre les parois du salon et me provoque un sursaut de surprise, mais aussi d'incompréhension. Il faut être sacrément idiot – ou en plein délire dû à la fièvre – pour s'interdire l'intervention de personnes bien mieux équipées que moi. Mon matériel est rudimentaire et, de toute évidence, mon canapé n'est pas ce que l'on fait de plus stérile. Je suis certaine de pouvoir y trouver une céréale ou deux de mon petit déjeuner avalé à la va-vite il y a moins d'une heure. S'il avait été inconscient, encore, j'aurais agi différemment. Mais là, il parle et est assez lucide pour comprendre ce qu'il se passe, alors attendre une équipe médicale me paraît jouable et moins risqué.

— Ce n'était pas une question ni une suggestion, assuré-je.

Ignorant sa demande, je porte à nouveau mon attention sur mon téléphone et termine de composer les chiffres des secours. Il ne me laisse pas l'occasion de lancer l'appel quand, sans prévenir, il étire le bras dans une plainte et attrape l'appareil.

— J'ai dit non !

Malgré la faiblesse de son timbre, il parvient à y faire passer une autorité qui me fige. À moins que cela provienne du fait qu'il broie mon bien en serrant les doigts dessus. Comme ça. Crack ! Aussi simplement qu'une vulgaire biscotte dont les miettes s'étalent sur le sol.

La surprise, mais aussi la crainte si j'en juge par les battements de mon cœur qui s'agitent, me provoque un mouvement de recul. J'atterris les fesses sur le vieux parquet, médusée devant sa réaction, alors que toutes les alarmes se rallument d'un coup dans un coin de mon cerveau. Ma salive peine à se frayer un chemin à travers ma gorge nouée au moment de comprendre que, de toute évidence, l'homme n'est pas si faible que je l'avais imaginé. Une constatation qui me tétanise quand mon regard reste bloqué sur les débris de mon téléphone.

— Je suis désolé, je n'aurais pas dû, s'excuse-t-il d'une voix plus douce.
— On est bien d'accord, lâché-je par automatisme.
— Je préfère éviter les hôpitaux... J'ai... J'ai seulement besoin d'aide pour retirer ce bout de métal. Vous pensez en être capable ?

C'est surtout un champ de bataille qui se joue à l'intérieur de mon crâne. Une alarme mentale me rappelle qu'il n'y a que les gens qui ont des choses à se reprocher qui refusent une intervention médicale officielle. Si les taches de sang sur son corps sont exactement positionnées sur ses ecchymoses, peut-être est-ce qu'un hasard étrange et que ce liquide est celui d'autres personnes qu'il aurait blessées. Et, dans ce capharnaüm flippant, c'est la voix de l'homme qui, malgré la douleur, parvient à se faire douce pour m'interpeller.

— Vous vous appelez comment ?

Je ne sais pas d'où il tire les ressources nécessaires pour avoir un timbre aussi calme et patient, alors que j'essaie difficilement de refaire surface.

— Je... Euh... Laura.
— Bien, Laura. Moi, c'est Evan et je suis vraiment désolé. Je ne souhaitais pas vous faire peur. Je vous promets que vous ne risquez rien. D'accord ?

J'ignore ce qui m'apaise. Le choix de ses mots ? Le ton qu'il emploie et qui sonne comme un serment ? Ou simplement mes anciens réflexes en médecine qui me poussent à vouloir soigner, qu'importe les raisons ou la personne face à moi ? Quoiqu'il en soit, je parviens à délaisser les vestiges de mon téléphone pour me concentrer sur l'inconnu.

Il est mal en point, la sueur sur son front prouve les efforts qu'il a dû faire pour me parler et son état ne va pas en s'améliorant. Un court instant, je me perds dans le bleu de ses yeux dont une lueur indéfinissable brille, sans pour autant me paraître hostile. Tout devrait m'inquiéter dans cette situation et, pourtant, je sens les battements de mon cœur ralentir et retrouver leur rythme normal. De manière irrationnelle, je décide de le croire.

— Est-ce que vous pensez pouvoir m'aider ? m'interroge-t-il en se penchant vers sa blessure. En réalité, c'est plus impressionnant que ça en a l'air et...
— Je peux le faire, le coupé-je.

Le ton affirmé et volontaire que j'use ne laisse pas de doute sur mes capacités. Ça n'a jamais été son entaille qui me bloquait, mais toutes les questions que je me pose à son sujet et sur ce qui lui est arrivé.


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Holà les gens !

Pour information, je pense poster une nouvelle partie le lundi et le jeudi dans un premier temps. On verra par la suite si je passe à trois fois par semaine, mais on va déjà commencer de cette manière pour être sûre de tenir le rythme.

Et j'en profite aussi pour vous dire que, si vous le souhaitez, il est possible de me retrouver sur Instagram « Ju.saurel » pour avoir des informations (et aussi où je suis plus régulière pour répondre aux messages xD).

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Laura Rowley, Tome 1 : Odeurs (dans l'univers d'Alicia Smith)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant