SHADE, TOME 1 - Cœurs Ecorchés

Rendre des comptes

La nuit fut effectivement courte et très agitée. Lorsque j'étais rentrée, Nathaniel dormait à poings fermés, je ne suis donc pas allée le réveiller pour lui raconter le déroulement de ma soirée. Je le verrai ce soir. J'étais à mon bureau, en train de relire les rapports de la veille, et mes pensées s'en allèrent vers le baiser que j'avais échangé avec Hartner. Cet homme était déconcertant. Il avait pu me séduire en un seul dîner, je m'étais laissée aller avec lui, et il avait réussi à m'atteindre là où personne d'autre ne s'était aventuré. J'avais mis mes sentiments en suspens, bien enfermés dans une boîte où moi seule détenais la clé, mais pour la première fois depuis des années, j'avais ressenti du désir pour un homme. Cependant, une question restait au fond de mon esprit, était-ce un jeu pour lui ou était-il sérieux lorsqu'il disait que je le rendais dingue ? Sa simple intonation lorsqu'il prononçait mon prénom éveillait en moi ses sensations qui m'étaient jusque-là inconnues. Si ma conscience professionnelle ne m'avait pas freinée, jusqu'où serais-je allée ? Flirter avec un suspect risque de me coûter cher, surtout si cela venait aux oreilles de mon capitaine. Pourtant, cette adrénaline, cette envie de contourner les règles me poussait à en vouloir plus, quitte à me brûler les ailes. Cette sensation de plénitude, de désir intense, je l'avais ressentie une fois, je voulais la ressentir encore. Et ce n'était qu'un baiser ! Je sortis de mes pensées, me rappelant que j'étais sur mon lieu de travail et qu'elles n'étaient pas du tout adaptées à la situation.

J'allai à la salle de pause me faire un café et je croisai mes deux collègues, Estanco et Butch, en pleine discussion devant un journal. Néanmoins, ils se turent lorsqu'ils me virent entrer.

— Bonjour, les gars, les saluai-je.

— Bonjour, Kate, me répondit Butch.

Je vis mon collègue taper du coude Estanco, ce dernier replia furtivement son journal et me répondit à la va-vite :

— Bonjour, Kate, désolé, je ne t'avais pas entendue.

— Je vois ça. Qu'est-ce qui te passionne autant pour que tu ne lâches pas ton journal ?

— Oh, rien. Juste un article sur un match de base-ball.

— Hum, quelle équipe ?

Et là, un silence s'installa. Je savais très bien qu'il me mentait, mais pourquoi ?

Je pris le journal et l'ouvris pile à l'endroit où il l'avait laissé. Butch essaya de m'en dissuader, mais je fis volte-face afin de lui tourner le dos. J'aurais mieux fait de ne pas lire l'article qui suivait.

« Le multimilliardaire serait-il enfin casé ? Une source nous a dévoilé cette photographie, prise furtivement hier soir aux alentours de minuit. Tommy Hartner, accompagné d'une jeune femme, à la sortie de son restaurant français. Ils semblaient très proches et un baiser a même été échangé. Désolé, mesdames, si vous comptiez vous l'accaparer, cette demoiselle a su trouver les mots pour ouvrir les portes de son cœur ! »

— Mais qu'est-ce que c'est que ça ?! m'écriai-je de stupeur.

L'article était accompagné de ladite photographie, où l'on pouvait distinctement me voir Hartner et moi enlacés !

— Tu ne nous avais pas dit que tu entretenais une relation avec notre suspect, déclara Estanco.

— Oui, eh bien, c'est sans doute parce que je n'en ai pas ! Tout ça n'est qu'un tissu de mensonges ! répliquai-je effrayée.

— C'est à la une de tous les magazines, m'indiqua Estanco. Tout le poste est au courant.

— Ce n'est pas vrai ! Si le capitaine apprend ça, je...