Prologue

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— Connaissez-vous, les enfants, l'origine de notre bien-aimé royaume Weldriss ?

Assis en tailleur devant la très vieille dame, les enfants en question secouèrent la tête. Ses lèvres fripées s'étirent lentement, creusant les innombrables rides autour de sa bouche, comme des montages sur son visage. Lançant au sol le sable qu'elle tenait dans sa main, elle dessina un bref paysage sur les grains dorés. Fascinés, les enfants se poussèrent pour apercevoir son dessin.

Autrefois, les Weldrissiens n'étaient qu'un seul et même peuple, qui vivait comme nous, des landes aux forêts. Nomades, ils suivaient le soleil. Cette communauté était dirigée par deux puissantes familles, qui partageaient le pouvoir. Mais bientôt, la jalousie et la corruption s'enquirent d'elles, et un conflit naquit entre ces familles. Alors qu'elles se déchiraient pour le pouvoir, la fille d'une d'entre elles, qu'on appellera dans la légende la grande Mea, décida de les unir, en épousant l'unique enfant mâle de l'autre famille. Par cette décision, la grande Mea sacrifiait sa vie amoureuse, car son époux n'était qu'un bambin, un enfant de quinze ans son cadet. C'était à ses yeux, le prix à payer pour la paix. Ainsi, ce drôle de couple réunit le pouvoir, apaisant la communauté et leurs familles respectives.

Je suppose que l'enfant grandit, et qu'ils fondèrent la famille royale ? répliqua un petit garçon.

La vieille sage conserva un instant de silence, avant d'effacer d'un coup de main son dessin.

— Grandir, il n'en eut pas l'occasion. Ses premiers pas le menèrent inexorablement à sa fin, soit dans le lit d'une rivière. L'enfant se noya, et la grande Mea se retrouva veuve. Aussitôt, la famille de l'enfant hurla au meurtre, accusa la famille adverse d'avoir tué leur fils pour avoir le monopole du pouvoir. Désespérée, voyant la paix de son peuple s'ébranler à nouveau, la grande Mea pria jour et nuit la rivière de lui rendre son mari. Cependant, le destin ne rend jamais ce qu'il a pris. Un jour qu'elle pleurait au-dessus de l'eau, la rivière lui murmura : « Nous t'offrons une nuit. L'enfant mort reviendra en homme, et il te donnera un héritier. En échange, le jour de la naissance de ton fils, tu devras mourir à ton tour, et rejoindre ton époux dans la rivière. Si tu ne respectes pas ton engagement, la vie que tu as donnée sera reprise et ton peuple sera maudit. » La grande Mea n'hésita pas une seconde, et accepta de condamner sa vie pour la paix, après avoir sacrifié son amour. C'est ainsi que dans cette rivière, lui apparut l'esprit d'un homme, qui était celui de l'enfant mort. Elle s'offrit à lui, et tomba enceinte.

— Elle mourut, après ?

Oui. Neuf mois après, dans les heures qui suivirent la naissance de son fils, la grande Mea quitta en silence son lit. Elle se rendit à la rivière, et là, vit à nouveau l'esprit de son défunt mari. Alors, elle attacha une pierre à son cou, et rejoignit l'esprit. L'eau l'avala, et elle se noya.

C'est trop triste...

— Effectivement, acquiesça la vieille dame. Mais l'histoire est faite par les martyrs, qui se sacrifient pour la paix. Grâce au sacrifice de la grande Mea, son fils devint l'ancêtre de la dynastie des De Welborn, notre famille royale actuelle.

— C'est pour ça qu'ils sont rois ? Parce que leur famille est spéciale ? se moqua un autre enfant.

— Notre Roi est le descendant d'un esprit de la rivière et d'une martyre. Ne pensez-vous que cela lui donne le droit de porter la couronne ?

S'en suivit un vif débat, que la vieille sage observa d'un œil tendre. La plupart de ces enfants détestaient la famille royale. Comment pouvaient-ils percevoir toute la dimension de ce que l'on appelait pouvoir?

Pendant ce temps, le campement entier était en alerte. Les femmes sortaient des tentes, leurs bébés toujours au sein pour certaines, et les hommes cessaient de tailler leur arme, laissant le fer refroidir. Tous se réunissaient à l'orée de la clairière, car l'impensable était en train d'arriver.

— Mama Erma, Mama Erma !

Une petite bande d'enfants courant pieds nus dans l'herbe haute se précipita dans la grande tente à l'écart du campement. Entrant dans toute leur précipitation, ils firent sursauter la vieille femme, qui fronça les sourcils sitôt que la situation lui fut communiquée.

— Pardon ?

Redressant péniblement son corps tout frêle, soutenue par les enfants et sa canne, elle sortit de sa tente. L'heure était grave ; le temps des histoires était passé.

Lorsqu'elle parvint à l'endroit du regroupement, chacun s'écarta pour la laisser avancer. Ses yeux pâles s'écarquillèrent sur sa peau foncée. C'était impossible. Elle n'avait pas vu ce visage depuis quinze ans.

Elle avança vers lui, la main tendue, les larmes aux yeux.

— Par la grande Mea... Est-ce bien toi ?

Elle posa sa main fripée sur le visage tanné de l'homme. Sa barbe et ses cheveux longs n'arrivaient pas à cacher ses yeux sombres, où la lueur était toujours la même.

— Shovaïam...

— C'est moi... Mama.

Soudain, derrière l'épaule de l'homme, surgirent deux yeux au bleu magnifique. Des boucles ébène, un visage pâle malgré la saleté... La vieille femme comprit aussitôt qui elle était.

— Cette fille...

Oui. Mama Erma, je te présente La Reine, Ezilly De Welborn.

WE ~ Tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant