Réécriture

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Vendredi, le 27 septembre. Adam se réveille. De lui-même. D'habitude, c'est son père qui le fait.

Il a juste dû oublier. Ou alors il n'est simplement pas réveillé. Il se couche très souvent, tout le temps en fait, après minuit. Et puis il rentre souvent fatigué du boulot. Bon, il reste plus qu'à le réveiller alors.

Adam regarde l'heure. Impossible. Sa deuxième supposition, plus précisément. Tout simplement car il était 9h30, et son père travaillait à 9h. Et quand bien même il peut oublier de se lever pour ses enfants, il ne le ferait jamais pour son travail, le préoccupant bien trop. Adam remarque alors autre chose. L'appartement est calme, trop calme, trop silencieux. En effet, sa mère est censée être au chômage, regardant la télé toute la journée. Adam va donc dans le salon vérifier. La télévision est affreusement éteinte. Il n'y a strictement aucun bruit. Il n'y a personne à la maison. Le silence devient si oppressant que le cœur d'Adam se dévoue pour remplir le vide insoutenable. Ses pensées commencent à exploser tels des feux d'artifice, grondant comme le tonnerre. Sa respiration se rajoute au concert bruitiste qui se joue actuellement dans son corps. Dans la chambre de sa sœur, de ses parents, la cuisine, la terrasse, partout dans l'appartement, dans chacune des pièces, dans chaque mètre carré, il n'y a personne.
Personne. Un silence de mort, mais pas comme lorsqu'il met son casque. Non, ce silence est plus lourd que n'importe quelle chose qu'Adam n'ait eu à porter. Ce silence est bien plus triste que n'importe quelle histoire qu'il connaît.
Il est seul, tout seul dans cet immense appartement.

Où sont-ils ? Que font-ils ? C'est une mauvaise blague, une surprise qui a mal tourné, ils veulent juste fêter mon retour, c'est ça ? Impossible, c'est pas leur genre. Je sais ! Je vais les appeler. Il n'y a aucun monde où ils ne répondraient pas.

Aucun numéro. Il ne trouve aucun numéro sur son téléphone. Il n'y en a simplement pas. Il n'y en a jamais eu. En allant chercher le téléphone fixe, il s'aperçoit qu'il n'y a plus de photo d'aucun membre de sa famille. Plus aucune trace d'eux. Les souvenirs que ses parents avaient amenés lors de voyages précédant sa naissance, ceux achetés par sa sœur lors de ses voyages scolaires. Tous disparus. L'appartement ne donne même pas de sensation de vide, tous les trous qu'auraient dû laisser ces décorations manquantes sont comblés. Comme s'ils n'avaient jamais été présents, comme si le reste de sa famille n'avait jamais existé.
Il ne restait que ses objets personnels.
Mais tout d'un coup, les cadres réapparaissent, bizarrement. Comme si toute trace de sa famille est glitchée, comme si la réalité s'était rendue compte de sa propre aberration et qu'elle essayait de se réparer. Puis toute sa vision se brouille, il est pris d'un affreux mal de tête, une douleur atroce parcourant chaque cellule de son corps. Comme si elles n'étaient pas au bon endroit, qu'elles ne devaient pas exister. La fabrique de la réalité elle-même semble s'auto-réparer, cicatriser, comme si on l'avait blessée. Tout se déforme pour
Plus rien, noir, le néant. Adam perd connaissance.

Quand Adam se réveille, dans le laboratoire Silva, il remarque que Samuel est à son chevet, l'air sérieux, énervé même, comme un parent qui apprend une bêtise de son enfant. Car effectivement, Adam avait fait une grosse bêtise. Une qui était irréparable, impardonnable. Non pas car elle était trop grave pour l'être, mais parce que personne ne pouvait avoir conscience de sa bêtise et donc, avoir la possibilité de le pardonner. Sauf Samuel. C'est lui qui a expliqué ce qu'a fait Adam, le tabou qu'il a brisé : 
- Tu as modifié la réalité. Tu te rends compte de ce que cela signifie ? Ta famille n'est pas juste morte, elle n'a pas même disparu. Elle n'a jamais existé. Purement et simplement. Trop simplement même, puisque tu m'affirmes ne rien avoir fait de spécial. Ça n'est pas une simple manipulation temporelle, auquel cas tu n'aurais pas pu exister, ce n'est d'ailleurs pas une nouvelle ligne temporelle que tu as engendré. Toutes les lignes ont été changées. Tu as modifié profondément l'histoire de l'univers, le Destin. C'est pour cela que tu as vu la réalité buguer. Au premier moment de faiblesse de la personne qui a créé cette réalité, elle en a profité pour se réparer. Car la réalité que tu as engendré ne peut plus avoir de sens. Tu n'as jamais eu de parents. Tu n'as pas pu naître, simplement apparu. Pour indirectement citer Osamu Dazai, tu n'es plus humain. Même si son livre s'appelle "La Déchéance d'un homme" en français. C'est en anglais qu'il s'appelle "No Longer Human", la différence est subtile, mais importante. Car en français, le titre indique que le personnage a été humain. Alors que dans la réalité, cette réalité, tu n'en as jamais été un. Je réitère donc : "You're no longer human, Adam." (Je rêve où ce qu'il raconte à aucun sens ? Il voulait vraiment juste étaler sa culture sur ma gueule ou je délire ?) Tu es devenu une aberration, une Chimère. C'est le nom qui a été donné à ta nature, ta condition, par le groupe Silva. Je pense que tu as même quitté notre plan de réalité. On pourrait trouver tout cela magnifique, la transcendance a toujours été un rêve humain, mais cela signifie que tu n'as plus de destinée. Pire encore, tu n'es même pas censé exister. Et tu as très bien vu la manière brutale, digne d'un rouleau compresseur propulsé et tournant à pleine vitesse, avec laquelle la réalité se répare. On ne sait pas ce qu'il peut se passer, je ne pense pas que tu disparaîtrais en un claquement de doigts, mais tu dois garder en tête que ta vie a pris un tournant, et que ton monde vient de disparaître. D'ailleurs, dans cette réalité, tu as toujours vécu dans le groupe Silva, tu en es même à l'origine, le fondateur t'ayant trouvé lors de ton apparition et a désiré t'étudier, afin de comprendre ce qu'il s'était passé. Ce n'est plus une simple bêtise, c'est ce qu'on peut appeler une "putain de connerie". Mais sache que tu ne peux en parler à personne. Car seul moi, à cause de mon Doppelgänger, a connaissance de la précédente réalité. Mais à part te donner ces informations, je ne peux pas faire grand chose. 

Mein DoppelgängerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant