Chapitre 3, partie 2 (Laura)

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J'abandonne l'idée de démentir, probablement à cause d'une pointe de culpabilité. Si j'ai toujours su avoir eu un œil professionnel sur mes anciens patients, il est évident que cela n'a pas été le cas avec Evan. Pas lorsqu'il dormait et que j'en ai profité pour le détailler. Une action à la fois déplacée et critiquable. Avec l'impression d'être une perverse venant d'abuser de l'inconscience d'un homme, je détourne le regard et sens le blessé se mettre sur ses gardes à la seconde où j'effectue un pas sur le côté.

— C'est bon, soufflé-je. Je vais juste vous chercher des vêtements.
— Si ça ne te dérange pas, je préfère éviter la robe à pois.
— Un problème avec les robes, peut-être ?

Je hausse un sourcil, un peu provocateur, dans un sourire en reportant mon attention sur lui. Evan se contente de secouer la tête.

— Seulement avec les motifs en général et puis, ce n'est pas trop de saison.

Je me détourne pour retenir le léger gloussement qui menace de s'extirper. C'est idiot, mais le fait qu'il ne s'insurge pas à l'idée de porter un vêtement féminin, qu'il ne tire pas une tronche outrée à cette simple évocation, me plait bien. Cependant, un bon point pour lui ne retire pas une certaine méfiance.

— Je vais voir ce que je peux faire.

Je suis presque surprise de ne pas l'entendre me suivre, juste pour s'assurer que je n'essaie pas de passer un appel depuis un second téléphone. Peut-être a-t-il décidé de me faire confiance, que mon attitude le tranquillise sur ce point ? Aucune idée, je crois qu'il restera un mystère. D'ailleurs, c'est probablement pour cette raison que je m'éloigne d'un pas rapide, une façon comme une autre de prendre de la distance et m'extraire de sa présence imposante. À moins que ce soit pour ne plus avoir à le croiser nu...

Des interrogations et pensées qui cessent après avoir grimpé l'escalier grinçant pour débarquer à l'étage supérieur. La vague de nostalgie face au papier peint défraichi du couloir, dont les arabesques sont presque effacées avec le poids des décennies, n'est pas habituelle. Elle ne survient que lorsque je compte me rendre dans une pièce spécifique de cette maison achetée par mon grand-père après son mariage.

Involontairement, je bloque devant une porte close et me force à une longue inspiration pour m'insuffler le courage de la pousser. Le battant pivote sur ses gonds dans un craquement plaintif, désireux de rappeler qu'il est trop peu ouvert depuis un an. Ma respiration stagne dans mes poumons au moment où la chambre de mes parents apparait. Rien n'a bougé depuis leur mort, toujours la même disposition et les mêmes tissus usés. Tout est exactement pareil. Tout sauf l'odeur de renfermé présente pour remémorer leur absence, les éclats de rire qui ne reviendront jamais, ainsi que les pleurs que j'ai laissé voler dans les bras de ma mère lors de ruptures. De celles qui me semblaient inconsolables à l'époque et sont devenues dérisoires maintenant qu'elle n'est plus là.

— Tout va bien ? s'enquiert Evan depuis le bas de l'escalier.

Le parquet qui ne gémit plus sous mes pieds est une preuve de mon stoïcisme, alors je suppose qu'il s'inquiète de ce que je pourrais bien faire.

— Oui, j'arrive.

Je chasse les souvenirs qui tentent de remonter à la surface d'un mouvement de tête et m'empresse de récupérer des vêtements dans la penderie dans un reniflement. Je rejoins l'homme avec la même précipitation, m'efforce de le gratifier d'un sourire de façade. S'il me répond d'un regard interrogateur, je le remercie intérieurement de ne pas poser la moindre question.

— Je vais faire du café pendant que vous...

Je désigne sa nudité d'un vague mouvement de main avant de tourner les talons et de m'engouffrer dans la cuisine. Allumer la vieille cafetière devient un geste banal dans lequel je me réfugie et qui m'apporte la normalité dont j'ai besoin. Une action quotidienne pour ne pas se souvenir, réfléchir et se poser des questions.

C'est une fuite, ni plus ni moins.

— On a notre propre médecin.

Dans un léger sursaut, je fais volte-face pour trouver Evan appuyé contre le chambranle de la porte. Pour la première fois, je remercie la lenteur de ma machine qui termine à peine de faire couler les deux cafés. Quelques secondes plus tôt et je les aurais eus en main avec un risque sévère de brûlure face à la discrétion de ce type.

— Pardon ?
— Si je ne veux pas aller à l'hôpital, c'est parce que nous avons notre médecin, précise-t-il. Je suppose que c'est cela qui continue de t'inquiéter ?
— Je trouve cette excuse plutôt ridicule. Vous êtes blessé, j'ai soigné ce qui était visible, mais vous priver d'un examen complet est idiot.
— Éviter qu'une information fuite dans les médias du type « un Kaynes hospitalisé à la suite d'une agression » n'est pas stupide. C'est de la préservation.

Je vais pour lui répondre que, pour cela, il faudrait déjà savoir à quoi ressemblent les membres de cette famille, mais je me retiens. S'ils arrivent à se faire discrets et conserver un anonymat visuel, l'identité d'Evan aurait forcément été dévoilée durant son passage dans un service public.

— Je pourrais en parler, moi.

Pure provocation, mais c'est sa faute. Il m'agace un chouilla à me regarder avec son sourire et son air victorieux. Ce qui ne s'arrange pas, bien au contraire.

— Il y aura un démenti, un tas de preuves qui diront que j'étais ailleurs. Ce serait dommage d'être cataloguée comme la menteuse de l'histoire. Ce qui aurait été plus compliqué avec toutes les caméras que l'on peut trouver dans un hôpital.
— Il y en a aussi dans ma rue...

Ce gars n'a même pas besoin de me répondre, à la tronche qu'il me renvoie, je comprends déjà que ce n'est pas un souci. Il doit avoir le bras long et des contacts partout, assez pour demander de supprimer les images d'un pauvre système de sécurité. La profusion de témoins dans un lieu bondé de patients, en revanche, aurait réclamé plus de ressources. Au final, je trouve tout cela plutôt flippant.

Laura Rowley, Tome 1 : Odeurs (dans l'univers d'Alicia Smith)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant