Coup de pouce

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Adam se réveille dimanche vers 16h, à cause de son estomac vrombissant et vibrant comme un moteur diesel. En dépit de son long sommeil, il sent qu'il n'a pas d'énergie, c'est d'ailleurs la seule chose qu'il parvient à ressentir à part le néant. Il n'a simplement envie de rien, et il ne va effectivement rien faire. Ce n’est pas une simple flemme, il n’a juste plus aucune énergie en lui, une énergie que le sommeil ne peut pas approvisionner, une énergie que la nourriture ne peut pas apporter, car sa fatigue était mentale et émotionnelle. Les événements d’hier l’ont poussé à bout, pour la première fois de sa vie, il a eu sincèrement peur de mourir et il a frôlé une des situations qui l’effraie le plus : perdre quelqu’un qui tient pour lui.

Cette situation a eu lieu uniquement parce que je suis faible, que ce soit physiquement ou mentalement. Même si j’ai temporairement gagné une puissance de fou, bien que je sache absolument pas comment refaire ça. Reste que j’ai perdu mon calme, j’ai pas su maîtriser la situation, j’ai pas su rester fort, garder mon calme.

Adam remarque alors des messages sur son téléphone. C'était Eva, qui a essayée de le joindre pendant toute la matinée. Chacun de ses messages émanaient un flot de désespoir. Il y en a tellement que le téléphone d’Adam, pourtant haut de gamme et récent, néanmoins pas de dernière génération, il doit avoir une bonne année, voire un peu plus, et possédant même 6 Go de RAM, en vient à être extrêmement ralenti, au point où Adam doit supprimer toutes les notifications des messages qui polluent son téléphone. Il n’a aucun remords à faire cela, car il n'a pas envie de répondre, il ne veut voir personne, rester seul, au calme, afin de se reposer, toute son énergie à donner lors de rapports sociaux ayant été utiliser afin de survivre à sa pire période. Mais nul besoin d’élaborer cette histoire pour le moment, car le temps approprié arrivera bien vite.
Alors il éteint son portable et se rendort, après avoir mangé, ses parents l’accusant d’ailleurs d’avoir joué toute la nuit au lieu de se reposer, ce qui horripile Adam, car les mensonges l’énervent au plus haut point.

Le lendemain, le 9 septembre, la condition mentale d'Adam ne s'est pas améliorée, mais il n'est pas plus préoccupé que ça, il n'a pas l'énergie pour penser à ce genre de futilités, il n’en a pas plus pour d’autres choses, il n’en a juste assez pour rester un minimum conscient. Il a encore moins envie d'aller en cours que d'habitude, sentant qu’il n’a pas l’énergie d’en suivre, même les plus faciles. Cependant, ses parents le forcent tout de même à y aller, indirectement. Car c’est surtout Adam qui s’inflige cette pression, seul, en anticipant la réaction de ses parents, chose qu’il fait tout le temps. Il cherche en effet à prévoir un maximum de choses, à un point tel qu’un événement inattendu le laisse perplexe, sans voix, il peut même aller jusqu’à ressentir un stress intense, car il veut tout contrôler dans sa vie.

Mais un événement inattendu arrive alors. Tout le monde regarde Adam, qui ne remarque rien, si ce n’est un silence. Pour toutes les personnes présentes, ce silence de mort est pesant, comme si une partie de jeu du silence meurtrière avait démarré. Pour Adam, ce silence n’est qu’agréable, car il lui permet de mieux apprécier sa musique, mais surtout il n’a pas à subir l’attention de son cerveau s’envoler vers la première conversation qu’il entend.
Pourtant, personne ne bouge, personne ne parle, même un professeur n’a jamais pu obtenir ce calme. Tous les regards sont orientés vers Adam, qui aurait peut-être pu s’en rendre compte s’il n’était pas dans une sorte d’état second.
Eva arrive vers Adam, tellement énervée que le couloir prend sursaute de peur.
Elle lui hurle dessus : - Mais putain pourquoi tu répondais pas hier ? Je pensais qu'il t'était arrivé un truc ou je sais pas quoi ! C’est quoi cette manie d’ignorer les gens ? Je veux bien que tu prennes un peu de temps, quoique tu dois en avoir du temps toi, mais là on parle de toute une journée ! T’as même pas mis en lu, t’as juste ignoré, et avec tout ce qu’il s’est passé avant-hier j’ai vraiment cru qu’il t’était arrivé quelque chose de grave !

Arrête de parler comme mes parents, j’étais juste trop fatigué pour lire tes messages, surtout qu’il y en avait vraiment beaucoup. Et par pitié parle pas de samedi comme s’il s’était passé un gros truc, les gens vont s’imaginer des trucs.

Adam répond simplement, sèchement et froidement, trop fatigué et gêné pour construire une phrase complète :
- Je dormais.
- Nan mais c'est pas comme ça que tu vas te faire des potes hein ! À la limite si tu avais lu mes messages, j’aurais juste compris que tu ne pouvais pas me parler. Si tu savais comment tu peux être fatiguant...
- Qui t'as dit que j'en voulais des amis, pour commencer ?

À ce moment-là, Eva perd patience, elle ne peut pas supporter que cette personne dise ce genre de choses, et dans un élan de déception, elle gifle Adam et part ailleurs, préférant attendre qu’Adam se calme, ou plutôt dans l’espoir qu’il change, qu’il ne pense pas ce qu’il vient de dire, car cela lui est tout simplement impensable.

Voilà pourquoi je dois jamais dire ce que je pense, y a quoi de mal à dire la vérité en fait ? C’est la raison exacte pour laquelle j’ai pas répondu, j’ai juste dit les faits, pourquoi elle est énervée ?

Toute la journée, il ne se passe rien, comme s'il ne s'était rien passé. Les cours passent et s’enchaînent, comme d’habitude. Adam a de plus en plus de mal à se concentrer au fil des heures de cours, comme si son cerveau refusait de rester concentré sur une chose à la fois. Il se sent obligé de tapoter sa table au rythme d’une musique qui se lance toute seule dans sa tête, ce qui fait que le peu de concentration qu’il possède est en grande partie utilisée pour empêcher ses doigts de faire trop de bruit, afin d’éviter de se faire remarquer. Il regarde aussi par la fenêtre, se met à compter le nombre de carrés qu’il y a dessiné sur le plafond de la salle, précisément neuf, d’environ trois mètres de côté, pour une aire d’environ 9m². Il remarque aussi la forte présence du chiffre neuf, au nombre astronomique de deux apparitions, trois si l’on considère que 3, la racine carrée de 9, compte, ce que fait Adam, car cela lui permet de dire qu’il y a trois itérations. Cela amuse Adam, bien qu’il sache pertinemment que ce n’est pas vraiment une chose importante mais surtout une grosse coïncidence. Les autres élèves lancent parfois quelques regards, se demandant ce qu’il a bien pu se passer entre les deux, passant d’amis à ennemis en un week-end. Mais, et surtout, ces regards sont remplis de colère. La plupart des personnes parmi les élèves de première de cette année pensent, sans même qu’Eva n’en parle vraiment ou n’exprime un quelconque avis sur l’attitude d’Adam, sans qu’elle ne le veuille, loin de là, qu’il est le méchant de l’histoire. Non pas que cela soit foncièrement faux, mais aller jusque-là était relativement excessif, simplement car il avait blessé la mauvaise personne. Mais Eva était tout simplement trop populaire. Ce n’est même pas volontaire de sa part, elle est seulement à l’aise à l’oral et trouve toujours quelque chose d’intéressant à raconter à qui veut l’entendre. Quand quelqu’un lui avait demandé comment elle faisait, elle répondit, avec un très large sourire : "J’ai pu bénéficier de l’enseignement du meilleur maître qui puisse exister."

Personne ne savait de qui elle pouvait bien parler et elle refusait de donner une identité, ce qui avait lancé une rumeur ainsi qu’une chasse au prince charmant, malheureusement pour les personnes y participant activement, infructueuse. Cette rumeur avait d’ailleurs, en même temps, anéanti tous les espoirs des personnes amoureuses d’Eva, car tout le monde y croyait fermement, même si cela agaçait Eva. Heureusement pour elle, les autres lycéens étaient rapidement passés à autre chose aussitôt qu’ils ont commencé à se rendre compte que rien n'avancerait.
Seulement, lors de la semaine dernière, lors de laquelle Eva était souvent avec Adam, beaucoup de personnes étaient perplexes, car ils voyaient quelque chose dans les yeux d’Eva que personne n’avait vu auparavant. Ses yeux brillaient comme jamais ils n’avaient brillé quand ils transmettaient l’image d’Adam au cerveau d’Eva. Tout le monde avait compris, sauf Adam, et même, visiblement, Eva.

Cependant, à la différence de ce matin, dans le couloir, Adam remarquait ces regards. Sa musique et son casque n’étaient plus là pour le couper du monde et il y était donc redevenu sensible. Il sentait ces regards chargés de colère dirigés tout droit vers lui, venant de tout autour de lui, sauf, évidemment, de derrière lui, car il était toujours assis, au fond de chaque salle de classe où il se rendait. Ses camarades avaient admis que cette place lui était réservée, même ceux voulant utiliser son téléphone ou bavarder acceptaient ce fait. C’était en quelque sorte une loi de ce lycée : la place d’Adam était au dernier rang, près de la fenêtre. Cela ne dérangeait personne, car Adam n’était qu’un élément du décor, après tout. Mais une certaine tension régnait dans la classe, comme si le pacte de non-agression implicite envers Adam risquait de se briser à tout moment. Pourtant, ce dernier semblait tenir, à sa limite, mais il tenait tout de même, comme si une toile invisible maintenait tous les esprits en place, les empêchant de bouger davantage, les empêchant d’agir. Tout cela, Adam le sentait, il sentait cette tension s’accumuler sur lui, il la sentait peser de plus en plus sur ses épaules.

Putain j'ai vraiment foiré hein ? Ils avaient raison au final, ils avaient tous raison, je suis juste trop bizarre pour avoir des amis. Personne doit vouloir de moi, j'ai été si con d'avoir à un moment pensé le contraire. Elle était sympa n’empêche avant que je fasse tout foirer, c'est dommage mais bon, apparemment j'en ai trop demandé à l'univers, ce putain d’univers...

À la fin des cours, quelqu'un de la classe d'Adam cherche à l'aborder. Celui-ci l'ignore, toujours avec son casque. Il ne veut plus chercher à interagir avec les autres, la seule fois où il retenta l’expérience, il avait encore trouvé le moyen de tout ruiner. Il pourrait essayer de réparer la situation, mais il ne veut pas prendre le risque de tout aggraver, de donner la raison pour laquelle tout le monde cèderait. Il ne doit prendre aucun risque, il ne doit pas se lancer dans quelque chose qu’il ne peut pas maîtriser complètement. C’est comme cela qu’il est, à abandonner dès qu’il se sent bloqué, dès qu’il ne trouve plus de solution, une fois devant ce qu’il pense être une impasse. Il avait beau être très déterminé sur les jeux, la vraie vie n’est pas pareille, elle ne fonctionne pas de la même manière, Adam a donc adapté sa manière d’être.
Le camarade d'Adam pose alors la main droite sur son épaule, de manière un peu insistante, comme pour l’arrêter, sans pour autant trop forcer.
Adam, se sentant coincé, ne pouvant plus ignorer la personne, daigne enfin lui accorder du temps. Il coupe sa musique, enlève son casque, et se retourne. L'adolescent se présente, en parlant de manière effroyablement neutre et calme, comme s’il ne ressentait absolument rien actuellement :
- Bonjour, je m'appelle Samuel, Samuel Silva, comme le fameux groupe de recherche. J’aimerais discuter avec toi, il se peut que je possède des informations qui peuvent t'être utiles, surtout à propos de ce qu'il s'est passé samedi.
Samuel fait environ la taille d'Adam. Il possède de longs cheveux blancs, s’arrêtant au bas de sa nuque, et un teint pâle. Son corps est encore plus maigre que celui d’Adam, à un point effrayant, mais il a l’air d’être en bonne santé malgré tout. Ses yeux sont comme vides de toute âme. En le voyant, on pourrait même se dire qu’il est mort. Il porte une veste et un pantalon tous droit sortis d’une réunion d’affaire, néanmoins assez simples, à l'exception peut-être du prix qui doit se situer dans le plan complexe, car c'est une pièce unique.
Adam accepte, en ajoutant qu'il n'avait rien à faire de toute façon.

Qu'est-ce qu'il a à parler comme un robot ? Et puis c'est qui lui ? Je l’ai jamais vu en cours. Je veux bien ne pas être attentif, mais son visage devrait me dire quelque chose, surtout avec un physique aussi particulier. Et c'est quoi son groupe de recherche ? Ça a l'air connu, ça me dit quelque chose, pourtant j’arrive pas à me souvenir de ce que ça peut bien être. J'ai absolument besoin d'en savoir plus sur ça.

Samuel emmène Adam dans une salle déserte, qui ne semble jamais avoir été construite pour accueillir des cours, soi-disant jamais utilisée et même absente des plans du lycée. Pour y accéder, il faut passer par l’escalier réservé aux professeurs et descendre, jusqu’au rez-de-chaussée, où il faut encore descendre, tout simplement car ce lycée possède une pièce souterraine et secrète, construite par le groupe Silva lors de la fondation de l’école, financée en partie par cette entité, bien que cela soit normalement illégal pour une école publique. Cependant, l’Éducation Nationale semble avoir fermé les yeux sur ce qu’il se passe dans cette école, ne posant aucune question sur les ordinateurs dernier cri dans chaque salle, le matériel de physique et de chimie haut de gamme, ainsi que des professeurs qui pourraient enseigner sans aucun problème dans n’importe quelle filière du supérieur. Tout cela, c’est le groupe qui l’a financé. En contrepartie, le groupe Silva pouvait faire ce qu’il voulait, et procédait également à des embauches, directement auprès des meilleurs éléments de chaque promotion, en fin d’année de terminale, avant la phase d’orientation. Lorsqu’Adam apprend cela, il est pris d’un petit vertige. En effet, il n’avait encore jamais fait attention à tout cela.
Ce dernier se fait alors inviter dans la pièce par Samuel, qui commence à lui expliquer :
- Voici mon quartier général, et celui du club de recherche de l'inconscient, financé et aidé par mon père, le PDG du groupe Silva. Ce club tenu secret, tout comme cette salle est là pour aider les équipes de mon père à étudier les cas comme toi, moi, ou même l'individu qui a poussé ton éveil, ou plutôt l'éveil de ton Doppelgänger.

Adam essaie encore d'assimiler la tonne d'informations qu'il vient de recevoir, puis pose une tonne de questions :
- Tout d'abord pourquoi la boîte de ton père a besoin d'un club de lycéens pour faire des recherches ? Ensuite comment ça on est tous les trois liés ? Après pourquoi vous avez créé un club avec juste toi, ça n'a aucun sens. Et enfin j'aimerais bien avoir les infos dont tu parlais, parce qu’honnêtement, je m'en branle un peu de votre club, je veux juste mes infos, et s’il faut repayer en travail, soit.
Samuel répond donc à toutes les questions, toujours sur son ton posé, aussi effrayant qu’un tueur en série psychopathe vous expliquant en détail son procédé :
- Première réponse, les chercheurs ont besoin de personnes éveillées pour travailler, même si ça me semble évident. Mais nous n'en avons pas et nous avons remarqué que ce sont majoritairement des lycéens qui sont susceptibles de s’éveiller. Deuxième réponse, encore plus évidente, nous utilisons des Doppelgängers. Troisième réponse, le club vient d'être créé, pendant le weekend, comme tu peux le voir, il y a encore des cartons qui n'ont pas été déballés. Et ne t'en fais pas, nous avons des employés pour le faire, au cas où tu aurais une envie soudaine d'aider. Finalement, dernière réponse, je t'invite à t'asseoir, car l'explication est relativement longue, après tout, les Doppelgängers sont un sujet complexe.
Adam s'exécute et Samuel continue :
- Connais-tu la légende germanique du Doppelgänger ? Elle raconte l'apparition d'un double, un sosie qui présage un malheur. Le pouvoir que nous possédons tous les deux est plutôt similaire à cette histoire. Il nous permet de devenir notre soi idéal avec un pouvoir et une apparence, le tout déterminé par l'inconscient. Si tu veux, tu peux t’amuser à analyser ton Doppelgänger, mais personnellement, je ne te le recommanderais pas. Si l’inconscient nous est accessible, c’est pour une raison, tu ne crois pas ? Mais passons. Ton pouvoir semble être lié au temps, mais nous n'avons pas encore pu déterminer exactement sa nature ou son étendue. Pour l’instant, tu n’as fait preuve que d’un arrêt du temps. Le malheur présagé, c'est la contrepartie de l’utilisation du Doppelgänger, surtout quand on débute et qu’on y va trop fort. Tu n'as peut-être pas remarqué, mais tu subis actuellement un contrecoup, cette contrepartie. Si un Doppelgänger sert à devenir ce que l’on juge comme le soi idéal, c’est que l’on trouve des défauts chez soi, des choses que l’on déteste chez soi. Ce sont ces défauts qui sont, en contrepartie, amplifiés. Chez toi, ça se traduit par un rejet de l'autre plus prononcé, tu sembles plus enclin à abandonner et tu as encore plus de difficultés à te concentrer. Et si jamais tu te demandes s'il y a un moyen d'atténuer ces effets secondaires, nous ne savons pas encore exactement, mais on peut réduire ses effets futurs avec l’habitude, plus tu utiliseras ton Doppelgänger et plus les effets secondaires seront faibles. Tu dois te demander comment, mais n’as-tu jamais remarqué qu’à force de fréquenter quelqu’un, on lui ressemble de plus en plus ? Ici c’est la même chose, à l’exception que l’on devient momentanément cette personne. Mais ne t'inquiètes pas trop pour autant, tout ça devrait disparaître bientôt, comme une banale courbature.

Pourquoi ce type en sait autant sur moi, même plus que moi-même, en comptant ses connaissances sur mon propre Doppelgänger ? Et surtout comment il sait tout ça de manière aussi précise ? Je le sens pas avec sa dégaine de méchant d'anime, tout froid et calme, tellement que ça fout les jetons. À moins que ce soit juste le fameux effet secondaire qui me rend parano ? Putain, il a réussi à m'embrouiller ce connard. Et puis c'est pas que j'abandonne, j'ai juste la flemme de persister quand ça ne sert à rien, c'est pas pareil. J’ai juste pas le temps pour ce genre de choses inutiles.

Samuel jette un pavé de plus dans la mare des pensées d'Adam en ajoutant :
- Le club aurait également besoin d'aide. Si en surface nous ne faisons que de la recherche, ce club a aussi été créé afin d'arrêter ceux qui utilisent leur Doppelgänger à mauvais escient ou encore sauver les gens qui n’arrivent pas à le contrôler. Après tout, est-il à la portée de tout le monde de contrôler son inconscient, avec toutes les pulsions qui vont avec ? En effet, il semble y avoir une épidémie d'éveils en ville récemment, en tout cas, il y en a, ce qui est déjà assez alarmant, et évidemment la police ne peut rien faire face à ce genre de personnes. Dernière chose, tu n'as pas besoin de trouver d'explication à donner à tes parents, nous leur avons déjà donné une. Alors, qu'en dis-tu ? Ce serait une bonne occasion d'apprendre à t'en servir et je parie que tu as envie de l'utiliser, je me trompe ?

Il ajoute avec un sourire évidemment faux, mais qui a l’air terriblement sadique, comme s'il tapait volontairement sur un point sensible :
- Et puis…tu pourras sauver des gens avec ça.

Comment il peut rester aussi calme ? Je commence à sérieusement flipper, j’aurais pas dû m’engager là-dedans. C'est son contrecoup, c'est ça ? Merde quoi pourquoi il me demande mon avis ? J'ai l'air d'avoir le choix là ? S’il veut, il peut me buter sans que personne le sache ni retrouve mon corps, en plus il doit être expérimenté, contrairement à moi.

Adam répond, sans aucune conviction, sentant dans son dos une impasse froide et lugubre :
- Ouais, si tu veux.
Samuel répond en étant jouant très mal la joie : 
- Merci, il faut juste que tu signes pour t'inscrire au club et c'est bon. On se retrouve ici, demain après les cours, pour que je t'apprenne à te servir de ton Doppelgänger, parce que mine de rien, l’activer sur commande en premier lieu n’est pas si évident que ça, même si ce n’est pas non plus qualifiable de "difficile".

Adam signe la feuille sans vraiment lire ce qu’il y a écrit dessus, même si la quantité de texte a l’air conséquente, puis s'en va. Il regarde alors l'heure sur son portable : 19h.

Putain il est déjà si tard ? C'est mon Doppelgänger qui a accéléré le temps ou je rêve ?

Au moment de sortir, il remarque quelqu'un. C'est Eva, adossée au portail du côté extérieur, semblant attendre quelqu’un impatiemment, tapotant de l’index le métal froid du portail.
Qu'est-ce qu'elle fait là ? Elle attend son mec ? Me dites pas que c'est Samuel ? Nan, impossible, c'est un putain de robot ce type, je suis sûr qu’elle en voudrait jamais. Oula, je deviendrais pas arrogant par hasard ? Faut pas que je commence à réfléchir comme ça.

Adam passe à côté d'Eva sans la calculer, ni même la regarder. Elle l'interpelle alors, en montrant des signes de colère, voire un peu plus que cela :
- Je peux savoir quel est ton problème ? Pourquoi pendant une semaine on est les meilleurs amis du monde et après tu m'ignores ? Il t'est arrivé quoi ?
Adam répond, calmement et froidement, en voulant volontairement agacer Eva :
- Je suis fatigué, c'est tout. Je dors mal ces derniers temps. Et puis toi aussi tu m'ignorais aujourd'hui, t'es pas franchement mieux placée pour parler.
Eva craque et s'énerve complètement, tombant dans le piège d’Adam :
- Mais tu t'entends parler ? À dire que tu t'en fous d'avoir des amis et à couper les ponts dès qu’y a quoi que ce soit. T'étais pas comme ça avant ! T’étais pas aussi con et autant un connard !

Qu'est-ce qu'elle raconte, à parler comme si on se connaissait avant, j'ai toujours été comme ça, non ? Si jamais ça marche pas, bah ça marche pas, ça sert à rien que je m'acharne avec les gens, parce que si je peux pas savoir ce que j'ai mal fait, je peux rien changer, parce que je suis trop con pour comprendre mes propres erreurs, et personne me le fait remarquer explicitement. Mes relations humaines sont juste d’immenses malentendus permanents.

Adam répond en s'en allant, un sourire triste aux lèvres :
- Tu dois me confondre avec quelqu'un d'autre. Juste oublie-moi, ça vaut mieux pour nous deux, je vaux pas le coup que tu te casses la tête pour moi, je suis juste irrécupérable socialement, tu vas te faire trop de mal.

Eva reste plantée là, sans rien dire, choquée parce qu’elle vient d’entendre, tandis qu'Adam rentre tranquillement chez lui. Eva reste là pendant plusieurs minutes, le cœur serré. Pour elle, la situation est encore plus grave qu’elle ne le pensait. Mais elle ne peut rien faire étant donné qu’Adam semble la rejeter à chaque fois. Mais ce n’est qu’un immense malentendu, un malentendu qui a l’air permanent.

Le lendemain, mardi 10 septembre, après les cours.
Eva et lui ne se sont pas reparlés pendant la journée, Adam ne sachant pas vraiment quoi faire. D’un côté, il l’évite, un peu instinctivement, mais de l’autre, il souhaite tout de même se réconcilier avec Eva. Mais il n’y arrive pas, il a trop peur, peur d’être déjà allé trop loin, peur qu’Eva la rejette, peur de refaire une erreur. Quand il la voit, il est pris d’une sorte de paralysie le poussant à l’ignorer, tout du moins tant qu’elle ne l’aborde pas. Il en avait parlé à Squallala la veille, qui aurait pu l’aider, étant une fille, donc plus à même de savoir quoi faire dans cette situation. Mais elle n’avait pas de réponse, disant qu’elle était plus un garçon manqué, sans une véritable attitude féminine. Elle non plus ne savait pas quoi faire, elle n’avait pas de moyen de savoir ce qu’Eva pourrait avoir en tête et attendre, elle n’avait pas de solution à ce problème qui était immensément et évidemment plus complexe qu’un simple visual novel ou livre dont vous êtes le héros, surtout quand le stress s’ajoute à l’équation.
Adam retrouve alors Samuel au club de recherche de l'inconscient pour assister à son cours. Samuel apprend à Adam qu'il ne faut pas penser à se transformer, mais le faire, se laisser aller pour trouver son inconscient et ainsi le laisser remonter à la surface, comme une autohypnose, mais tout en restant à la limite entre la conscience et l’inconscience. Cela a l’air compliqué, mais il suffit de se laisser aller et d’être sûr que l’on va se transformer, changer de corps et de "soi". Quand Adam entend cela, il trouve l'idée particulièrement débile.
Cependant le pouvoir du Doppelgänger ne vient pas de la volonté d'être quelqu'un d'autre, mais de l'auto-persuasion que l'on est effectivement quelqu'un d'autre, et plus cette persuasion est forte, plus la dissociation mentale avec la réalité est forte, plus le Doppelgänger devient puissant, car il naît chez les personnes fuyant la réalité, ou le désirant au plus profond d’eux, espérant qu’un quelconque deus ex machina leur permettant d’exaucer leur vœu.
Samuel confie finalement, avant qu'Adam n'essaie de se transformer, que le groupe Silva a pour but ultime d'obtenir un Alter Ego, le stade ultime du Doppelgänger, affranchi de toute restriction, un être dont la puissance atteindrait celle d’un dieu unique. Mais on ne connaît pas de moyen d'apparition, le dernier cas recensé datant de 2009. Le fils du PDG murmure ensuite dans son coin, juste assez fort pour qu’Adam puisse tout de même entendre, que ce n'est pas censé être si rare que ça.

Après plusieurs essais infructueux, Adam étant trop tendu, ou trop concentré sur sa transformation, son cerveau fonctionnant à plein régime, il réussit à se canaliser et à se retransformer. Il peut enfin le ressentir, sans tout le stress du contexte de son éveil. Ce sentiment d'être enfin soi-même, cette impression de pouvoir tout faire, que la réalité même n'est qu'un jouet, un immense terrain de jeu. Cette bouffée de dopamine lui force même un sourire, sincère, la première fois depuis son éveil. Il doit même se retenir de rire de manière maniaque. Il ne s’est plus senti aussi bien depuis longtemps.

Après qu'Adam ait à peu près maîtrisé la transformation en Doppelgänger, Samuel lui demande :
- Il faut maintenant que je finalise ton dossier pour la base de données du groupe Silva. Pour cela il me faut juste un nom pour ton pouvoir. Cela peut être n'importe quoi. Le mien, par exemple, s'appelle Devil May Cry. Je te conseille de lui donner un lien avec la nature de ton pouvoir, le mien se réfère aux effets secondaires de mon Doppelgänger, pour rester sur le même exemple.

Un démon qui peut pleurer ? Ça le rend sentimental d'utiliser son pouvoir ? Il doit juste se foutre de ma gueule, il a la tête à avoir un humour chelou et bien perché.

Après avoir réfléchi quelques secondes, passant au peigne fin toutes les œuvres qu’Adam connaît, cherchant un lien avec son Doppelgänger, mais il trouve, d’une manière assez effrayante pour lui, instantanément une réponse et la transmet :
- Lunar Clock, parce que la nuit est ma période de la journée préférée. C’est toujours calme et il y a moins de personnes que le jour. Et puis mon Doppelgänger me permet d'arrêter le temps.

Samuel note sur une sorte de formulaire en ajoutant :
- Arrêter le temps ? Intéressant... J’aimerais d'ailleurs te prévenir, ne te prends pas la tête avec Eva, vous m'avez l'air... en mauvais termes pour l'instant, mais tu ne pourras rien y faire, l'effet secondaire de ton Doppelgänger te handicape trop pour ce genre de choses et je, ou plutôt toutes les autres personnes préféreraient que tu te concentres sur les missions. Au fait, demain, nous allons au laboratoire Silva principal, situé non loin de là, afin d'évaluer tes capacités au combat. Ne t'inquiètes pas, nous nous retrouverons tout de même ici, après les cours. Au plaisir de te revoir, Adam.
Dit-il en tirant une révérence.

Adam quitte alors le club après avoir annulé sa transformation. Il ressent tout de suite la même fatigue qu'il y a deux jours, bien qu’elle soit plus faible. Une petite migraine, une envie de dormir, il allait devoir attendre que son esprit s’habitue à l’utilisation du Doppelgänger. Il devait simplement, encore et toujours, prendre sur lui en attendant que les problèmes disparaissent d’eux-mêmes. Il s'empresse ainsi de rentrer chez lui afin de dormir et se reposer.

Mein DoppelgängerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant