Chapitre 3, partie 3 (Laura)

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Si un silence s'installe, Evan ne lui permet pas d'être gênant ou inquiétant, à moins que cela soit pour m'empêcher de cogiter sur ses paroles. Quoiqu'il en soit, il effectue deux pas en avant, l'index pointé en direction des cafés.

— C'est pour moi ?

Son timbre de voix se mue dans une interrogation, mais son assurance dévoile une affirmation. Ce type ne doute pas une seule seconde que cette boisson est pour lui et c'est ce qui me fait réagir sans prendre le temps de réfléchir. Dans la seconde, j'attrape les deux tasses pour les vider dans l'évier à côté de moi avant de les poser et me tourner à nouveau vers l'inconnu.

Je tire une indéniable satisfaction à le voir avec les yeux écarquillés, sans comprendre ce qui vient de se passer. Et, si je dois être honnête, je ne le sais pas non plus. Est-ce par envie de provocation ou pour le dissuader de s'approcher davantage ? Je cache mon incertitude en dévisageant le blessé, les bras croisés sous ma poitrine.

— Hors de question que j'offre un café à une personne qui a avoué qu'elle n'hésitera pas à me traiter de menteuse.

Evan ouvre la bouche et je pressens déjà qu'il va me rappeler que j'ai été la première à le menacer de parler de son agression. Pourtant, au moment où des mots s'apprêtent à sortir, il parait se raviser en affichant un sourire alors que ses doigts agrippent le bas de son nouveau pull.

— Oh, dans le cas, je suppose que tu n'as pas non plus envie de me passer des vêtements.
— Non ! Non ! C'est bon.

Je m'en veux pour cet empressement et la manière dont j'agite les mains pour le dissuader de continuer à se déshabiller. Il provoque et j'accours. Désespérant ! Le pire c'est qu'il suspend son geste, victorieux, et mon regard vogue malgré moi sur la partie de ses abdominaux visibles... Puis son pansement.

Mon expression doit changer, car Evan abaisse le vêtement afin que ma vue se focalise sur le pull hideux que je lui ai passé. Ma mère avait de nombreux talents, mais pas celui du tricot. J'ignore pourquoi elle s'acharnait à en confectionner pour mon père ni pourquoi il les acceptait. Les couleurs sont horribles, une manche est plus longue que l'autre et pour ce qui est du motif, personne n'a jamais su ce qu'il représentait. L'amour, je suppose, pousse les gens à faire des choses étranges.

— Je peux te poser une question, à défaut d'avoir un café ?

Mon regard remonte d'un cran pour croiser son visage et je réponds d'un haussement d'épaules. Une façon comme une autre de ne pas trahir mon incertitude : je ne suis pas sûre de vouloir entendre ses interrogations. Il est capable de me demander si la vue de son torse est si horrible pour que je m'agite afin de ne pas le retrouver nu une fois de plus.

— J'ai regardé tes points de suture pendant que tu étais là-haut, c'est du bon travail, me félicite-t-il.
— Faut dire que vous étiez plutôt docile après votre évanouissement.

Il grimace et porte la main à son cœur dans un « outch ». Je me réconforte en imaginant qu'il exagère ses gestes pour cacher un petit côté vexé par mes paroles. Une attitude qu'il perd bien vite pour reprendre le cours de son raisonnement.

— Et comment une fleuriste se retrouve-t-elle capable de prodiguer ce genre de soins sans paniquer ?

Je manque de m'étouffer avec ma propre salive. Comment peut-il savoir mon métier ? Je suis persuadée de ne rien lui avoir dévoilé à ce sujet ! Mes intestins se serrent à nouveau et, involontairement, je recule d'un pas pour buter contre un plan de travail. Un tas de réactions qui font de moi une personne trop démonstrative, un vrai livre ouvert sur mes émotions. Et Evan prouve que le premier inconnu venu est capable de lire en moi en répondant avant que j'émette la moindre question.

Laura Rowley, Tome 1 : Odeurs (dans l'univers d'Alicia Smith)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant