Chapitre 2, partie 1 (Laura)

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— Je n'ai même pas de quoi vous anesthésier...

À genou devant le sofa, mon regard oscille entre la blessure d'Evan et le matériel que j'ai été récupérer et étaler à côté de moi sur un linge propre. Je ne cherche pas à revenir sur ma décision de l'aider, mais à le prévenir que cela reste une mauvaise idée de ne pas faire appel aux secours.

— Pas besoin, j'ai connu pire, assure-t-il dans un souffle.
— Ils sont nombreux à dire ça.

J'exagère, mais, à cet instant, Evan a tout du patient qui croit pouvoir encaisser n'importe quelle douleur. Il a probablement vu un film où le gars s'est contenté de serrer les lèvres sur sa clope avant de se suturer lui-même avec l'aiguille à tricoter de mamie.

Affligeant...

— Je ne suis pas les autres !

... Et prétentieux.

Mon attention se braque sur ses iris dont le bleu est légèrement terni par la fièvre. Une couleur claire et douce contrastée par d'épais sourcils qui donne à l'homme un air grave. Il a ce genre de regard vif que l'on ne souhaite pas défier et, je m'aperçois, que je suis incapable de deviner son âge. La faute à cette barbe de quelques jours sur le bas de son visage. Ces poils, l'équivalent du maquillage, gomment les contours de sa mâchoire dans le but de brouiller les pistes. Si d'aspect il semble jeune, ses traits trahissent un vécu rarement connu dans la vingtaine.

Je hausse les épaules et me soustrais à cette analyse. Autant lui laisser le bénéfice du doute, il sait peut-être exactement ce qu'il est capable d'endurer.

— Très bien, Superman, c'est parti.
— Pas sûr qu'être comparé à un type qui met son slip par-dessus son pantalon soit flatteur.
— Au moins, il a le mérite d'enfiler des vêtements.

Concentrée sur le fait de préparer des compresses et d'éponger un peu le sang qui s'échappe de sa plaie, j'entends sa tête retomber sur le canapé. Je ne lui accorde pas d'autres regards et m'active à extraire le bout de métal couleur argent fiché dans ses chairs. J'ai à peine le temps d'y toucher qu'Evan serre ses doigts sur le tissu de l'assise jusqu'à créer de petits trous. Une capacité que j'attribue à la vétusté du sofa couplée à une montée d'adrénaline de la part de mon patient surprise. Il retient du mieux qu'il peut un gémissement de douleur et j'ignore s'il fait cela par fierté ou pour me faciliter la tâche. Dans les deux cas, son action se solde par un échec quand, alors que je tire sur le corps étranger, tous les muscles d'Evan se tendent tel un arc qu'on étire. Son dos se cambre et retombe lourdement au moment où son esprit abandonne le combat pour plonger l'inconnu dans l'inconscience.

— Tous les mêmes, soufflé-je dans un sourire.

Et dire qu'il se targuait de ne pas être comme les autres ! Dommage qu'il ne soit plus en état d'entendre une réflexion bien placée à ce sujet. Cela dit, ce n'est pas une mauvaise chose. Se faire recoudre sans anesthésie n'est pas une partie de plaisir, ni pour le blessé ni pour le soigneur et son immobilité m'offre la possibilité d'essayer de faire au mieux.


***

Assise sur le fauteuil du salon, je triture la brèche présente dans le tissu de l'accoudoir. Mon doigt s'enroule dans un fil qui dépasse, tire dessus et permet à mon ongle de venir gratter le rembourrage en mousse. Un automatisme afin de m'occuper la main alors que mon regard reste braqué sur l'homme allongé sur le canapé en face.

Focalisé sur les soins à prodiguer, mon cerveau avait consenti à ne pas me marteler de question concernant ce gars. Mais, maintenant que ses points de suture sont faits, qu'il est pansé et que j'ai tout rangé, je ne cesse de me demander comment un type comme lui a pu se retrouver dans cet état. Entre sa taille qui doit avoisiner le mètre quatre-vingt et sa carrure impressionnante, sans pour autant être massive, il ne fait pas de doute que l'homme s'entretient et pratique une activité sportive. Même en gardant un œil professionnel, impossible d'ignorer ses muscles parfaitement définis au moment de couvrir sa plaie. Alors, qui irait volontairement le provoquer ?

À cette réflexion, mon doigt se fige sur le rembourrage et mon cœur émet un battement irrégulier. Depuis le début, je pars du postulat que l'inconnu a subi une attaque, mais... Et si c'était lui l'agresseur ? Cela peut expliquer son envie d'éviter l'hôpital. Si je me sentais coupable de l'épier durant son sommeil, cette gêne s'envole bien vite au profit d'un léger sentiment de crainte. Combien de fois mes proches m'ont reproché de ne jamais songer aux pires conséquences, de toujours penser que les gens sont intrinsèquement bons et d'être trop confiante ? Peut-être que je viens de me mettre dans une de ces situations délicates et dangereuses dont on m'a souvent mise en garde.

Evan m'a assuré qu'il ne me ferait rien et si j'ai décidé de le croire, il n'a pas précisé sur combien de temps s'étalait cette vérité. Que va-t-il se passer une fois réveillé ? Une boule d'angoisse se forme dans le creux de mon ventre pour m'intimer de ne pas attendre que cela se produise pour avoir une réponse. J'avise le téléphone fixe de l'autre côté du canapé pour comprendre que je ne perds rien à prévenir les autorités compétentes. Après tout, il n'y a que deux cas de figure : soit Evan a besoin de l'aide apportée après une agression, soit il est dangereux pour d'autres personnes.

Incertaine et prenant conscience de mes actes, j'appuie mes mains sur les accoudoirs et mes pieds touchent le sol. Je me relève avec lenteur, retenant jusqu'à ma respiration pour émettre le moins de bruit possible. Chacun de mes pas est marqué d'un arrêt, les yeux clos, en espérant que le parquet grinçant ne réveille pas le blessé. À ce rythme, même un escargot en pleine crise d'épilepsie pourrait me doubler sans effort. Je n'entends rien hormis le tambourinement frénétique de mon cœur au moment de passer devant Evan... Ça et le cri mi-affolé mi-surpris que je pousse lorsqu'une main agrippe mon poignet.

Laura Rowley, Tome 1 : Odeurs (dans l'univers d'Alicia Smith)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant